4 À la croisée des chemins 2 - Poursuivant.

L'opération s'était bien déroulée, et tous les suspects avaient été arrêtés. Ils avaient été interrogés alors qu'une nouvelle journée commençait, leurs effets personnels consignés ; et les premiers rapports avaient été rédigés par les différents acteurs de la police.

Alors… Pourquoi est-ce que la situation avait-elle pris cette tournure ?

« Qu'est-ce que vous voulez dire par là, chef ?! » S'exclama Kaede, un pansement recouvrant sa joue gauche.

« C'est ce qu'il en est, Ogata. On doit tous les relâcher, sauf ce type au couteau, » dit l'inspecteur chef Ryusaki Mabuchi, dirigeant l'équipe 3 de la section criminelle.

« On les as pris sur le fait monsieur ! Alors pourquoi, tout d'un coup... » Protesta Kaede.

L'inspecteur chef tapa du poing sur son bureau, faisant trembler les autres bureaux accolés au sien.

« Ça m'énerve tout autant que toi, mais j'te demande de te calmer. » La réprimanda-t-il. « Dans tout ce qu'on a saisi, y'avait ni registres, ni drogue. Sans aucune preuve concrète, on peut pas les garder. Même si on prolongeait leur garde à vue, ça ne servirait à rien. »

« Monsieur, si vous prolongez leur garde à vue, on pourrait trouver des preuves entre-temps, » proposa Jun.

« On aurait pu faire ça, sauf que le chef de section a été très clair là-dessus : tout le monde dehors avant 18h, sauf le type qui avait un couteau. » Soupira l'inspecteur chef Ryusaki.

Si l'ordre venait d'un supérieur, ils ne pouvaient pas aller contre. C'était donc perdu d'avance de plaider face à l'inspecteur chef.

« Ça me déplaît tout autant qu'à vous, » ajouta l'inspecteur chef. « Mais on peut rien faire dans cette situation sans risquer de se prendre un blâme... »

Kaede serra légèrement le poing. Toute cette opération n'avait servi à rien.

Toutefois, quelque chose l'intriguait.

« Vous dites qu'il n'y avait pas la moindre trace de drogue, monsieur ? » Demanda-t-elle.

« Aucune, » répondit-il en secouant la tête.

« Dans ce cas, qu'est-ce que ces types avaient dans les sacs qu'ils ont amené ? » Ajouta-t-elle.

Il y eut un léger silence embarrassé, avant que l'inspecteur chef ne lui réponde.

« Selon le labo, de la farine d'Hokkaido... » Dit-il en passant sa main dans ses cheveux.

« De… De la farine ? » Répéta Jun, hébété.

Entre temps, l'inspecteur chef s'était accoudé à son bureau, posant sa joue dans sa main.

« Tu parle d'un ridicule... » Dit Ryusaki.

« Si le chef de section veut libérer tout le monde, c'est pour rapidement enterrer cette affaire embarrassante, pas vrai ? » Devina Kaede.

L'inspecteur chef n'eut pas à répondre pour que la jeune femme obtienne confirmation. C'était une question d'image publique.

Contrariée, la jeune femme s'excusa pour aller prendre l'air sur le parking dehors, sous les regards compréhensifs de ses deux collègues.

Elle détestait que leurs efforts soient vains, et c'était quelque chose qu'ils pouvaient comprendre.

Toutefois, alors même que la journée continuait de passer, atteignant bientôt sa fin, quelque chose continuait de tourmenter la jeune femme.

Elle n'était probablement pas la seule à penser cela, mais c'était bien trop évident pour qu'elle laisse tomber.

Pourquoi n'y avait-il pas eu de drogue ?

Leurs renseignements étaient pourtant plus que fiables, et c'était évident qu'un échange allait avoir ce jour-là.

Alors comment… Est-ce que tout cela s'était avéré être une saisie de sacs de farine ?

C'était beaucoup trop suspect, comme retournement de dernière minute. Et si… Quelqu'un les avait prévenus de l'opération de police qui allait avoir lieu ?

Ça expliquerait le comportement si assuré des deux suspects que Jun et elle avaient arrêtés. Ils savaient qu'ils n'auraient rien à craindre, même à s'adresser de façon irrespectueuse à des dépositaires de l'autorité publique.

Mais dans ce cas, qui avait bien pu les prévenir ?

Travaillaient-ils avec un policier ? Et si oui, venait-il de leurs services, ou du service des stupéfiants ?

C'était encore trop tôt pour étayer cette hypothèse, mais l'attitude des suspects confortait Kaede dans la direction qu'avait pris ses pensées.

Elle prit donc rapidement une décision : elle avait besoin d'un regard extérieur sur cette affaire.

Prenant sa voiture, elle se mit à conduire pour aller voir son ami, s'engouffrant dans la circulation dense pour rejoindre les immeubles d'habitation à une demi-heure de là.

Elle connaissait le procureur Sagawa depuis le collège, et elle savait qu'il aurait sûrement quelque chose à dire sur ce dossier. Peut-être aurait-il une idée sur comment procéder pour poursuivre l'enquête, malgré les suspects de nouveau libres.

Il était après tout ce genre d'homme un peu rigide qui faisait toujours tout dans les règles et suivait les instructions et les livres à la lettre. Elle était donc sûre que la situation allait l'énerver tout autant qu'elle.

S'étant garée dans la rue passant devant l'immeuble, elle vit que les lumières de l'appartement au quatrième étage étaient allumées. Il était donc bien chez lui.

Elle monta rapidement les étages pour se retrouver devant la porte de son logement, et très vite, se rendit compte qu'elle avait oublié de le prévenir de son arrivée.

Est-ce qu'il allait être dérangé par sa soudaine arrivée ? Et s'il était avec quelqu'un ?

Non, elle était à peu près sûre qu'il n'avait pas de petite amie. Mais ce n'était pas non plus une raison excusable pour s'inviter chez autrui.

Elle s'apprêtait à sonner à la porte, quand elle entendit un bruit étouffé provenir de l'intérieur de l'appartement.

Est-ce qu'il avait fait tomber quelque chose ?

C'était plutôt étrange, car le bruit n'avait pas été celui d'un objet rigide, mais plutôt celui qu'aurait fait quelque chose de mou et de lourd.

Toutefois, quelque chose d'autre se produisit. Elle entendit le son de quelqu'un en train de se battre. C'était faible, mais elle savait reconnaître le bruit de deux personnes en train de lutter. Elle avait appris à l'identifier, depuis qu'elle avait été simple agent de police, jusqu'à inspectrice. C'était quelque chose qu'elle saurait toujours repérer.

Puis, plus rien.

Qu'est-ce qui se passait dans cet appartement ?

Elle sonna rapidement à la porte de l'appartement, tout en appelant le propriétaire.

« Hide ? Tu es là ? » Demanda-t-elle bien fort pour que la ou les personnes à l'intérieur puissent l'entendre.

Aucune réponse.

Son instinct lui disait que quelque chose n'allait pas, et la poussa à appeler la police pour avoir des renforts sur place.

Elle continua de sonner à la porte, ce qui fit sortir les voisins du procureur Sagawa dans le couloir.

« Qu'est-ce que vous faites à cette heure ? » Demanda une voisine passablement dérangée par la sonnerie insistante.

« Madame, appelez tout de suite le concierge pour ouvrir cette porte, » ordonna Kaede.

« Pardon ? »

« Maintenant ! » Ordonna-t-elle à nouveau en brandissant son badge de police vers la femme plus âgée.

La voisine ne perdit pas de temps et se précipita à l'intérieur de son appartement, sûrement pour appeler le gardien sur l'interphone dans son entrée.

Kaede reporta alors son regard anxieux sur la porte : ça faisait un petit moment qu'elle n'entendait plus aucun son provenir de l'appartement, ce qui la mettait très mal à l'aise.

Heureusement, elle n'eut pas trop à attendre, car déjà, un homme d'âge mur arrivait depuis l'ascenseur, un trousseau de clés passe-partout à la main.

« C'est vous qui avez besoin d'ouvrir ? Vous avez un mandat ? » Demanda-t-il avec méfiance.

« C'est une question de vie ou de mort, monsieur ! » Rétorqua Kaede.

L'homme fut pris un peu de court par le ton urgent de la jeune femme, mais finit par s'exécuter, sous l'œil curieux de plusieurs voisins depuis lors sortis de leurs appartements.

Et quand il ouvrit enfin la porte en grand, ce qui les attendait les choqua au point de momentanément les arrêter dans leur élan.

Un homme était pendu au bout du couloir, près de la cuisine, une partie de son corps dépassant de l'angle du mur gauche.

« Dé-dépêchez-vous de le faire descendre de là ! » s'écria le concierge.

Aussitôt, plusieurs personnes s'engouffrèrent dans l'appartement à sa suite et à celle de la jeune policière, soutenant déjà les jambes du jeune homme pour lui permettre de respirer le temps que quelqu'un trouve un ciseau ou un couteau pour couper l'étrange corde qui lui entourait le cou.

Mais Kaede n'était pas dupe.

Elle observa rapidement les alentours, et repérant immédiatement que la baie vitrée donnant sur le balcon était en partie ouverte, elle s'y précipita.

Rapidement, elle était accoudée au garde corps en métal et observait la rue en contrebas.

Le tueur s'était sûrement enfui par-là, le temps qu'ils ouvrent la porte. Et trop peu de temps s'était écoulé, alors il y avait de fortes chances qu'il n'ait pas eu le temps d'aller bien loin.

Elle scruta pendant de très longues secondes la rue, les voitures arrivant et partant, les rares passants marchant sans se douter de ce qui avait pu se passer à quelques mètres de là.

Rien ne lui sautait aux yeux.

Se pouvait-il que ce type soit déjà loin ?

« Madame l'inspectrice ! » L'appela quelqu'un à l'intérieur.

Elle se retourna et vit qu'un groupe de personne entourait le jeune procureur à présent allongé au sol.

« J'ai appelé les secours, mais il ne se réveille pas ! » S'écria le concierge, paniqué.

« Vous pensez qu'il est mort ? » Demanda un des voisins, inquiet.

Non. Tout mais pas ça.

Hide ne pouvait pas mourir comme ça.

Se précipitant pour s'agenouiller à ses côtés, elle contrôla rapidement la respiration et le rythme cardiaque du jeune homme.

Il était encore en vie, mais pour combien de temps ?

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