Les mots de Yahzin avaient empli les oreilles de Sulk d'un bourdonnement gigantesque. Yahzin n'avait pourtant pas parlé à plein volume, il s'était contenté de dire les faits, mais dans l'esprit de Sulk c'était comme une révélation.
"C'est pour ça que je n'y arrivais pas !"
Une fois les paroles de Yahzin enregistrées, Sulk fut surpris de voir instantanément la vision se matérialiser dans son esprit.
Finalement elle était là, complète dans les moindres détails. Ignorant la suite de ce Yahzin lui disait, Sulk plongea une fois de plus au cœur des images maintenant plus réelles que jamais.
Lorsqu'il vit à nouveau l'homme en haillons, Sulk fut partagé entre deux sentiments.
Il avait observé la scène plusieurs milliers de fois en boucle, et avait cette profonde impression de la connaître sur le bout des doigts.
Et pourtant cette fois-ci tout était différent.
Les couleurs étaient moins fanées, le son semblait maintenant si clair qu'il venait de son propre esprit.
C'était comme si toutes ces fois ou Sulk avait vécu cette scène, cela avait été derrière un écran de brouillard, rendant toutes ses sensations étouffées.
Avec son regard nouveau sur la scène, il compris à présent pourquoi Yahzin avait réagi ainsi.
Sulk voyait l'homme debout devant lui.
Cependant ce n'était pas un tierran, c'était évident maintenant.
L'homme avait des membres fins et longs, donnant une impression de légère disproportion. Ses traits faciaux étaient marqués mais son visage fin.
C'était un très bel homme. Mais le plus étrange était sa peau.
La texture était semblable à du cuir tanné, donnant un aspect sec et dur, mais ne contrastant pourtant pas avec la finesse de son visage.
Sulk voyait la scène au ralenti, contrairement aux visions précédentes où tout allait si vite.
Il voyait l'homme regarder vers le ciel, et alors que ses yeux sombres étaient tournés vers l'étendue blanche sans fin, la Foudre arriva.
En une fraction de fraction de seconde, le ciel déjà blanc inonda toute la plaine d'une lumière vive.
L'homme se retrouva immédiatement au centre de toute la lumière, comme si les cieux avaient décidé de s'en prendre à lui directement.
Sulk vit l'ombre que l'homme projetait au sol s'étendre alors que la Foudre descendait directement vers lui, d'un trait sinueux plus blanc que blanc.
La personne debout devant Sulk était éclairée tellement vivement que s'en était presque douloureux pour Sulk de le regarder plus longtemps.
Il ne détourna cependant pas son regard une seule seconde. Sous la lumière de la Foudre ralentie, Sulk voyait enfin la réalité de la vision.
L'homme avait la peau bleue.
Comment Sulk avait il pu passer à côté de ce détail de la plus haute importance ? Ce n'était évidemment pas un tierran !
Sulk n'était jamais sorti de la mine et n'avait jamais vu d'autres tierrans que les quelques centaines de mineurs et de gardes dans les profondeurs de la mine du Nord de Kvara, mais il savait instinctivement qu'aucun tierran n'avait la peau bleue.
Sulk était sous le choc.
C'était cela qui n'allait pas lorsqu'il essayait en vain de comprendre les scènes se déroulant sous ses yeux. Son esprit ne voyait que ce qu'il pensait voir !
Pris dans la révélation du moment, Sulk ne fit pas attention à la suite de la vision.
Il avait le pressentiment qu'il n'aurait à l'avenir plus besoin de se concentrer. Les images l'entourant étaient gravées à jamais dans sa mémoire.
Il quitta sa mémoire finalement débloquée, des questions plein la tête.
"Alors... toi aussi tu as la peau bleue ?"
La question qui sortit en premier de la bouche de Sulk était directe, mais Yahzin s'y attendait.
"Hmn. Tu ne l'avais pas remarqué ?
- Non c'est étrange, les images que je voyaient me montraient seulement un tierran découvrant la Foudre !
- En effet, même moi je n'ai aucune idée de la raison pour laquelle ton esprit a été trompé. Et j'en conclus que tu as pu assimiler les images finalement ?"
Sulk répondit par l'affirmative.
Gardant la parole, il posa question après question, pris comme il était dans sa réflexion, sans attendre de réponse de Yahzin. Le Patriarche était pensif également.
Il lui semblait que les tierrans étaient décidément un peuple étrange.
Comme Sulk l'avait maintenant deviné, il était évident que la vision relatait la découverte de la Foudre.
L'homme dont Sulk ignorait le nom était le fondateur du temple de Silam, le lieux d'origine de Yahzin.
C'était le seul être vivant depuis des temps immémoriaux à réussir à comprendre et assimiler la Foudre, la personnifiant.
C'était grâce à lui que le temple de Silam avait vu le jour, et grâce à lui et ses élèves que la Foudre avait pu se transmettre jusqu'à la génération de Yahzin, jusqu'à la Guerre.
"La Guerre... que s'est-il passé depuis mon ère ? Qu'en est-il de mon monde ?"
La mémoire de Yahzin le torturait de l'intérieur.
Il masquait toutes ses pensées de Sulk, mais la vérité était que depuis qu'il avait pris conscience de qui il était, il passait la grande majorité de son temps à essayer de se souvenir.
Bien entendu quelques fragments de souvenirs lui revenaient de temps à autres, mais rien de très consistant. Les quelques perles de connaissance qu'il obtenaient étaient généralement liées aux progrès de Sulk.
Il semblait que la clé pour débloquer sa mémoire et mettre fin aux conséquences de l'utilisation de la magie runique ancienne résidait dans le garçon qui était devenu son hôte malgré lui.
Plongé dans ses pensées, la voix de Sulk se fit de plus en plus discrète.
Finalement Sulk s'assit dans son espace mental, comme s'il était entré en transe.
La Foudre lui avait de nouveau enseigné plein de choses, et il lui fallait un peu de temps pour y réfléchir et en tirer des conclusions.
Pendant ce temps les changements continuaient au sein de sa conscience.
La sphère violette derrière lui devenait de plus en plus substantielle, et la vaguelette de fumée semblait tourner un peu plus rapidement, parfois se fracassant contre la paroi, parfois tournoyant simplement au centre.
C'était comme si un courant d'air la faisait virevolter librement.
Sulk n'y prêta pas attention.
Malgré le choc nouveau que lui avait apporté la vision, il n'avait pas perdu de vue son objectif.
Trouver un moyen de contourner ou de franchir l'obstacle qui empêchait sa progression.