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Nous avons les mêmes sentiments.

« Il semble que vous vous intéressez beaucoup à notre chef, n'est-ce pas ? »

Au début, Hana fut un peu décontenancée par la précision de la déclaration de Ren. Puis elle paniqua un peu. Allaient-ils la critiquer si elle disait la vérité ? Se moquer d'elle ? Ou même se mettre en colère ?

Elle évitait autant que possible tout contact visuel avec ses trois nouveaux collègues, se concentrant soit sur les motifs du bois de la table, soit sur ses baguettes restées alignées sur ladite table, soit sur les menus affichés sur le mur de l'autre côté de la salle.

Mais c'est alors que…

« Est-ce que, peut-être, tu es tombée amoureuse de lui au premier regard ? » Demanda sincèrement Mari.

Le ton de sa voix était calme et empli de gentillesse, ce qui permit à Hana de se sentir à nouveau à l'aise. Comme si la femme plus âgée avait ressenti son angoisse, et avait voulu la rassurer un peu.

Cela permit à Hana d'avoir du courage, même s'il était presque inexistant, et de se ressaisir.

Elle tourna la tête vers la femme portant des lunettes aux montures rouges rondes et fines, et Hana la regarda droit dans les yeux.

« Et si c'était le cas ? » Demanda Hana, avec un regard confiant, malgré sa voix légèrement tremblante.

« Oh ! » Laissa échapper Mari, surprise. La femme plus âgée se précipita pour doucement prendre les mains d'Hana dans les siennes. « Alors il y avait vraiment quelque chose ! »

« Je ne me trompe jamais quand il s'agit de vous observer tous, » sourit fièrement Ren.

« Direct lors de ton premier jour ? » S'interrogea Yuuto. « Tu ne l'as vu que pendant, quoi ? Cinq minutes entières ? Et tu appelle ça de l'amour ? »

« Oh tais-toi Yuuto-kun ! » Le rembarra Mari. « Ce qui compte, ce n'est pas la durée, mais l'intensité. Pas vrai ? »

« Mais… Je comprends vraiment pas... » Soupira Yuuto, encore confus. « Les femmes sont vraiment étranges... »

Ren tapota rapidement le dos de Yuuto, avant de reporter à nouveau toute son attention sur Hana. Il n'était visiblement pas entièrement satisfait de sa réponse, et la fixait du regard malgré lui. Mais ça ne voulait pas dire qu'il n'éprouvait aucune sympathie envers Yuuto, qui était en territoire inconnu en ce qui concernait les sentiments, ou même les femmes.

« Mais… Le Chef est pas déjà prit ? » Demanda Yuuto. « Je veux dire… C'est vraiment un vieux, lui… Alors je serais pas surpris qu'il ait déjà quelqu'un. »

Ren soupira lourdement. « Yamamoto-san parlant de la vie amoureuse de notre Chef ? Laissez-moi un peu de répit, là... »

« Tu veux dire quoi par là ? » Demanda Yuuto, toujours aussi perdu.

« De toute façon, ce n'est pas comme si vous pouviez comprendre ce genre de chose, pas vrai ? » Soupira Ren.

Ok. Elle commençait peut-être à les comprendre.

Yamamoto Yuuto ne savait rien de la vie en dehors de son travail et était plutôt naïf. Ito Ren était un bourreau de travail trop curieux et avec beaucoup de manières.

Quant à Hasami Mari, elle était…

Hana s'agita encore un peu sur son siège, ses mains toujours prisonnières de celles de Mari.

« Je… J'ai vérifié plus tôt... » Commença Hana. « Et… Il n'avait pas de bague, sur aucune de ses mains... »

« Qu'est-ce que t'es maline, Hana-chan ! » S'exclama Mari, rayonnante.

C'est vrai. Hasami Mari était ce genre de femme. Le type avec lequel vous pourriez devenir amie presque instantanément, naturellement. Comme si elle était une amie perdue depuis longtemps, et que vous veniez de retrouver.

Alors Hana ne pouvait s'empêcher de se sentir à l'aise avec elle.

Mari relâcha sa prise sur les mains d'Hana, reportant momentanément son attention sur son bol de ramen. Elle semblait ravie d'avoir commandé une portion de rôti de porc pour aller avec.

Ren vida son verre de thé glacé puis le reposa devant lui sur la table, les glaçons venant heurter avec un son cristallin les bords du verre. Puis il se racla la gorge.

« N'importe qui aurait pu le savoir, même sans des capacités d'observation extraordinaires, » déclara Ren, sans s'adresser à qui que ce soit en particulier. « Je veux dire… Est-ce que vous observeriez son mauvais caractère, tous les jours pendant trois cent soixante-cinq jours d'affilée, et penseriez 'Woah, ce type doit avoir une ravissante et aimante femme qui l'attends à la maison' ? »

« Probablement… Pas... » Concéda Yuuto tout en mâchant lentement ses ramen. « Il n'a sûrement pas de petite amie non plus, avec toutes les heures supplémentaires qu'il fait chaque jour... »

« Pourriez-vous s'il vous plaît vous abstenir de parler en ayant la bouche pleine, Yamamoto-san ? » Réprimanda Ren.

« Et c'est reparti… Quel grand-père il fait celui-là... » Marmonna Mari dans sa barbe.

Une fois de plus, Ren ne réagit pas à ces taquineries et commença lui aussi à manger son plat.

« Mais… Maintenant que tu le dis… » Réfléchit Yuuto à haute voix. Il essuya en même temps du bouillon au coin de ses lèvres, puis d'un air pensif, regarda Ren. « Une fois j'ai vu son fond d'écran de téléphone, et c'était même pas une personne ou un endroit connu. Ou même un truc intéressant. C'était juste… basique ? »

« Eeeeh, là tu deviens flippant, Yuuto-kun ! » Réagit Mari en simulant un frisson. « À agir comme un stalker ! »

« Je doute fortement que Yamamoto-san soit capable de réussir quelque chose comme ça... » Souffla Ren. « Il devrait d'abord s'intéresser à quelqu'un pour que cela se produise, et vous savez comment il est, Hasami-san. »

« Comment… Je suis ? » Répéta Yuuto, douteux.

Mari jeta un regard en coin à Yuuto et fit la moue. « Ouais… Aucune chance. »

Cela fit sourire Hana.

Le reste de leur déjeuner fut consacré en bonne partie à des discussions autour du travail et des questions diverses qu'Hana posait. Ses trois collègues lui donnèrent également des conseils quant à la façon de gérer sa première semaine de travail.

Éventuellement, ils terminèrent leur repas et sortirent du petit restaurant pour regagner le bâtiment de l'entreprise.

« Partez devant les gars ! Hana-chan et moi allons nous acheter une glace avant de reprendre le travail ! » Sourit Mari tout en prenant Hana par le bras.

Les deux hommes ne remirent pas en question sa décision – ils haussèrent à peine un sourcil et hochèrent la tête, vraiment – et continuèrent leur chemin vers leur lieu de travail.

« M...Mari-san ? » Bégaya Hana ; surprise par le geste soudain de la femme plus âgée qu'elle.

« Allons-y, Hana-chan ! » Insista Mari tout en tirant sur le bras de la jeune femme.

Mari traîna ensuite derrière elle la jeune femme, et la conduisit dans une autre petite boutique vendant des boissons froides et chaudes, ainsi que toutes sortes de saveurs de glaces.

La boutique s'appelait « Sweet Lavender », et conformément à son nom, l'intérieur de la boutique avait été peint avec de nombreuses nuances de violet ; le violet pastel en étant la couleur prédominante.

Il y avait deux zones assises pour consommer sur place : une salle à l'intérieur, et une terrasse extérieure avec des tables et des chaises ombragées par trois immenses parasols blancs.

Les armoires réfrigérantes renfermaient au moins une douzaine de saveurs différentes, formant un arc-en-ciel désorganisé et chaotique. Mari et Hana examinèrent soigneusement le nom de chaque parfum.

Le choix de chacun dépendait principalement de votre état d'esprit et de vos émotions sur le moment, mais également de la préférence de chacun pour un goût plus qu'un autre. Alors que Mari était enthousiaste et désireuse de partager des choses personnelles, Hana était plus anxieuse, se demandant ce que Mari allait aborder comme sujet.

Quelques minutes plus tard, les deux femmes étaient assises sur un banc, juste devant l'un des espaces verts devant l'immeuble de Marline Insurance. Les températures automnales étaient encore assez chaudes pour profiter des espaces extérieurs sans ressentir une brise fraîche. Et la vue était assez belle, les feuilles d'érable commençant à virer à l'orange et au jaune, mais ne portaient pas encore de rouges profonds et vibrants.

Ce n'était que le début de tous les changements qui se produisaient à la fin de l'été, et Hana pensa que cela reflétait un peu sa propre vie personnelle. Les choses changeaient également pour elle, en ce moment même. Elle n'était pas sûre que ce serait un changement aussi significatif que ceux qu'elle avait subis auparavant. Mais décrocher un emploi était déjà un grand pas en soi. Toutefois, elle ne savait pas encore si elle allait dans la bonne direction.

« Alors… Je suppose que tu ne nous as pas tout dit plus tôt. Pas vrai ? » Devina Mari ; concentrée à amasser suffisamment de glace à la fraise sur sa petite cuillère en bois.

Encore une fois, Hana fut un peu surprise.

Les adultes étaient vraiment vifs d'esprit. Cela la fit un peu frissonner.

C'était un vrai changement de rythme pour elle, même avec les études qu'elle avait suivies précédemment. Il n'y avait pas plus franc et ouvert d'esprit que les vrais travailleurs adultes. Et elle se trouvait actuellement là : hors de son propre monde, à la découverte de choses étranges et surprenantes. Intéressantes, palpitantes, effrayantes choses.

Elle avait 21 ans, mais cela ne faisait pas forcément et pour autant d'elle une adulte. Elle se sentait figée dans le temps, depuis sa dix-septième année. Comme si rien n'avait changé depuis.

Pourtant, elle avait déjà tous les devoirs, les responsabilités, et les règles qu'un adulte devait respecter.

Alors, elle n'était pas vraiment sûre d'elle. Loin de là. Mais peut-être qu'en se montrant courageuse, et en n'abandonnant rien derrière elle, elle pourrait vraiment changer, encore une fois. Comme à cette époque.

Elle regarda Mari droit dans les yeux, malgré son cœur qui battait la chamade. Mari , quant à elle, était toujours en train de fixer sa coupe de glace.

« Je n'ai peut-être pas tout dit… Mais qu'est-ce qui te fais penser que je vais tout te dire à toi ? Nous venons à peine de nous rencontrer aujourd'hui. » Dit sèchement Hana.

Mari sourit, puis délaissa la coupe de glace toujours dans ses mains pour diriger son regard vers Hana. Cette fois, les deux femmes se regardaient l'une l'autre dans les yeux.

Il était tout à fait justifié de se méfier des autres au quotidien. Hana le savait parfaitement. Elle avait l'air naïve et ignorante. Mais ce n'était qu'une façade. Il n'y avait pas plus méfiant qu'elle, vis-à-vis des autres. Aussi, les personnes qu'elle pouvait croire, et en lesquelles elle avait confiance aveuglément, se comptaient sur les doigts de la main.

Toutefois, Hana sentait que Mari avait la manière de la surprendre en permanence, et de lui faire baisser sa garde. Et ce qu'elle dit par la suite ne fit que confirmer cette impression.

« Tu as raison, on ne s'est rencontrées qu'aujourd'hui... » Concéda Mari.

« Mais je suis persuadée que nous avons les mêmes sentiments. »

Je mange des crèmes glacées n'importe où, n'importe quand. Même sous la pluie. Ce qui me vaut parfois des regards de la part des gens, qui doivent penser que je suis folle. Mais qui s'en soucie? Pour moi, ce qui importe le plus, c'est le goût de la glace!

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