webnovel

Secrets sur la Magie

Alors qu'ils s'immisçaient dans les grandes plaines entourant Horizon, Lissandra s'arrêta un instant. Elle observait la vue imprenable qui s'offrait à elle.

De jour, l'immense astre qui surplombait le paysage se voulait plus discret, mais restait nettement apparent. Des traînées pâles, presque imperceptibles la nuit, gravitaient autour de lui et accentuaient le mystère qu'il dégageait. 

Fenris remarqua bien assez tôt le regard admiratif de la jeune fille et souhaitait apporter ses connaissances sur le sujet.

— Sais-tu ce que c'est ?

— Vous parlez de la Sphère de Damoclès ?

— Oui.

Elle prit un air incertain.

— Hé bien… Selon les mythes, elle se serait formée suite aux nombreux péchés commis par les midgaïens. Lorsque nous ne pourrons plus expier nos fautes, elle absorbera notre monde et nous disparaîtrons avec lui...

En dehors de la Main Solaire - qui vénère Solaris comme un dieu vivant - d'autres cultes religieux peuplant Midgaïa vouent une admiration tout aussi infaillible envers cette colossale sphère qu'ils nommèrent "Damoclès". Profitant de ce mélange entre foi et crainte, ils diffusèrent des savoirs contrefaits, dénués de sens ou de preuves tangibles pour renforcer les croyances et frayeurs de leurs fidèles. 

Le développement croissant de ces religions n'est finalement pas surprenant, car malgré les nombreux érudits que ce monde porte, les midgaïens ne se sont jamais intéressés à l'astronomie. Il n'y a d'ailleurs, jusqu'ici, aucun terme pour désigner ce genre d'études. Et pour cause, il y a la magie, qui occupe bien trop leurs esprits pour penser à ce qu'il y a dans les cieux. 

Fenris riait face aux propos de l'élémentaliste, car ils ne donnaient lieu à aucune prise de recul sur le sujet.

— Ne me dis pas que tu es de ce bord ?! Enfin bon, c'est normal. Dans votre monde, vous ne vous intéressez pas à ce qu'il se passe là-bas, jugea-t-il en pointant la sphère avec sa patte.

Lissandra croisa les bras d'un air suspicieux. Elle, qui avait étudié un grand nombre de thèses malgré son jeune âge, ne voyait pas comment il pourrait avoir plus d'informations à ce sujet. Pour une fois, ce fut elle qui paraissait insolente.

— Parce que vous en savez peut-être quelque chose, Sire Fenris ?

Le louveteau ricana de nouveau, non surpris par sa réaction.

— Ne me sous-estime pas, fillette ! Là d'où je viens, les humains pouvaient voyager dans l'espace.

— L'espace ? D'autres humains ?

Il la déstabilisa avec ces quelques mots.

— Hmm, comment t'expliquer… L'espace est ce qu'il y a au-delà des cieux. Et oui, il y a... du moins, il y avait d'autres humains quelque part dans l'univers. Peut-être que je me trompe. Après tout, cela fait une éternité que je n'y ai pas mis les pattes. Vu la façon dont ils géraient leur monde, cela ne m'étonnerait pas que je sois dans le vrai...

Les yeux de Lissandra se remplirent d'admiration.

— V-Vous voulez dire qu'il y a des choses et des êtres vivants au-delà de Midgaïa ?!

— Bien sûr ! Si j'en crois certains dieux, on peut même voir le soleil de ce monde d'ici.

— Ah bon ?! Où est-il ?!

— Oh, il est bien trop éloigné pour être visible la journée ! Je pourrais te le montrer de nuit, au manoir. En ce qui concerne la Sphère de Damoclès, ce n'est rien d'autre qu'une planète. Un astre autour duquel Migaïa gravite.

— Alors Midgaïa serait aussi une planète ?

— Hmm... techniquement non, ce serait plutôt une lune. 

— Une lune ? Désolé je n'y connais vraiment rien au sujet, affirma Lissandra avec un sourire gêné.

Fenris acquiesça avec compassion.

— Je pense que nous devrions discuter de cela une autre fois... Il y a tellement à dire, mais nous ne sommes pas ici pour ça !

La jeune fille acquiesça à son tour.

— Bien ! Du coup que peux-tu me dire sur la magie en un simple résumé ?

Même si l'élémentaliste connaissait la réponse, elle prit un moment de réflexion comme si c'était une question piège.

— Hmm... Hé bien... C'est une énergie qui se matérialise selon l'affinité que nous possédons. Le cristal que nous portons nous aide à canaliser le mana ambiant et puise dans notre endurance à chaque incantation lancée. Utiliser la magie provoque peu à peu un état de fatigue et en abuser peut s'avérer mortel. Il faut également prier le bon élément pour obtenir les sorts convoités.

— Oh… Je m'attendais à un résumé plus léger de ta part, mais oui c'est le principe ! Je vois que tu as bien appris tes leçons, cependant... tu te trompes sur certains points.

— V-Vraiment ?!

— Oui, et ce n'est pas étonnant ! Hormis le fait qu'il s'agisse bien d'un don provenant du Dieu Primordial Chaos, la Kabbale n'a jamais enseigné les vérités à ce sujet. Il n'y en a donc aucune trace, du moins pas dans l'empire élyséen.

Lissandra se montrait suspicieuse, mais restait attentive aux paroles de la divinité.

— En effet, la magie est une puissante énergie matérialisée par un flux que l'on retrouve dans l'air. Cependant, les éléments que tu pries n'existent pas à proprement parler.

Elle fronça les sourcils.

— En fait, ce que vous appelez affinité ne représente pas une connexion aux éléments, mais bien une appartenance à ces derniers. À vrai dire, ils sont déjà présents en vous, dans vos gènes. Vous les développez tout au long de votre vie et les transmettez à votre descendance.

— Attendez… Cela veut dire que les prières que nous exauçons seraient… inutiles ?!

— On peut dire ça, répondit-il d'un regard moqueur.

— Dans ce cas, alors pourquoi nous avoir enseigné cela si c'est aussi aisé ?! s'exclama-t-elle stupéfaite.

— Hmm... Je pense que les professeurs vous apprennent à incanter vos sorts pour vous forcer à visualiser votre magie. C'est une étape obligatoire et la méthode la plus facile que des humains lambdas aient trouvée pour pouvoir l'utiliser. En résumé, si vous utilisez correctement votre psyché, vous pouvez lancer directement vos sortilèges.

— Donc si je visualise simplement ma magie… Je pourrais l'employer sans incantation ?

— Ton raisonnement est grossier, mais c'est à peu près ça. En fait, tu le fais déjà inconsciemment.

— Mais, c'est fantastique !

— Oui, cependant ce n'est pas tout !

— Quoi donc, Sire Fenris ?

— L'hypocrisie que j'ai énoncée tout à l'heure n'est pas seulement en rapport avec les éléments que vous priez... mais plutôt ce que vous vous complaisez à appeler "Mana". Cela ne t'a jamais paru étrange que cette simple énergie imperceptible vous permette d'employer un tel pouvoir ? Tu ne t'es jamais demandé ce qu'elle est et d'où elle provient ?

Lissandra prit un air songeur en se tenant le menton.

— Maintenant que vous le dites... Cela m'a déjà traversé l'esprit en effet, mais je n'ai jamais rien lu ou entendu me faisant penser le contraire !

— Oui, et c'est là tout le problème ! Étant donné que c'est un sujet à controverse, cette vérité est étouffée depuis des siècles. Les sages qui s'étaient le plus rapprochés d'elle se sont rapidement vus bannis par les communautés qui employaient la magie.

— Et que… quelle est donc cette vérité ?!

— Hé bien, qui dit don de Chaos, dit pouvoir divin. Voilà ce qu'est la magie.

— Aussi décevante soit votre réponse, oui cela semble logique.

Lissandra ne comprenait pas le point de vue de Fenris. Il souhaitait la faire raisonner au-delà des aprioris contrefaits qu'elle se forgea au fil de ses études, chose qui paraissait difficile à première vue.

— Tu es bien trop impatiente fillette… soupira-t-il. Penses-tu qu'utiliser un pouvoir divin ne demande aucune compensation ?

Elle s'interrogea avec stupeur.

— Quelle compensation devrions-nous apporter alors ?

— Des âmes.

— Des "âmes" ?!

— Oui. C'est le prix à payer pour employer la magie.

— Qu'entendez-vous par là ?! Vous parlez de notre "âme" ?

— Non, sinon vous ne vivriez pas bien longtemps ! Je parle des âmes qui vous entourent et que vous côtoyez en permanence sans les voir ni les ressentir.

— Mais… lorsque l'on meurt, l'âme n'est-elle pas censée s'échapper de notre corps et tout simplement disparaître ?

Le concept de l'âme est ambigu en Midgaïa, car chaque espèce a sa propre vision de la mort. Pour les humains, c'est un flux imperceptible qui les maintient en vie, reliant le corps à la psyché. Selon leurs théories, si un être vivant meurt c'est que cette liaison vitale s'est rompue et que l'âme a disparu de la surface du monde.

— C'est la vision naïve que vous, humains, vous faites sur votre propre mort. Cependant, la réalité est bien plus cruelle. Que votre corps soit en train de pourrir, ou bien à l'état de poussière... la lueur qui vous a animé tout au long de votre vie, elle, continuera d'errer dans les airs et servira fatalement de carburant magique.

Une légère nausée envahissait soudain Lissandra.

— C'est… C'est horrible.

— Je ne sais pas. Comme je te l'ai déjà dit à de nombreuses reprises, étant une divinité, je n'ai aucune empathie pour la mort. Qui plus est, la mort signifie pour vous une obscurité éternelle, le Néant. Je doute que vous ayez encore une quelconque conscience à cette étape. 

Fenris se rapprocha d'elle, la touchant avec sa patte.

— Alors, est-ce que l'utilisation de la magie est finalement si fantastique ? 

— Non… pas du tout.

Malgré le malaise que cette nouvelle engendra, Lissandra se ressaisit avec un regard déterminé. 

— Donc... Le Mana n'est en fait que des résidus d'âme provenant d'êtres vivants jadis ?

Le louveteau fut surpris par ce regain de motivation soudain.

— Hé bien… oui. Pour information, Sin avait également été choqué en l'apprenant. Depuis, j'ai l'impression qu'il modère l'utilisation de ses sorts à cause de cela.

— Vous… Vous prenez comme exemple le combat contre l'ogre ?

— Par exemple, oui. Étant donné que son pouvoir consomme énormément de mana, il a attendu le dernier moment pour l'employer contre ce démon. En y réfléchissant bien, cette source d'énergie semble intarissable lorsque l'on observe l'écosystème de Midgaïa. Cependant, il n'est pas exclu que d'ici plusieurs siècles, voire plusieurs millénaires, la magie disparaisse si leurs utilisateurs en abusent...

L'esprit de Lissandra était en proie à une forme de chaos psychologique. Alors que des interrogations s'échappaient, d'autres les remplaçaient.

— D-Dans ce cas… Que me conseillez-vous, Sire Fenris ?

— Cela ne dépend que de ton éthique ! Mais si ce détail ne te dérange pas, nous pouvons continuer, déclara-t-il en arborant un sourire carnassier.

Une hésitation palpable se lisait sur les traits pâles de l'élémentaliste. Malgré la pression que cette nouvelle exerçait, elle acquiesça en reprenant son regard déterminé.

— Bien, fillette ! Maintenant que tu connais la vérité sur le Mana, poursuivons. À ce propos et comme pour le reste, il vaudrait mieux éviter d'ébruiter ce genre de choses.

— P-Pourquoi ?

— Tu n'as aucune preuve tangible mis à part mes paroles. Tu passerais certainement pour une folle et te feras définitivement radier de la Kabbale…

— Je vois...

— Concernant l'emploi de tes sorts, même si je t'ai appris quelques exercices, cela ne suffira pas. Il te faudra pratiquer davantage et régulièrement jusqu'à ce que ton niveau soit convenable. Le but étant que tu deviennes indépendante.

— Indépendante ?

— Oui. Jusqu'à ce que tu puisses gérer tes limites sans que l'on ait à te porter en fin de journée !

— Ah… murmura-t-elle d'un sourire gêné.

— Concernant ton endurance, tu sais déjà que plus tu utiliseras de sorts et plus celle-ci grandira. C'est une réaction physiologique. Ton corps s'habituera progressivement à l'énergie vitale que tu puises pour les employer.

— Peut-on la considérer comme un muscle ?

— C'est à peu près le principe oui, même si pour le coup il est imaginaire ! En tout cas, si tu veux devenir plus forte rapidement, tu devras l'épuiser chaque jour.

Cette nouvelle ne réjouissait pas Lissandra, car elle en avait déjà eu un aperçu cette semaine. Son regard montrait des signes de frayeur, appréhendant les futurs entraînements acharnés que la divinité lui réservait.

— Ne t'inquiète pas ! Si tu te nourris bien, ton corps le supportera. C'est un peu comme si tu pratiquais régulièrement une activité physique intense ! Avec un bon repas et une nuit de repos, tu devrais être de nouveau sur pied le lendemain. Tu as de la chance, Sin est un excellent cuisinier !

— Vous… Vous avez raison ! Ce… Cela ne devrait pas être insurmontable ! acquiesça-t-elle d'un grand sourire peu rassuré. Et à présent… Dois-je vous appeler "Maître Fenris" ?

Le louveteau prit un air perplexe face à cette demande soudaine.

— Hmm… Je ne sais pas, mais cela sonne plutôt bien ! répondit-il finalement avec arrogance.

Par la suite, il montra Lissandra comment employer ses sorts sans incantations, ainsi que des conseils pouvant s'avérer utiles à l'avenir. Comme elle était débutante, la séance ne s'éternisa pas avant qu'elle ne soit épuisée.