Les deux jeunes nobles suivirent les deux apprentis jusqu'à l'endroit où ils dormiraient. Il s'agissait d'un petit studio, ou plutôt d'une petite pièce avec des lits superposés, quatre, avec seulement l'un des lits libres, les autres déjà pris par des jeunes de leur âge, des orphelins ou de futurs prêtres. Les garçons et les filles partageaient les mêmes pièces pour dormir, ce qui effraya légèrement Jenny, habituée à son intimité, et énerva Samuel, qui était habitué, lui, à son confort.
Pour le grand bonheur de la jeune fille les douches étaient bien séparées, contrairement aux chambres, de même que les toilettes. Ils s'installèrent sur le lit superposé vide, le frère en bas et la sœur en haut, avant de se changer dans des habits simples, des habits des plus banales qui ne valaient presque rien. Cela ennuya les deux nobles, mais ils n'avaient pas le choix.
Asgorath dormit six jours, six jours durant lesquels Jenny et Samuel découvrirent ce qu'était la vie de servants, et sa difficulté. Faire le ménage, laver le linge, s'occuper des malades et des plaignants, et mille autres petites tâches auxquelles ils n'auraient jamais songées sans ce séjour. Les journées les éreintaient comme jamais à cause des actions monotones, répétitives et épuisantes.
Il était difficile de se rendre compte à quel point nettoyer une pièce, pour ne pas parler d'un bâtiment, et d'en récurer chaque coin fatiguait. Il s'agissait d'un travail assez simple, en soi, mais le faire vite et bien, sans rien oublier, augmentait l'épuisement de beaucoup. Et il ne s'agissait que de l'une des multiples tâches que devaient faire les deux jeunes nobles.
Leurs journées bien remplies et épuisantes, les Xiao n'avaient pas le temps de réfléchir à quoi que ce soit et dormaient paisiblement d'un sommeil de plomb la nuit. Ils acceptaient la situation et travaillaient du mieux qu'ils pouvaient, mais cela énervait énormément Samuel, qui considérait que le forcer à travailler de cette façon n'était pas normale. Jenny n'aimait pas, elle aussi, les tâches qui leur étaient dévolues, mais elle acceptait en silence.
Le démon, lui, se reposait et se soignait, dormant sans arrêt. Le prêtre avait réussi à nettoyer ses plaies et à les régénérer, ainsi qu'à guérir la majorité des blessures internes. Néanmoins, son état restait assez inquiétant, et les six jours de repos permirent à son corps de se rétablir. En premier lieu, il refit du sang pour remplacer les pertes.
Son sang entièrement récupéré, les cellules du corps démoniaque travaillèrent à finaliser la guérison des dernières blessures internes. En plus de tout cela, le Kzhan'La devait reposer son esprit, pour pouvoir récupérer sa force mentale et son énergie spirituelle. En tout et pour tout, il eut besoin de six jours avant de reprendre conscience, son état impeccable si ne l'on comptait pas sa faiblesse physique due à un manque d'alimentation.
Une fois remis, il ouvrit les yeux mais ne vit personne autour de lui. La gorge sèche, le réincarné ne laissa échapper qu'un faible râle, presque inaudible. Manquant de force, Asgorath ne put rien faire d'autre que bouger sa tête et ses yeux pour observer où il se trouvait. Le lieu en question était une pièce dépouillée où il n'y avait rien d'autre qu'une armoire en bois simple, et une table de nuit à côté du lit.
Il n'y avait rien d'autre dans cette pièce aux murs blancs. Incapable de bouger, ou de faire quoi que ce soit, le faux humain attendit que quelqu'un entre dans la pièce. Il ne savait pas comment les évènements s'étaient déroulés après le combat contre les assassins, mais il doutait qu'il soit arrivé quelque chose de mauvais, sinon il serait déjà mort. Plus important pour lui, Jenny et Samuel ne l'avaient pas laissé mourir. Cela l'étonnait. Ils savaient qu'il était un démon et, en plus de cela si cela n'avait pas suffi, les paroles qu'il avait prononcées avant le combat auraient dû les éloigner de lui. Mais ils l'avaient aidé, donnant les premiers secours et l'amenant à une personne capable de faire le reste.
Asgorath en fut touché et un petit sourire, un sourire qui contenait un mélange de tristesse et de joie, ainsi que quelques autres sentiments. Il ne savait pas comment il devait réagir, à part qu'il allait devoir les remercier, mais l'émotion qu'il ressentait à ce moment précis envers ces jeunes était chaleureuse, et bien réelle.
Le faux humain dut patienter plusieurs heures, quatre ou cinq, avant que quelqu'un ne rentre enfin dans la pièce où il se trouvait. Il utilisa ces heures à bon escient, cherchant ce qu'il lui manquait et ce dont il avait besoin. La force, en premier lieu, mais pour ça, il avait déjà trouvé une solution. L'Académie des Neufs Voies. En y entrant, il aurait accès à des savoirs lui permettant de grandement augmenter sa puissance, ainsi que de prévoir la direction qu'il prendrait dans le futur. Il devait aussi y avoir de nombreux livres concernant ce monde et ses caractéristiques. Des livres !
Des sueurs froides se mirent à couler dans le dos du démon lorsqu'il pensa à ce mot. Comment j'ai fait pour ne pas y penser plus tôt ? J'ai dû apprendre la langue de ce monde afin de pouvoir communiquer avec ses habitants, alors pourquoi je n'ai pas songé un seul instant qu'il pouvait avoir un langage écrit totalement différent de ceux que je connais. Je suis un abruti ! s'admonesta violemment Asgorath.
Il se serait frappé, s'il avait pu bouger. Il va falloir que je trouve un moyen de remédier à ce problème, mais comment ? Il faut que je me trouve un professeur, mais je ne possède pas d'argent pour en embaucher un. Et je ne peux pas demander à n'importe qui de m'enseigner. Ce monde semble être similaire au Moyen-Âge du mien, si on ne compte pas la magie, les différentes races et le reste. Peu d'individus doivent pouvoir apprendre la lecture et les mathématiques parmi le peuple. Le peuple … … Il écarquilla les yeux en pensant à quelque chose, ou plutôt à quelqu'un. Ha ha ha, je suis vraiment con ces derniers temps. Si des paysans n'apprennent pas à lire, une jeune noble si. Je n'aurai qu'à lui demander de m'enseigner. Je ne pense pas qu'elle refuse de me rendre ce petit service. Oui, c'est une bonne solution.
Un adolescent entra dans la chambre, sortant le réincarné de ses pensées. Celui-ci essaya de se relever pour voir l'arrivant, mais il fut incapable de seulement se décoller très légèrement du lit. Ouvrant la bouche, le démon tenta de parler pour attirer l'attention de la personne venant d'entrer mais, encore une fois, il ne réussit à rien.
Il se contenta donc d'attendre que l'individu se rapproche de lui et le voie réveiller. Il l'écouta travailler à nettoyer la chambre et à préparer ce qui était nécessaire pour s'occuper de lui. Cela prit un certain temps mais le jeune homme s'approcha enfin du faux humain et, alors qu'il allait vérifier son état de santé, il vit le blessé le fixer du regard et sourire quelque peu. L'apprenti cria de surprise et tomba à la renverse.
« Vous, vous … vous êtes réveillé ? Pourquoi n'avoir rien dit ? Vous m'avez vraiment fait peur. Bon, se reprit-il en se levant, comment allez-vous ? Y-a-t-il un quelconque problème ? Vous ne voulez pas me répondre ?
-Haaaa … … … …, soupira Asgorath d'une voix incroyablement rauque.
-Vous ne pouvez plus parler ? C'est bizarre, maintenant que vous êtes réveillé, vous ne devriez avoir aucun problème. Hmm, je devrais en parler au maître. Il devrait être capable de savoir ce qui se passe. Oui, si c'est maître Henry, il saura, c'est certain. En fait, monologua le jeune homme, je … … …
-Eeee … … … deeeeee ..., tenta d'interrompre le Kzhan'La de sa faible voix asséchée sans aucun succès.
-Mmh, oui, le mieux serait de demander au prêtre en chef. Avec ses connaissances, il saura ce qu'il faut faire. Je peux vous assurer, continua l'adolescent sans s'être arrêté une seconde de parler.
-Eh Baptiste, pourquoi tu as crié, lança une autre voix alors que le son d'une porte s'ouvrant s'entendit. Ne me dis pas que tu as été effrayé lorsque tu l'as dénudé pour le laver ? Son engin est tellement plus gros que le tien, finit-il en éclatant de rire.
-Ne dis pas de bêtises, Pierre, s'exclama le dénommé Baptiste d'une voix de fausset. Ce n'est pas ça. Je ne l'ai même pas lavé, d'ailleurs. En fait …
-Quoi ? Tu n'as encore rien fait, l'interrompit assez sèchement le second homme. Mais qu'est-ce que tu attends ? Si tu ne te dépêches pas, maître Henry va te faire la peau. Tu sais qu'il déteste que l'on fainéante et que l'on ne fasse pas nos tâches.
-Ce n'est pas ça ! Tu ne comprends rien, s'énerva le jeune homme à côté d'Asgorath. Ce gars, là, le blessé que les deux jeunes ont amené six jours auparavant, il s'est réveillé.
-Quoi ? Pourquoi tu ne me l'as pas dit plus tôt ? Attends, s'il est réveillé, pourquoi il ne se lève pas ; et puis qu'est-ce que tu faisais à parler tout seul ?
-Le truc c'est qu'il est incapable de parler, alors, tu vois, je parlais à haute voix pour m'aider à réfléchir sur ce qu'il fallait mieux faire.
-Crétin ! Ce pauvre gars n'a pas bu, ni manger d'ailleurs, depuis six ou sept jours. Sa gorge et sa bouche doivent être aussi sèches qu'un désert, pas étonnant qu'il n'arrive pas à parler. Donne-lui de l'eau pendant que je préviens maître Henry.
-Euh … oui, d'accord, dit Baptiste en rougissant violemment tandis que l'autre jeune homme quittait la pièce. »
L'instant suivant, Baptiste prit un peu d'eau et le donna à boire au faux humain. Cela lui fut difficile. Comme il n'arrivait pas à bouger, beaucoup d'eau coula et fut renversé, mais après plusieurs tentatives, il réussit à en boire suffisamment pour le moment. L'eau fraiche descendant dans sa gorge le fit tousser au départ.
Cependant, au bout de quelques tentatives, il ne ressentit plus aucune gêne. Bien au contraire, boire cette eau était devenu un véritable plaisir qui ne dura pas longtemps. Il connaissait son état, et savait que quand on n'avait rien ingéré durant plusieurs jours, mieux valait ne pas trop boire et manger. Au mieux, cela le forcerait à vomir. Dans le pire des cas, la mort risquait de survenir. Il ne s'en faisait pas trop par contre, puisqu'il n'avait fait que boire, et encore pas beaucoup.
Sa gorge désormais hydratée, ses difficultés à parler diminuaient sans toutefois disparaitre. Heureusement, il disposait d'un peu de temps avant que le prêtre en chef Henry, accompagné de quelques élèves ainsi que de Jenny et de Samuel, n'arrive. Il recommença donc à boire avec beaucoup moins de difficulté que la première fois, et toujours en petites quantités. Le faux humain but, petite gorgée par petite gorgée, calmant l'aridité de sa gorge tout en attendant.
Asgorath soupira et remua légèrement ses mâchoires.
« Vous me … comprenez ? demanda d'une voix profonde, presque abyssale, Asgorath.
-Euh, oui, oui, je vous comprends, ne vous en faîtes pas. Et, eh bien, je suis désolé pour tout à l'heure, enfin vous savez. Par contre, même si vous arrivez à parler, il faudrait mieux éviter vu l'état dans lequel est votre gorge, je veux dire, ça s'entend dans votre voix.
-Je sais, dit le Kzhan'La, finissant la conversation. »
En ce moment, le réincarné devait restaurer ses forces, et pour cela, il fallait se nourrir et boire. La question était combien de temps cela lui prendrait ; et s'il pouvait profiter de ce temps libre pour plusieurs choses, comme apprendre à lire. Il devrait demander l'aide de Jenny, et, s'il pensait qu'elle accepterait, il n'en était pas certain.
Une fois qu'il pourrait de nouveau bouger et saurait lire, il irait à l'académie dont parlaient Jenny et Samuel. Ensuite, après être devenu assez fort, il faudrait qu'il se fasse un nom dans l'Empire de Tsurannel, donc peut-être rejoindre l'armée ou jouer les agents spéciaux de la famille impériale. Devenir l'un de leurs hommes de confiance lui offrirait de nombreux avantages. Ne s'arrêtant jamais de réfléchir à ses futurs projets, il chercha d'autres possibilités, d'autres actions possibles à réaliser. Rejoindre l'une des Cinq Grandes Puissances afin de faire partie d'un des groupes d'invasion des humains.
Ou plutôt l'un des groupes de guérilla vu qu'ils ne peuvent surement pas faire mieux que de s'attaquer à des groupes de démons isolés. Après tout, ils ne veulent pas vraiment d'une guerre acharnée entre les deux camps, tant qu'ils ne sont pas près du moins, songea Asgorath indifféremment. Faire partie d'un de ces groupes me permettrait d'aller au continent des démons. Ces deux plans n'étaient pas trop mal. Très simple mais, cela lui laissait au moins de la marge pour réaliser des modifications si le besoin s'en faisait sentir.
Et puis, il avait aussi un plan pour le second pire des cas, qui était de ne pas pouvoir retourner sur les terres de ses parents : vivre parmi les humains, en tant qu'humains. Dans le pire des cas, qui était qu'on découvrait ce qu'il était, il deviendrait un fugitif rechercher par tous, et il n'aurait qu'à partir dans une folie meurtrière jusqu'à ce qu'il se fasse tuer.
« Voilà donc notre blessé, Asgorath Strÿnkar, soigné et réveillé, bien qu'encore faible, on dirait, déclara une voix aimable en interrompant les pensées du démon. Vos amis nous ont raconté, à moi et à mes élèves, comment vous les aviez protégés de bandits et obtenus vos blessures. Vous avez beaucoup de courage.
-Vous devez être le prêtre Henry, commenta le faux humain d'une voix enrouée. Je vous remercie de m'avoir soigné.
-Remercié avant tout vos amis. Sans leurs premiers soins, vous seriez morts. Et puis, ce sont eux qui vous ont amené jusqu'ici et nous ont convaincu de vous soigner.
-Justement, en parlant de Jenny et Samuel, où sont-ils ?
-Ils vont bien, ne vous en faites pas. Je leur fais faire quelques tâches ménagères et autres en échange de les laisser rester ici. En ce qui vous concerne, une fois que vous aurez mangé et bu, vous devriez aller mieux très rapidement. » Il réfléchit un instant, puis continua : « Mangez. Je vous enverrais vos amis après.
-D'accord. Je vous remercie. »
Henry sourit mais ne répondit rien, puis il sortit. Un peu plus tard, l'un de ses élèves vint, un bouillon dans les mains pour le démon. Ce dernier le but lentement et passa le reste de sa journée à se reposer, reprenant un bouillon le soir. Les bouillons avaient été réalisés de manière à être plein de nutriments afin de recharger les batteries d'Asgorath. Ceux-ci, l'eau et le sommeil firent beaucoup d'effet, encore que le métabolisme de l'individu en question ait permis d'employer les ressources offertes dans la nourriture au maximum pour récupérer son énergie.
Durant la nuit, il se réveilla plusieurs fois pour manger de nouveau. Cela gêna énormément les différents élèves et membres de l'église mais aida tout autant le Kzhan'La qui reprit des forces très rapidement. La quantité de sang redevint normal et les muscles, organes et autres parties du corps furent de nouveau alimenter en énergie, tout en recréant de nouvelles cellules pour remplacer les abimer. Le corps du réincarné était comme une vielle machine qui n'avait pas eu de carburant depuis un long moment et qui, tout d'un coup, en recevait une dose massive et se remettait en marche. Cela cafouilla au début, mais tout se remit en ordre.
Il n'avait pas totalement récupéré, mais au matin, il pouvait d'ores et déjà sortir de son lit et aller manger avec les autres, encore qu'il se lève trop tard pour réellement voir quelqu'un. Asgorath marchait bien et normalement encore que ses muscles étaient toujours un peu raide, et sa vitesse un peu lente. Au petit déjeuner, il eut droit à son bouillon, mais prit aussi quelques fruits, ainsi que de petits bouts de viandes.
Afin d'éviter les problèmes, il mangea lentement et pas trop, décidé à ne pas vomir. Le repas terminé, le faux humain retourna dans sa chambre pour se nettoyer et s'étirer, testant l'état de ses muscles. Un peu trop crispé à son goût, le Kzhan'La constata qu'à part cela et des crampes, il n'y avait aucun problème avec son corps. Ses blessures étaient entièrement guéries, son sang s'était régénéré et énergie récupérée. Plutôt content de son état physique, il étudia son état psychique, ou plus exactement son énergie spirituelle et sa force mentale.
Cette dernière était à environ la moitié, soixante pour cent de sa force normale, mais maintenant que le réincarné s'était réveillé, ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle ne retourne à son état normal. Le niveau d'énergie spirituelle était plus préoccupant. Il n'avait presque pas refait ses réserves. Avec si peu d'énergie spirituelle, il ne pourrait utiliser aucun des sortilèges qu'il connaissait. Le faux humain ne s'en faisait cependant pas. Comme sa force mentale, son énergie spirituelle, son mana, reviendrait avec suffisamment de temps.
Sa vérification faite, l'ancien blessé partit à la recherche de Jenny et de Samuel. Il vit plusieurs personnes, toutes élèves de Henry, et après leur avoir souhaité le bonjour, et les avoir remerciées de leurs soins, il leur demanda où se trouvaient les deux jeunes nobles. Ravis de l'aider, les disciples le guidèrent jusqu'à eux. Les Xiao se trouvaient derrière l'église, dans le potager personnel de l'établissement, à cueillir des fruits et légumes, arracher les mauvaises herbes, retourner la terre et planter de nouvelles pousses.
Ils ne portaient plus d'habits chers et luxueux, mais les mêmes habits simples et blancs tachés que les membres de l'église utilisaient. Il se dirigea vers eux rapidement et se planta droit, les regardant dans les yeux. Les deux jeunes ne le virent pas arriver avant le dernier instant et furent surpris.
« Jenny, Samuel, je vous remercie de votre aide et de vos soins, déclara Asgorath extrêmement sérieusement. » En même temps qu'il parlait, il porta son poing droit serré à sa poitrine et s'inclina, surprenant toutes les personnes alentours.
Estomaqués, les deux jeunes interpellés regardèrent le démon avec des yeux écarquillés et la bouche légèrement ouverte. Ils n'auraient jamais imaginé qu'il les remercierait de manière aussi solennelle, ou que, tout simplement, il l'exprimerait. Pris de court, le frère et la sœur s'immobilisèrent quelques instants. Les membres de l'église, tout aussi étonnés que les deux nobles, se demandaient pourquoi il les remerciait. Il leur avait sauvé la vie, n'était-il donc pas normal qu'ils l'aident en retour ?
Se disant que la situation n'était pas entièrement celle qu'on leur avait racontée, ils attendaient en songeant qu'il y avait une bonne pièce à regarder. Parmi les intéressés, ce fut la jeune femme qui se reprit la première et s'avança vers le faux humain.
« Tu n'as pas à nous remercier, contra-t-elle doucement. Tu nous as sauvés la vie. Il était normal que nous t'aidions à notre tour, tu ne crois pas ?
-Peut-être, concéda le Kzhan'La en se redressant sans en paraître convaincu, mais je sais qu'il aurait été beaucoup plus simple pour vous de me laisser mourir. De plus, je considère qu'il serait insultant de ne pas vous remercier comme il se doit, conclut-il avec un petit sourire.
-Je comprends mais, après tout ce que nous avons vécu je pense que nous n'avons plus besoin de ce genre de chose, non ?
-Si, acquiesça-t-il après un court silence. » Les spectateurs les observant ne pouvaient comprendre le sens sous-jacent des mots utilisés, mais le réincarné était affreusement conscient de leur présence, surtout qu'il souhaitait demander quelque chose qui, si on ne connaissait pas son passé, était plutôt honteux. Regardant la jolie jeune femme dans ses yeux noirs durant de longues secondes avant de détourner les siens avec un air embarrassé, il se racla la gorge faiblement avant de reprendre la parole : « Est-ce que je pourrais te parler seul à seul, Jenny ?
-Mmh, oui, fit-elle faiblement. » Ses joues rougissaient alors qu'ils s'éloignaient des autres sous leurs regards légèrement moqueurs, et très intéressés, jusqu'à ce qu'ils ne se retrouvent que tous les deux, cachés des autres.
Jenny n'avait jamais été seule avec Asgorath auparavant, et à part sa famille, avec aucun autre homme. Elle avait toujours vu l'individu en face d'elle comme un sauveur certes, mais aussi comme un membre des races démoniaques. Cependant, il avait là une apparence humaine, lui rappelant que le démon qui les avait sauvés était un mâle, et assez beau en plus de cela.
Cette réalité s'imposa à l'esprit fertile de la jeune fille qui devint encore plus gênée et consciente de l'homme en face d'elle. Ses joues rougirent encore plus, et de nombreuses images et situations naquirent dans son esprit, laissant des émotions mitigées derrière elles.
« En fait, je voudrais te demander si tu peux m'apprendre à lire, dit le démon en un souffle.
-Hein. » Ce fut le seul son qui sortit de la bouche de Jenny, qui s'attendait à une toute autre chose après la façon dont il avait agi. Elle s'attendait, elle espérait même, autre chose. Cela l'embarrassa, mais l'énerva aussi. Ses joues restèrent rouges, mais pas pour les mêmes raisons. Elle se reprit néanmoins et répondit d'une voix inconsciemment acide : « Parce que tu ne sais pas lire ?
-Tu connais mon passé Jenny. L'endroit où je suis né et où j'ai vécu n'est pas vraiment le genre où le bien être des habitants, si on peut les appeler comme cela, est pris en compte, répliqua d'un ton égal le réincarné. Ou plutôt si, il est pris en compte, pour notre malheur.
-Désolé, s'excusa la jeune femme d'une petite voix.
-Ce n'est rien. Je suis désolé de te l'avoir demandé aussi abruptement, cependant, si je veux pouvoir m'intégrer dans la société hu … dans la société, apprendre à lire est nécessaire. Sans parler de pouvoir suivre les enseignements de l'Académie des Neufs Voies.
-Tu vas vraiment aller à l'Académie ?
-Oui. Je n'ai pas vu beaucoup du monde, mais j'ai bien compris comment il fonctionnait. Celui qui a le poing le plus dur a raison. C'est tout aussi simple que cela, mais mon poing n'est pas assez dur pour le moment.
-Très bien, je t'apprendrai à lire et t'aiderai à rentre dans l'Académie, décida Jenny. Tu mérites bien cela pour ce que tu as fait pour mon frère et moi. Par contre …
-Ne t'en fais pas. Si on découvre la vérité à mon compte, je ferai en sorte que l'on ne vous soupçonne pas de l'avoir su.
-Merci beaucoup. Tu nous as beaucoup aidés et pourtant, si on en arrive là, nous devrons t'abandonner.
-Je comprends très bien. De toute façon, dans ce cas, il y a très peu de chances que vous soyez utiles, donc autant ne pas gâcher vos vies, non ? Asgorath conclut avec un léger sourire sur les lèvres. »
Ce sourire était très léger mais, même ainsi, il paraissait forcer à cause de ses yeux restés froids, sans aucune émotion se propageant dedans. Comme toujours, ou presque, les émotions du démon semblaient inexistantes pour la jeune fille, et ses sourires vides de sens. Cela lui serra le cœur sans qu'elle ne comprenne pourquoi. Elle n'aimait pas voir son sauveur et celui de son frère agir ainsi.