Arrivé à l'entrée du donjon, Fenris fixa la longue épée qui recouvrait le dos de son partenaire.
— Vas-tu te servir de ça à l'intérieur ? Tu ne feras pas grand-chose dans les étroits couloirs qu'il y a là-dessous vu sa taille… suggéra-t-il avec un air dubitatif.
Sin observa le passage et prit une pose de réflexion exagérée.
— Si c'était vraiment le cas, alors tu ne pourrais pas non plus y circuler.
— Hé ! Je ne suis pas si gras que ça... clama-t-il en regardant ses flancs poilus dans le doute.
— Trêve de plaisanteries. Tu penses que je vais utiliser ça sur du menu fretin ?
— Jusqu'ici, je ne t'ai jamais trouvé très savant. Donc oui, je suppose.
— Tu me fatigues, finissons rapidement cette quête... soupira-t-il.
Le duo pénétra dans les ruines, s'enfonçant dans ses profondeurs obscures et silencieuses. Habitués à ce genre d'endroit dont l'ambiance malsaine ferait pâlir le plus téméraire des aventuriers, ils ne montrèrent pas la moindre hésitation lors de leur descente.
— Hmm... ce donjon est bien habité. Je sens l'odeur de la mort et de la merde à des lieux. Je parierai sur des petits démons sodomites, affirma le loup en humant l'air putride qui y flottait.
— Des gobelins ?
— Oui, sans aucun doute ! Il y a autre chose, mais je n'arrive pas à le décrire avec cette puanteur.
— Nous vérifierons ça une fois au bout. Je te laisse la reconnaissance.
Malgré sa nature divine, Fenris gardait ses capacités animales comme celle de voir dans le noir ou encore de pister les odeurs. De son côté, Sin alluma une torche. Bien que son partenaire avait un visuel affuté, lui n'y voyait strictement rien.
Ils avancèrent sans escale jusqu'au hall d'entrée. Le chevalier repéra aussitôt un mur de roche suspect sur la partie droite de la pièce. Il posa la main dessus pour vérifier sa composition. Ce dernier s'effritait légèrement au contact de ses doigts métalliques.
— Intéressant… Ce mur n'est pas naturel. C'est un sortilège de Terre qui a été lancé récemment... Cela veut dire que le groupe que nous recherchons est passé par là.
— En tout cas, la puanteur derrière lui est très forte. Je pense qu'ils ont préféré éviter une contamination par les airs. C'est plutôt malin de la part de simples humains débutants.
— Tu sais, ce n'est pas parce qu'ils sont débutants que ce sont des idiots. Tu nous sous-estimes un peu trop, sac à puces.
— Oh ! Il est rare de te voir défendre ta propre espèce, tête d'enclume !
Sans prendre davantage part à la conversation, Sin observa les alentours afin de trouver un accès où le groupe d'aventuriers aurait pu se diriger. Malgré l'obscurité ambiante, il repéra sans mal la galerie de l'autre côté de la pièce.
— Par ici.
Alors qu'ils empruntaient cette nouvelle voie, il aperçut soudain une anomalie au niveau du plafond.
— À ton avis, c'est une trappe ? demande Sin.
— Aucune idée. Je te rappelle que je ne suis pas architecte, précisa la divinité avec insolence. Hmm… C'est sûrement un vieux mécanisme de l'époque des anciens. Ils inventaient des choses farfelues pour tendre des embuscades ou fuir lorsqu'ils se faisaient attaquer.
Des échos commencèrent à sortir de l'ouverture comme si quelque chose approchait, provoquant une joie soudaine dans le regard vif de Fenris. Celui-ci se léchait les babines en pensant au festin inattendu qui se présentait :
— Hé bien, j'ai l'impression que mon prochain repas est arrivé !
— Les gobelins ont bon goût ?
— Pas vraiment vu qu'ils se nourrissent surtout d'elfes et d'humains. Il faut dire que vous n'êtes pas spécialement appétissant !
— Alors pourquoi irais-tu les manger, idiot ?
— À qui la faute ?! Je n'ai pas pu chasser avec ta quête de dernière minute.
— D'accord, je te les laisse... Ne traîne pas et rejoins-moi dès que tu as terminé, exigea Sin en continuant sa route.
Comme les gobelins peuvent aussi voir dans l'obscurité, le loup géant se plaça en retrait dans un coin de la salle. Les petits démons descendirent de la cache secrète avec malice. Ils exprimaient des rires sadiques en pensant au piège qu'ils allaient tendre. Néanmoins, grande fut leur déception lorsqu'ils se rendirent compte qu'ils étaient eux-mêmes tombés dans une embuscade. Finalement, ils firent pâle figure quand la bête se rua sur eux avec une vorace brutalité.
Déjà à bonne distance de son partenaire, Sin pouvait entendre les échos de leurs hurlements de terreur. Cependant, il continua sa progression comme si de rien n'était. En respectant la volonté de ce dernier, Fenris le rejoignit une fois sa chasse achevée.
— Roooargh !
Il fit un rot gras, repu par ce casse-croûte improvisé. La désagréable puanteur qui émanait de sa gueule fit réagir instinctivement le chevalier qui lui colla une baffe agile sur le museau.
— Je t'ai dit de ne pas faire ça sous mon nez. Je finirai par perdre l'odorat un de ces jours.
— Raaah, laisse-moi ! Les gobelins ont tendance à me rester sur l'estomac, mais cela faisait si longtemps que je n'en avais pas dévoré, répondit Fenris d'un air ravi.
Il reprit soudain son sérieux, curieux de connaître la raison de cette escapade :
— Au fait, que faisons-nous ici ? J'ai complètement oublié de te demander !
— Frigga m'a sollicité pour secourir une fille. Si tu veux mon avis, c'est peut-être celle qui remplacera Farah.
— Oh… Ne rentre pas dans les détails si cela te fait de la peine.
— ...
— Pour résumer, nous avons juste à récupérer le colis et décamper ? Ça semble plutôt simple ! s'exclama la divinité avec un ricanement singulier.
— Oui, si nous ne rencontrons pas de résistance sur la route. Avec ton arrogance, tu finiras une fois de plus par nous porter la guigne...
Fenris fit un grand sourire en fixant le bout du couloir.
— En parlant de ça, il y a un groupe de gobelins en face. Ta perspicacité est toujours aussi bonne !
Une dizaine de ces créatures s'agglutinaient dans l'intersection du corridor et s'agitaient sur une chose foulant le sol. Les grognements du loup géant les mirent aussitôt en alerte du danger qui s'approchait d'eux. Motivés par leur surnombre, ils se lancèrent à l'assaut du duo sans la moindre préparation.
Leur groupe se montrait équilibré ; composé à première vue d'un mixte d'archers et de guerriers, ainsi que d'un chaman pour les commander. Ce type d'escouade pouvait aisément tenir tête à des aventuriers de rang Argent, voire plus haut selon leur expérience. Cependant, ce ne fut pas le cas pour celle-ci au vu de la confiance aveugle que sa ligne de front exprimait. Plutôt que de couvrir le magicien et les tireurs préparant leurs attaques à distance, elle fonça tête baissée dans la mêlée.
Deux des démons se jetèrent avec précipitation sur Sin. Ce dernier, abandonnant sa torche et sans avoir l'intention de dégainer son épée, attrapa le premier et s'en servit de bouclier face à l'assaut du second. Comme prédit, le gobelin poignarda son congénère dans le feu de l'action. Choqué par son fratricide involontaire, il se mit à hurler de rage :
— GYAAAAAAAAH !!!
Sin l'empoigna par le cou et se débarrassa de l'autre en le jetant contre le mur comme un vulgaire déchet. Prise au piège par ce stratagème peu orthodoxe, sa victime se débattait désespérément tout en vociférant des grognements sauvages.
Conservant son calme et un silence glacial, Sin comprima la gorge du gobelin avec une force telle que ses dents éclatèrent sous la pression exercée. Des flux de sang, accompagnés de fragments d'émail pourri, giclèrent tout autour de lui.
Pendant cette violente étreinte, trois autres démons sautèrent directement sur Fenris.
— Carapace !
Sans incantation, la fourrure de la bête se revêtit d'une lueur scintillante. Ses assaillants, équipés de dagues et d'épées, s'y heurtèrent comme sur un rocher. Sonnés par le choc de l'impact, ils finirent avachis au sol, totalement exposés.
Le loup géant profita de cette vulnérabilité pour les massacrer. Et sans le moindre mal, il répandit leurs tripes sur les parois à coup de crocs et de griffes.
Les archers, terrifiés par ce qu'ils venaient de voir, se firent remettre aussitôt en place par les beuglements de leur chef. Ils tirèrent une première salve sur le duo. Cependant, les flèches de mauvaise facture ricochèrent sur la protection magique de Fenris et l'armure de Sin.
Même si cette première attaque fut un fiasco, le chaman ne comptait pas en rester là. Bredouillant des mots incompréhensibles jusqu'à achever son incantation, il forma une large boule de feu au creux de ses mains crasseuses. La vive lumière qui s'en dégageait illumina les alentours, nappant le corridor d'une intense vague de chaleur. Le visage fier et arrogant, il la projeta aussitôt vers Sin dans un cri barbare.
Non surpris d'être pris pour cible, ce dernier tendit le bras devant l'amas ardent qui se précipitait vers lui.
— Tenebrae Sorbere.
Sous cet appel discret, une ombre ressemblant à une targe se forma autour de sa main. Absorbant l'air ambiant tel un vortex, le projectile brûlant s'y engouffra en totalité et sans le moindre bruit avant de disparaître.
Cette magie dont il ne connaissait rien, pas même l'existence, tordit le visage du chaman d'une incompréhension hystérique. Devant son expression qui en disait long, Sin sut que l'issue de la bataille était renversée. Par conséquent, il s'avança avec une sérénité arrogante vers le reste de l'escouade.
— Ce sort fait toujours son effet sur les magiciens...
Il ramassa une dague perdue par l'un des gobelins puis la jeta - d'une gestuelle assurée et précise - dans la tête de l'incantateur. Celle-ci éclata sous le coup, répandant sa cervelle sur le mur derrière lui avec une grossièreté morbide.
Le moral des archers restants se révéla anéanti pour de bon. Malgré leur surnombre, ils prirent la fuite avec une lâcheté affirmée. Cependant, et contre leur propre volonté, ce geste anecdotique appela les instincts primitifs de Fenris qui se mit immédiatement à leur poursuite. La ridicule lenteur qu'ils démontraient ne leur laissait pas la moindre chance et ils finirent ainsi, et sans surprise, broyés sous la puissante mâchoire de la bête.
Pendant que cette dernière les dévorait avec une gloutonnerie insatiable, Sin atteignit l'anomalie qui retenait les gobelins sur place. Sa torche découvrit une jeune fille nue, le postérieur levé et la tête face contre terre. Le regard livide et larmoyant, son visage était boursouflé de coup. Ses flans révélaient des coups de poignard. En guise d'œuvre d'art démoniaque, un bâton métallique se trouvait enfoncé dans son anus. Peut-être sa propre arme au vue du large chapeau de mage qui foulait le sol non loin de là.
Chaque détail de ce lynchage cruel engendra une montée de colère chez Sin, au point que sa visière s'éclaircisse d'un rouge flamboyant. Lorsque la bête revint à ses côtés, il lui donna une dernière instruction :
— Si l'un d'entre eux essaye de s'échapper, massacre-le.
Fenris observa alors le corps froid de la jeune fille et en déduisit le contexte. Il comprenait le sens de ces paroles et pourquoi l'aura de Sin s'était soudain assombri. Il ne l'affubla pas d'une autre réflexion pompeuse qu'il avait l'habitude d'émettre pour détendre l'atmosphère. Il se contenta simplement d'acquiescer dans un silence respectueux.
Après cet échange muet, Sin étouffa les derniers râles d'agonie des guerriers gobelins en leur écrasant le crâne avec ses bottes. Ce duo ne connaissait aucune pitié, pas même face aux yeux globuleux et larmoyants de leurs opposants. Le regard embrasé sous l'effet de l'adrénaline, ils se dirigèrent tous deux vers la faible lueur qui scintillait au bout du couloir. Finalement, ils constatèrent avec désarroi le chaos qui se déroulait dans la pièce d'où elle provenait.
— Le destin est vraiment capricieux...
À l'entrée se trouvaient plusieurs gobelins agités et qui faisaient barrage à une jeune fille paraissant à bout de force. Au fond, se tenait fièrement un hobgobelin à la carrure démesurée.
— GRRRRROOARGH !!!
Fenris émit soudain un puissant grognement qui résonna jusqu'à l'imposant démon. Son rugissement bestial figea aussitôt le brouhaha qui s'orchestrait dans la salle. Sous cette pression fortuite, les gobelins proches commencèrent à courir vers Lissandra en hurlant de peur.
— Gniaaaaah !!!
Le loup géant se projeta hors des ténèbres dans des foulées lourdes qui firent vibrer le sol sous ses énormes pattes. D'un simple coup de mâchoire, il attrapa les trois créatures fuyardes agglutinées les unes aux autres pour les comprimer avec férocité dans sa gueule béante. Agitant ce qu'il restait d'eux dans tous les sens et avec une brutalité sans limites, leurs membres ensanglantés volèrent partout dans la pièce. Spectatrice au premier rang, l'élémentaliste ne fut pas épargnée par les jets visqueux d'hémoglobine et de chair des petits démons, souillant son visage et sa robe de leurs fluides répugnants.
Elle était en état de choc devant cette violence soudaine qui venait de la sauver. Dans une incompréhension totale, elle aperçut Sin sortir à son tour de l'obscurité. Il poursuivit son chemin et passa à côté de Lissandra sans s'arrêter.
— Bon travail, nous nous occupons du reste.
Les événements submergèrent la jeune fille d'une forme d'adrénaline, lui redonnant un léger coup de fouet malgré son état de fatigue.
Est-ce… un aventurier ? Un dresseur peut-être ? Que… Que fait-il ici ?
Son raisonnement s'avérait ambigu. Elle ne voyait pas la plaque de la Guilde à son cou pour l'identifier avec certitude. Le loup monstrueux qui l'accompagnait laissait supposer qu'il appartenait à l'une des classes maître des rôdeurs, mais l'épée qu'il portait dans son dos lui semblait bien trop imposante pour le confirmer. Finalement, Lissandra abandonna ses investigations fortuites, soulagée à la vue de ce qui paraissait être son sauveur.
Depuis le début, Sin n'avait pas détourné son attention du hobgobelin, sécurisant la situation au cas où ce dernier s'en serait pris aux survivants. Il se dirigea vers lui avec la même assurance dont il fit preuve jusqu'ici :
— Fen, laisse-moi le gros et soigne-les.
— Je ne savais pas que j'étais devenue la prêtresse du groupe... répliqua-t-il en reprenant son arrogance habituelle.
Q-Quoi ?! Il… Je rêve ou ce loup lui a répondu ! songea-t-elle d'un air abasourdi.
— Je pense que la situation est mal choisie pour contester mes décisions.
— Bon sang… Je n'ai encore jamais goûté à un hob ! C'était le moment opportun !
Une fois de plus, Sin soupira face à l'insouciance de son partenaire.
Le temps qu'elle comprenne ce qu'il se passe, les yeux de la jeune fille se remplirent d'admiration.
C'est surréaliste ! Ce... ce n'est pas un simple loup, c'est… c'est... C'est un Esprit !!!
Les anciens récits comparent eux-mêmes les Esprits à des divinités. De par leur rareté, ils sont extrêmement populaires et convoités auprès des magiciens qui rêvent de pouvoir les étudier. Ce terme désigne en général des entités primitives - comme des bêtes, ou des objets par exemple - qui sont douées de conscience et qui peuvent communiquer avec les autres espèces malgré leur nature divergente.
Fenris regarda l'expression étrange de Lissandra avec interrogation :
— Hé ! Tu vas bien ? Tu es blessé ?
— AH… O-Oui ! J-J-Je vais bien, d-d-désolé ! bégaya-t-elle complètement paniquée.
Je ne vois pas sa mâchoire bouger… mais j'entends sa voix dans ma tête. Comment fait-il pour me parler ? songea-t-elle en le dévisageant.
Le loup matérialisa des potions de diverses couleurs dans sa gueule, puis les lui tendit.
— Fillette, bois ça et aide tes amis.
Les fioles de verre étaient couvertes de bave. Elle esquissa un sourire gêné en les attrapant et s'exécuta sur le champ sans poser de question :
— D-D'accord.
Voilà une humaine bien docile. Cela faisait longtemps que je n'en avais pas croisé une qui ne fuit pas à ma simple vue ! pensa-t-il avec amusement.
Lissandra but la potion d'endurance aux teintes marines pour récupérer son énergie et se dirigea vers la rôdeuse. Les effets se firent ressentir instantanément.
Cette potion est incroyable ! J'ai… J'ai l'impression de ne pas avoir utilisé de sorts aujourd'hui !
Dans ce monde, les potions ont un rôle capital pendant les expéditions. Elles permettent de remettre quiconque sur pied sans avoir recours à la magie, à condition que cette personne ne soit pas dans un état critique. Malheureusement, leur efficacité les rend coûteuses de par la nature de leurs ingrédients et la difficulté de leur conception. Elles sont donc inaccessibles pour des aventuriers débutants.
Avec délicatesse, Lissandra déversa le contenu pourpre de la potion de vie dans la bouche de Clara. Les vêtements de cette dernière étaient en lambeaux et son corps portait de nombreuses traces de griffures dans son ensemble.
— Elle est en état de choc, recouvre la avec ça et aide-moi à la déplacer à l'entrée de la pièce, commanda Fenris en lui tendant la cape qu'il avait dans la gueule.
Le loup, souvent égoïste et insolent, montrait une facette attentionnée et avenante dans cette situation. Il apportait tout le support possible pour secourir les rescapés. De son côté, Lissandra vérifiait si la vie de sa camarade n'était plus en danger.
Son pouls semble stable. J'espère qu'elle ne portera aucune séquelle…
— Sa… Sa carrière d'aventurière est-elle finie ? demanda-t-elle avec innocence.
Fenris observa Clara sans certitude.
— Les humains sont faibles, soupira-t-il avec pragmatisme. Votre corps est fragile et votre esprit se brise si facilement… La suite ne dépendra que d'elle.
L'écho d'un petit gémissement se fit soudain entendre de l'autre côté de la pièce.
— Artoria ! Vous… Vous êtes vivante ! s'exclama Lissandra en se précipitant vers elle.
L'élémentaliste enlaça le paladin, laissant couler des larmes de joie le long de son visage pâle.
Je… Je suis si soulagé…
Artoria but à son tour les potions tendues par Lissandra. Ignorant le goût amer de celles-ci, elle se releva avec fébrilité et marmonna :
— Je… Je vais aider ce guerrier.
— Ne dites pas de bêtise ! Vous avez besoin de repos !
Sans écouter les sages conseils de sa partenaire une fois encore, Artoria brandit inconsciemment la main vers son arme. Cependant, elle ne pouvait pas la saisir. En regardant de plus près, elle comprit aussitôt pourquoi ce geste si simple lui était impossible.
Merde, ce foutu démon m'a brisé l'avant-bras ! constata-t-elle en jetant son gantelet tordu.
Elle ne ressentait pas la douleur, l'adrénaline et la potion dissipèrent ce détail contraignant. D'un coup sec, elle remit son radius en place dans un grincement de dents notable. Malgré cela, elle était heureuse que ses rares cours d'anatomie aient pu lui servir.
— Ô, Héméra... Bénis-moi de ta lumière protectrice et guéris les maux qui m'ont été infligés... Lux Curae...
D'un geste récurrent, elle appliqua la lueur blafarde dégagée par sa main gauche sur son membre meurtri, l'irradiant d'un rayon apaisant. Ses hématomes violacés se résorbèrent progressivement jusqu'à ce que sa peau bronzée reprenne sa couleur initiale.
— Pas besoin d'en faire autant ! s'exclama Fenris. Vu ton état, il se débrouillera bien tout seul.
— Que… Quoi ?! Tu… Tu… Tu…
— Tu... Tu... Tu ? Est-ce un nouveau dialecte ?
— Tu peux parler ?!
La divinité éclata de rire devant la frayeur soudaine d'Artoria. Elle, qui montra un grand sang-froid jusqu'ici, ne paraissait plus si sereine.
— Physiologiquement, il m'est impossible de parler, comme n'importe quelle bête d'ailleurs. Je communique par télépathie.
Télépathie ??? se demandèrent les deux aventurières.
— Ne me regardez pas comme ça ! Pour faire simple, je parle directement à votre psyché. Mais passons, gardez plutôt votre énergie pour la suite.
De l'autre côté de la pièce, Sin et le hobgobelin restaient à bonne distance l'un de l'autre jusque-là, se dévisageant mutuellement en silence. Par ailleurs, c'était la première fois que le chevalier rencontrait ce genre de démon. Encore aujourd'hui, il n'avait eu affaire qu'à des petits groupes de gobelins perturbant des villages isolés.
— Ton père est dans les parages ? demanda Sin avec un naturel déconcertant.
La créature continua son observation en émettant des sons inintelligibles :
— GORRUH ?
— Hein ? Qu'est-ce qu'il raconte ?! fit Artoria avec un air ahuri.
— Oh ! Venant d'une simple tête d'enclume, c'est plutôt malin de sa part ! approuva Fenris.
Les deux aventurières se regardèrent bêtement sans être plus avancées sur le sujet. Devant leurs mines idiotes, le loup géant soupira :
— Il cherche juste à communiquer avec lui pour savoir s'il parle notre langue. De plus, si un hobgobelin est aperçu quelque part... Cela signifie qu'il y a de fortes chances qu'un ogre le soit aussi.
— Comment ça ? demanda le paladin.
La réflexion de Fenris titilla l'esprit érudit de Lissandra, lui rappelant de vieilles connaissances apprises dans l'un de ses manuscrits d'étude :
— Oui, c'est vrai… J-J'ai lut qu'ils sont le fruit d'un accouplement entre un ogre et la femelle d'une autre espèce, expliqua-t-elle. Il… Il était également précisé qu'ils sont très loyaux envers leur père… et restent généralement avec eux jusqu'à la fin de leur existence.
Ces révélations extirpèrent une forme de panique sur le joli visage d'Artoria :
— Vous… Vous êtes en train de me dire qu'il y a pire que cette chose dans les parages ?!
— Oui… répondirent Fenris et Lissandra.
— Bon... S'il est un peu plus grand, ça ne sera pas un problème alors ! ajouta-t-elle d'une assurance maladroite.
Les paroles optimistes du paladin firent rire la divinité.
— Tu ne sais pas à quoi ressemble un ogre ?! Je pense que cette fillette doit pouvoir te l'expliquer, supposa-t-il en regardant la concernée.
Lissandra le dévisagea avec un air perplexe.
— Ne fais pas cette tête ! Si tu as autant d'informations à ce sujet, c'est que tu as certainement étudié la démonologie. Enfin… c'est une simple déduction.
— Excusez-moi si j'ai semblé vous manquer de respect, Grand Esprit, répondit-elle en s'inclinant devant lui.
La révérence sincère de la jeune fille le toucha, ce dernier ne rata pas l'occasion d'arborer un air fier et suffisant.
— Hmm… C'est bien ! Tu sais où est ta place, petite humaine ! Ça me plaît !
— Quand vous aurez fini avec vos flatteries, vous me donnerez peut-être la réponse… soupira Artoria.
Lissandra se racla la gorge avec légèreté avant de s'exprimer :
— Hum hum… P-Pour résumé… L'ogre est un démon supérieur au physique imposant et à la force démesurée. Il a aussi la particularité de régénérer instantanément ses blessures, peu importe leur gravité !
— Quand tu dis imposant, tu pourrais être plus précise ?
— En moyenne... plus de trois mètres.
Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ?! Comment ces choses se sont-elles retrouvées là ?! songea Artoria avec effroi.
Choquée par cette révélation, une myriade de questions se bousculèrent dans son esprit jusqu'à ce que Fenris la pousse avec son museau.
— Si ça peut te rassurer, il y a bien plus fort qu'un ogre ici… déclara-t-il en regardant en direction de Sin.