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Elle aussi, elle disait ces mots.

Embarrassé par ce souvenir, Shinsuke ne put s'empêcher de grimacer.

Pire même, il était probablement le seul à être embarrassé par cette situation, étant donné que la jeune femme en face de lui n'avait l'air de se souvenir de rien concernant cette soirée.

Cela le vexa un peu, et il tenta tout de même de vérifier ce détail.

« Mais sinon, vous ne vous souvenez vraiment de rien ? » Demanda-t-il avec précaution.

« N… Non… Il y a quelque chose dont je devrais me souvenir ? » Mentit Nana, sa voix tremblant très légèrement.

Shinsuke et Nana se fixèrent un moment du regard sans dire un mot, comme si chacun voulait analyser l'autre.

Lui, pour savoir si elle ne se souvenait vraiment de rien, y compris de l'avoir embrassé ; et elle, pour savoir s'il se souvenait de tout malgré son état d'ébriété, et s'il voulait lui reprocher de l'avoir embrassé.

Cependant, aucun des deux ne put vraiment deviner ce que l'autre pensait ; aussi chacun décida de croire ce qui l'arrangeait le plus.

« Je… Je ne me souviens pas de tout, mais si je vous ai offensé, je vous prie d'accepter mes excuses, » Reprit Nana.

Shinsuke croisa les bras, visiblement ennuyé par la situation. Cela ne lui plaisait pas qu'il soit le seul à se souvenir de tout, car sa rancune mal placée n'avait à présent plus de sens. Ne pas accepter les excuses que la jeune femme malgré le fait qu'elle ne se souvienne de rien reviendrait à passer pour le sale type de service ; bien qu'il se doutait que la majorité des gens présents dans les locaux pensaient déjà cela à son sujet.

Il décroisa les bras, et fronçant les sourcils, s'avança vers elle jusqu'à la faire reculer contre la porte vitrée de la pièce où ils se trouvaient.

« Bon. J'accepte vos excuses, mais ça ne diminue en rien l'inconfort que vous provoquez chez moi. »

« Que voulez-vous dire par là ? » Demanda Nana, intriguée.

« Que ce soit bien clair : Je vous aime pas, et j'ai pas l'intention de devenir cordial avec vous même si vous vous êtes excusée. »

La jeune femme fut surprise par ce retournement de situation inattendu.

« Mais… Pourquoi ? J'ai fait quelque chose de mal ?! » S'exclama-t-elle en essayant de garder le volume de sa voix sous contrôle.

« Non, mais toute votre personne me met mal à l'aise et m'insupporte. » Répondit-il d'une voix tranchante.

Les paroles de Shinsuke frappèrent Nana d'un silence implacable, et une nouvelle fois, elle comprit que l'homme qu'elle avait en face de lui n'était plus comme dans ses souvenirs.

Ce n'était plus un homme gentil et prévenant, ni poli avec tout le monde. Ce n'était plus un homme avec un sourire chaleureux et des yeux pétillants de curiosité.

La personne qui lui faisait face, menaçante de par sa grande taille et son air courroucé, avait trop changé, et nana soupçonnait que cela ait été la conséquence directe de sa disparition.

Face au silence pantois de la jeune femme, Shinsuke décida que la discussion était terminée, et la fit s'écarter de la porte.

« J'espère que je vous verrai le moins possible durant tout le reste de votre internat, alors écrasez-vous et ignorez-moi aussi. J'ai pas besoin d'avoir une dingue qui me suit du regard ou qui tente de m'amadouer sur mon lieu de travail.»

« Un instant… M'écraser ? Vous amadouer ? » Protesta Nana.

Même si ce type avait eu de bonnes raisons de changer depuis le temps, Nana, elle, était restée fidèle à elle-même, et ne supportait pas qu'on lui manque de respect en la rabaissant ainsi. De plus, il remettait en cause les bonnes intentions de Hana, et Nana savait parfaitement que cette dernière était bien trop gentille pour faire sciemment du mal à qui que ce soit.

« Quoi ? Vous m'avez pas entendu ? » Grogna Shinsuke. « Dégagez de mon chemin et de mon champ de vision, et gardez vos distances. C'est pas assez clair ? »

« Pourquoi ce serait à moi de garder mes distances ?! » Répliqua Nana en haussant la voix, ce qui fit se lever certaines têtes de l'autre côté de la vitre.

« Parce que je suis Chef de section, et vous employée contractuelle pour l'instant. » Rétorqua-t-il avec sévérité et agacement.

Nana pouvait l'entendre grincer des dents, signe qu'il commençait à s'énerver malgré le calme apparent dont il faisait preuve. Cependant, elle n'aimait pas se faire marcher sur les pieds, et son caractère eut raison d'elle.

« C'est pas parce que je suis employée contractuelle que j'ai moins de droits que vous ! » S'emporta-t-elle. « De l'agent d'entretien au grand patron, tout le monde a droit au même respect ! »

Shinsuke s'apprêtait à lui répondre à nouveau, mais la seconde phrase de la jeune femme était si familière à ses oreilles qu'elle résonna dans son esprit comme un spectre resté prisonnier de vieux murs.

« Tu dis toujours bonjour aux agents d'accueil et aux vigiles ? » Avait-il demandé, il y a plusieurs années de cela.

« Bien sûr que oui ! » Avait répondit une voix de femme. « Si j'ai le temps pour ma carrière, alors j'ai aussi le temps d'être polie avec les gens ! »

« Mais… Tu es quand même la fille du PDG... » Avait-il relevé.

« Et alors ? Je ne compte toujours pas reprendre l'entreprise, tu sais. Et même si c'était le cas, ça ne changerait rien. De l'agent d'entretien au grand patron, tout le monde a droit au même respect ! ».

Elle avait dit cela avec un petit sourire, ses lèvres pincées et arquées faisant légèrement bouger vers le haut le petit grain de beauté placé sur le côté gauche de son menton. Elle appréciait toujours de lui faire la leçon, et de le remettre à sa place quand il n'avait pas les manières ou le comportement qu'il devrait avoir.

Cependant, ce souvenir n'était qu'un spectre d'un passé pour toujours laissé derrière lui, et comme tout fantôme qui se respecte, il était insaisissable et inarrêtable quand il s'agissait de tourmenter sa victime. Très vite, l'homme ressentit une migraine maligne le harceler.

Frustré, Shinsuke porta une main à ses tempes, et fusilla du regard la jeune femme en face de lui.

« Après tout ce temps, vous montrez enfin votre vrai visage... » Dit-il entre ses dents serrées.

« Pardon ? » Laissa échapper Nana.

Sans laisser le temps à Nana de pouvoir lui répondre quoi que ce soit, il sortit de la pièce devenue soudainement étouffante et alla rejoindre son bureau sans même lancer un regard en arrière.

Toujours sans dire un mot, elle observa alors à travers la vitre l'étage où les collègues d'Hana étaient tous occupés à téléphoner ou à écrire sur leur ordinateur, et elle sentit à nouveau un pincement au cœur.

Shinsuke, froid et distant, était assis à son bureau dans le plus grand calme, comme s'il ne venait pas à l'instant de sermonner une employée. Il ne se doutait sûrement pas que la personne nommée 'Nana' l'observait, ni qu'il l'avait connue il y a plusieurs années de cela sans pouvoir la reconnaître.

Non… Si 'Nana' devait être plus exacte dans ses pensées, elle devait préciser que Kobayashi Shinsuke n'avait reconnu ni Hana, ni Nana. Cela compliquait vraiment les choses, car Nana, elle aussi, avait ses raisons de retrouver Shinsuke après toutes ces années.

Si Hana était pleine de gratitude et avait même développé des sentiments pour l'homme plus âgé – sûrement une amourette de lycéenne qu'elle n'avait pas encore surmontée – Nana, elle, ne l'aimait plus depuis longtemps. Cependant, ne plus aimer quelqu'un ne voulait pas forcément dire ne plus rien ressentir pour cette personne. Ce qui animait le plus Nana depuis ces cinq dernières années, c'était le besoin de s'assurer qu'il n'arriverait rien à Kobayashi Shinsuke.

Avec amertume, elle regarda encore le Chef de section taper avec un air aigri sur son clavier d'ordinateur, sans même ne lancer ne serait-ce qu'un regard vers la personne qu'il détestait sans raison apparente. Il s'arrêta un instant d'écrire, comme si son train de pensées avait été momentanément perturbé, et fixa avec désintérêt son écran d'ordinateur.

Du point de vue de Shinsuke, c'était bizarre…

C'était la deuxième fois que la jeune femme utilisait mot pour mot des phrases que peu de personnes connaissaient. Probablement juste une coïncidence, mais un hasard plutôt étrange et perturbant.

Il avait l'impression d'avoir quelqu'un d'autre en face de lui, et cela le mettait encore plus mal à l'aise que les regards insistants de la jeune femme, ses sourires maladroits et inquiétants, ou encore son entêtement à vouloir lui offrir des boissons chaudes.

Eh. Si elle avait bien eu le message cette fois, elle ne se fatiguerait plus à lui porter autant d'attention, et il pourrait enfin revenir à sa paisible routine.

Revenu à ses esprits, il recommença à taper sur son clavier, et Nana comprit qu'elle ne tirerait probablement plus rien de lui aujourd'hui. Elle décida donc de rejoindre Takao, qui l'attendait devant l'ascenseur avec ce qu'elle reconnaissait comme étant le sac et la veste d'Hana.

« Tout va bien ? » Demanda Takao, soucieux de voir que la jeune femme abordait un air maussade.

Voyant qu'elle ne répondait pas, et que des employés un peu trop curieux commençaient à les observer, Takao la prit par le bras et l'entraîna vers l'ascenseur, et une fois à l'intérieur, il pressa le bouton pour rejoindre le rez-de-chaussée.

Il avait déjà vu une des femmes les observant avec insistance, et même s'il ne connaissait pas son nom, il se rappelait qu'il s'agissait de la même personne avec laquelle Yamada Kiyo avait parlé dans le hall de Marline, juste avant leur première rencontre. Est-ce que les deux femmes se connaissaient ? Et quel lien entretenaient-elles ?

Le fait qu'ils étaient scrutés de près l'avait mis mal à l'aise, d'où sa précipitation pour quitter l'étage ; et il ne se rendit compte que quelques minutes plus tard qu'il tenait encore le bras de la jeune femme dans sa main.

Il relâcha sa prise sur l'avant bras de Nana, et l'ascenseur passa les 6ème puis 5ème étages en émettant un bourdonnement électrique continu.

« Dé… Désolé. » S'excusa-t-il, pensant que le contact prolongé avait à son tour incommodé la jeune femme.

Cependant, même si Nana tourna un visage peiné vers lui, ce ne fut pas ce dernier qu'elle blâma en premier.

« Je… Je crois que j'ai tout gâché. » Dit-elle avec culpabilité.

« Tout gâché ? » Répéta Takao, perplexe.

Elle hocha de la tête avec un air abattu qu'il ne lui connaissait pas.

Les quelques fois qu'ils avaient interagi, elle avait semblé si sûre d'elle, imperturbable et maître de la situation.

À présent, Nana ressemblait plus à Hana, au vu de l'insécurité qu'elle démontrait.

« Je crois que Hana va me détester encore plus, étant donné la situation actuelle… Le Chef Kobayashi la déteste déjà, et c'est sûrement ma faute. Alors-»

Elle ne termina pas sa phrase, interrompue par une main lui tapotant rapidement l'épaule.

« C'est peut-être idiot, mais si vous avez si peur que ça, pourquoi est-ce que les deux Shinohara n'auraient pas une conversation pour mettre les choses au point ? »

« Une… Conversation ? »

Cette fois, ce fut Nana qui arbora un air perplexe. Que voulait-il dire par là ?

Comme s'il avait compris la question silencieuse de la jeune femme, Takao se sentit obligé de préciser.

« Je sais pas si c'est la situation exacte dans les cas de personnalités multiples, mais vous êtes deux personnes à partager le même corps, pas vrai ? » S'assura-t-il. « Dans ce cas, vous devriez communiquer entre vous, surtout si vous ne partagez pas les mêmes souvenirs... »

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