Oncle et nièce entrèrent dans le restaurant. Il était bâti en terre battue et n'avait aucune porte. Il y avait une ouverture entre les quatre murs et le toît était fait de feuilles de palmier tressées.
Des arômes délicieux parfumaient les lieux. Certains clients s'empiffraient déjà. Ils étaient aussi divers que la population d'Okundé. Soldats, civils, hommes, femmes et enfants occupaient les longs bancs en bois qui étaient cloués au sol.
Il n'y avait point de table. Ainsi, ils tenaient dans les mains leurs mets emballés dans des papyrus jetables alors que leurs boissons étaient posées par terre ou sur une brique devant eux.
Poisson frit, poulet rôti, cassoulet, beignets de manioc, bouillie et jus de mangue étaient vendus à une vitesse éclair. Pour être servi, il fallait faire preuve de patience.
"Mami Makala, à quand mon tour ? J'ai déjà trop attendu," se plaignit bruyamment un homme en uniforme à la vieille commerçante.
Suzie et son oncle étaient figés devant l'entrée du restaurant. Une petite fille de huit ans d'âge vint vers eux et leur adressa la parole.
"Tantine, Pépé, prenez place à l'autre bout là-bas !" les invita-t-elle.
"Merci, ma petite !" répondit oncle Bibi à la fillette.
Il attrapa ensuite Suzie par la main droite et ils se dirigèrent vers le banc qu'on venait de leur montrer. Ils s'asseyèrent et comme les clients arrivés avant eux, ils s'inscrivirent dans la file d'attente.
Après quelque temps, la petite fille s'approcha à nouveau d'eux.
"Tantine, Pépé, qu'est-ce que vous commandez?" Elle interrogea les visiteurs d'Ékulé.
"Je peux voir à travers votre accoutrement que vous n'êtes pas de la région. Vous venez sûrement de la cité impériale, Ékulé. N'ai-je pas raison?" souligna la fillette alors que les deux voyageurs n'avaient pas encore apporté une réponse à la question précédente.
Gêné que la curiosité un peu trop enlevée de la fillette risquait de compromettre leur mission de délivrance du bûcheron, oncle Bibi lui fit un clin d'œil puis lui demanda de se taire en mettant discrètement son doigt sur ses lèvres closes.
Enfin, il changea malicieusement le sujet en murmurant dans l'oreille de la petite fille : "Amène à chacun de nous un gros maquereau frit et cinq beignets de manioc, ainsi qu'un bol de bouillie sucrée."
"Très bien, Pépé! Je reviens tout de suite," lui dit gaiement la fillette avant de les laisser.
Quelques instants plus tard, elle se représenta avec deux papyrus remplis de nourriture. Elle en remit un à l'oncle Bibi en lui disant : "Bwam, Pépé !", et distribua l'autre à Suzie en lui soufflant : "Bwam, Tantine!"
"Alors comme ça tu es originaire de l'empire Batumba!" s'exclama oncle Bibi à l'endroit de la petite fille qui acquiesça.
Elle s'éclipsa pour un bref moment et revint avec deux bols de bouillie qu'elle posa sur la brique devant les visiteurs d'Ékulé.
Ils avaient commencé à savourer leur repas. Suzie avait desserré son foulard afin de pouvoir glisser sans difficulté dans la bouche, l'appétissant poisson frit et les croustillants beignets de manioc.
Oncle Bibi replaça son chapeau sur la tête pour que ses yeux ne puissent être vus des autres personnes dans le restaurant. Il mangeait et faisait attention au moindre de ses gestes.
Lorsque les deux voyageurs eurent fini avec le plat de résistance, ils avalèrent leur bouillie.
"À présent, il est temps que nous nous en allions d'ici et que nous trouvions un logement pour la nuit." Oncle Bibi avisa Suzie et se leva du banc aussitôt.
Il retira deux Bantagi de la poche droite de son Boubou. Avec un signe de la main, il appela la fillette de l'empire Batumba. Celle-ci accourut vers lui et il lui réclama l'addition.
"Quel est le montant de notre facture ?" demanda oncle Bibi à la petite fille.
"Un Batangi," répondit-elle.
"Tiens deux Batangi et garde la monnaie !" réagit l'homme mi-âgé tout en lui souriant.
Ensuite, il se tourna vers Suzie et lui chuchota : "On s'en va, ma petite chérie !" et sans tarder ils quittèrent les lieux.
Le soleil avait presque disparu dans le ciel. Alors ils se dépêchèrent dans l'espoir de trouver un abri où ils pouvaient y passer la nuit.
Oncle Bibi aperçut de loin une enseigne marquée avec les inscriptions 'Quatre Batangi pour une nuit au royaume de Iyô'.
"Là droit devant nous! Nous pouvons nous y reposer," déclara-t-il en montrant la direction avec son index droit.
"Suis-moi!" Il enjoignit sa nièce.