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Chapitre 8

Elle l'avait vu. Il avait stoppé l'attaque. Il avait fait tomber la foudre et fissuré la terre d'un simple geste. Elle avait vu sa congénère lui arracher son masque et dévoiler son visage. Et elle avait vu ce guerrier la terrasser de son marteau foudroyant. Et maintenant elle voyait des infirmières et médecins s'affairer autour de lui dans une petite tente aux abords du champ de bataille. Était- ce celui qu'elle cherchait, ce colosse au faciès bestial ? Était- ce lui, le fils perdu d'Inguadia ?

Elle devait en être sûre, mais pour cela elle devait également s'approcher de lui. Et dans l'immédiat ce n'était pas possible : il était entouré de soigneurs et une escouade de mages et de chevaliers sacrés montaient la garde autour de lui. Elle resta donc tapie dans la masse de soldats qui campait à une vingtaine de mètres du groupe qui entourait son objectif. Les troupes s'étaient disposées en arc de cercle, à une trentaine de mètres de la tente médicale.

Puis après plus de deux heures une occasion se présenta enfin. Elle s'avança en silence ses pieds nus s'enfonçant dans le sol boueux et humide sans le moindre bruit. Elle passa par l'arrière de la tente, soulevant lentement la toile, elle entra puis rampa jusqu'à la silhouette musclée couchée sur une paillasse.

Udiir était dans le noir total, sa tête était lourde comme du plomb et son corps tout entier lui faisait mal. Son esprit était troublé, il n'arrivait pas à réfléchir pendant quelques secondes sans revenir à la même pensée : son existence et son lien avec le clan Arginane avaient été découverts. Comment ses sœurs et lui allaient- ils se soustraire à l'attention de l'armée royale ?

Sa conscience oscilla entre l'état de sommeil et d'éveil, il perdit rapidement la notion du temps, ne sachant plus si une heure ou seulement quelques minutes s'étaient écoulées.

C'est dans cet état de semi- conscience, que Udiir crut sentir que quelqu'un le touchait, palpant ses côtes, soulevant sa couverture et ses bandages. Il ouvrit les yeux, très lentement ; il tremblait, inquiet et effrayé. Lorsque ses paupières se levèrent, Udiir vit une silhouette féminine aux cheveux sombres. Elle inspectait ses plaies, ou plutôt son torse. Soudain l'inconnue s'arrêta, tremblante elle porta la main à sa bouche comme pour étouffer un cri de surprise.

Lentement, Udiir approcha sa main de la chevelure de jais de la femme mystère. Ses oreilles brunes étaient ornées de boucles d'oreille serties de pierres noires. Il effleura l'une d'elles du bout de ses doigts. Sa peau était douce comme de la soie. Sentant les doigts du chaman sur son lobe auriculaire, l'étrangère sortit de son état de stupeur et s'enfuit de la tente par l'arrière en courant. Udiir voulut la suivre, l'appeler mais son corps fut foudroyé de douleur, sa vue s'obscurcit et à nouveau il sombra dans le sommeil.

C'était lui, elle en était sûre maintenant. Elle avait vu la tâche blanche sur son torse, là où on lui avait dit. Il s'était réveillé, mais elle pensait qu'il n'avait pas vu son visage. Elle l'avait trouvé ! Zaÿsha avait retrouvé le fils perdu d''Inguadia.

Des voix, ce fut ce que Udiir entendit quand il émergea à nouveau. En plus des voix, il percevait du mouvement autour de lui dans la tente. En ouvrant les yeux, il vit un infirmier militaire et une guérisseuse qui s'afféraient à changer ses bandages.

Leurs mains tremblaient, ils étaient effrayés par l'apparence du chaman, alors qu'il était immobile et ne représentait aucune menace. La jeune femme vit qu'il avait ouvert les yeux et après avoir averti son camarade d'un signe de tête, ils quittèrent la tente. Udiir poussa un soupir de dépit. Pourtant il n'aurait pas dû être étonné, depuis longtemps déjà, il savait que son apparence effraierait les autres races.

Le chaman se redressa sur sa couche, il fit rouler ses épaules et sentit encore une certaine raideur dans ses muscles mais il pouvait bouger à nouveau. En repensant à la femme mystère de cette nuit, il se demanda s'il n'avait pas rêvé, c'est alors qu'il sentit quelque chose dans sa main droite. Udiir ouvrit sa main : dans le creux de sa paume reposait une boucle d'oreille en pierre noire cerclée d'or. Udiir n'avait pas rêvé, il en avait la preuve à présent. Le bijou avait dû se décrocher au moment de la fuite de sa propriétaire. Quelqu'un avait donc visité sa tente afin de vérifier quelque chose sur corps. Udiir huma le parfum qui imprégnait la pierre et les cheveux qui y étaient accrochés. Il reconnut l'odeur du miel et du jasmin mélangés dans de l'huile pour le corps. À présent qu'il la connaissait, le chaman n'oublierait plus jamais cette odeur.

Udiir aperçut ses vêtements, son armure et Gal 'Rash rangés à côté de son lit de fortune. Il pensa se rééquiper entièrement mais à la vue de la cotte de mailles criblée de trous et de l'état alarmant de ses protections, il se contenta d'enfiler ses vêtements.

Une fois habillé, Udiir se risqua à jeter un coup d'œil à l'extérieur. Il vit les tentes des forces erganiennes à vingt mètres environ de la sienne. Le jour pointait à peine à l'horizon, le chaman jugea qu'il ne devait pas être plus de trois heures du matin, les soldats dormaient encore. Juste en face de sa tente, s'en tenait une un peu plus grande, ainsi qu'un petit campement monté autour d'un feu de camp. En même temps qu'il sortait de son habitacle, les deux soigneurs surgirent de la plus grande tente du campement suivi par les sœurs Arginanes.

Voyant leur petit frère debout, les visages d'Arya et Kiara s'illuminèrent et elles se jetèrent à son cou. Elles le couvrirent de baisers, lui demandant s'il se sentait bien, ce à quoi Udiir répondit par des hochements de tête.

« Parfait, c'est parfait ! S'exclama Arya un grand sourire aux lèvres. On va pouvoir partir. Kiara, tes hommes sont prêts ?

─ Oui, on n'attend plus que ton sort et on y va »

Surpris par le dialogue de ses aînées, Udiir observa les mouvements qui agitaient le campement. Les mages et les guerriers rangèrent le matériel et éteignirent le feu de camp, en moins de temps qu'il ne faut pour le dire le camp fut levé. Les soldats se rassemblèrent en silence derrière Kiara, tandis que les mages sous les ordres d'Arya se mirent en arc de cercle autour de la magicienne.

Udiir, totalement étranger aux événements qui se déroulaient sous ses yeux, interpella ses sœurs d'une main sur l'épaule. À peine eut il ouvert la bouche pour demander quelque chose que la chevalière plaquait son gantelet sur celle─ ci, et qu'Arya lui faisait signe de se taire. Il obtempéra immédiatement d'un hochement de tête. Rassurée, Kiara ôta son gantelet du visage de son petit frère. Pouvant à nouveau parler, Udiir interrogea ses sœurs à voix basse. Arya lui répondit elle aussi dans un murmure :

« Désolé petit frère, mais il faut te mettre en sécurité et on est pressés.

L'un des mages interpella Arya,

─ Capitaine Arya, nous sommes prêts pour la téléportation.

─ Pour aller où ? Demanda le jeune chaman.

─ Chez-nous. Répondit Arya.

Sans plus de cérémonie les mages aux ordres de la magicienne de glace se mirent en mouvement, avant de se placer en cercle autour du groupe composé des trois Arginanes et des soldats.

L'air ambiant devint lourd, l'énergie arcanique se mit à tourbillonner tout autour de l'escouade. Les yeux des mages ainsi que leurs spectres se mirent à briller d'une lumière bleue, une figure géométrique brillante se forma au sol autour du groupe et des mages.

Ces derniers commencèrent alors à psalmodier :

SARIACUM-DIMENTIO…EXPANTUM-SPATIUM…TRANSPA- TELEPORTIO!

Sitôt le dernier mot de l'incantation prononcé, un pilier de lumière jaillit du cercle brillant et enveloppa tout le groupe. La lumière brilla pendant quelques secondes avant de s'éteindre aussi brutalement qu'elle était apparue, mais à la place du groupe il n'y avait plus rien, ils s'étaient téléportés.

Udiir n'avait jamais expérimenté la téléportation. C'était comme s'il nageait dans un océan de lumière et d'étoiles. L'espace s'étendait et se compressait devant lui. Il ne connaissait pas tous les secrets autour de cette magie, mais il savait cependant que son principe consistait à déplacer une masse d'un point à un autre soit en ouvrant un portail soit en manipulant l'espace entre les deux points.

Le sortilège du portail prenait du temps à être lancé, il était donc la plupart du temps employé pour durer sur le long terme et donc pour des destinations lointaines. Le second sortilège quant à lui demandait moins de préparation mais en contrepartie ne couvrait qu'une maigre distance en comparaison du portail. Cependant il permettait de se déplacer rapidement avec un minimum de chance d'être pisté par magie contrairement au sort du portail.

La lumière dans laquelle baignait Udiir, brilla soudain plus fort et l'instant d'après il se tenait sur la place du village du clan Arginanes. Autour du groupe, les habitants avaient cessé leurs activités pour les fixer avec des yeux ronds. En moins de dix minutes tout le village était informé de l'arrivée de la troupe hétéroclite. Roy et Alyssia accoururent à toutes jambes. Ils étaient livides et leurs yeux étaient lourds de fatigue. Udiir sentit la culpabilité lui serrer le cœur. C'était probablement à cause de son départ précipité et de ses paroles inquiétantes qu'ils étaient dans cet état. Derrière eux se tenaient le seigneur Jayce et Mathias.

Le couple se jeta au cou de ses enfants. Les parents couvrirent leurs filles et leur fils de baisers, avant de les assaillir de questions. Avant de répondre à leurs parents, Arya et Kiara donnèrent des instructions à leur subordonnés respectifs. Cela fait, le groupe s'isola dans la maison du chef afin de discuter de la situation.

Une fois assis dans le grand salon de la maison en pierre et en bois de pin de ses parents, Udiir commença son récit. Bien entendu Roy et Alyssia furent paniqués en apprenant que l'existence d'Udiir avait été révélée à l'armée, Jayce et Mathias également.

« Mais pourquoi es-tu intervenu ? demanda soudain le seigneur Jayce, d'un ton désemparé.

Udiir se rendit compte qu'il n'avait effectivement pas expliqué cette partie des évènements. Il fit donc un rapide résumé de sa vision, de ce qu'il avait perçu du sommet de la montagne et enfin de son choix d'intercepter les forces ennemies. Puis il reprit son récit. Il n'omit rien, de son départ de la montagne à son duel à mort contre Marxia. Ses parents et le seigneur écoutèrent sans autre interruption. Si Udiir lut de la peur dans leur regard, lorsqu'il évoqua ses blessures et le nombre d'ennemis, il y lut également de la fierté quand il arriva au passage concernant son affrontement contre l'amazone.

À la fin de son récit, Udiir soupira de fatigue. En dépit des soins apportés par ses sœurs, il était malgré tout loin d'avoir récupéré. Ses muscles lui faisaient mal, la faim grondait dans son ventre, et il sentait le fauve. Mais avant d'avoir droit à un bon repas et un bain chaud il devait régler certains problèmes, le premier étant la découverte de son existence par l'armée erganienne.

Au bout d'une minute de silence, Roy prit la parole :

─ Voilà ce que nous allons faire. Udiir tu vas commencer par remonter chez toi avec Mathias et tes sœurs pour te reposer et te laver. Ta mère, le seigneur Jayce et moi allons réfléchir à la manière dont nous allons faire face à la situation.

Les jeunes gens voulurent rester pour aider, mais Alyssia répliqua :

─ Mes filles, votre frère a besoin de repos et de se nourrir, Mathias et vous également. Montez à la forge, et nous reparlerons de tout cela dès demain.

Le quatuor comprit qu'il ne servait plus à rien de discuter. Udiir ramassa ses affaires et suivi de ses sœurs et de Mathias, il commença son ascension de la montagne, juché sur le dos d'Alka.

Environ une heure plus tard, le quatuor arrivait à la forge d'Udiir. Ils étaient épuisés et affamés, et avaient grand besoin de se laver. Udiir proposa aux filles d'aller prendre un bain tandis que lui et Mathias feraient à manger. Mais ses sœurs et Mathias exigèrent qu'il aille se laver le premier et insistèrent pour prendre en main la préparation du déjeuner. Le chaman abandonna rapidement le débat, puis partit se détendre dans le bain chaud. La sensation provoquée par l'eau fut une vraie délivrance pour le corps endolori d'Udiir, la mousse du savon emportant toute la crasse également. Lorsque Udiir sortit du bain, il ne savait plus depuis combien de temps il y était, et à vrai dire il s'en moquait, il était si fatigué.

En remontant l'escalier de pierre, le chaman sentit une alléchante odeur de viande, d'œuf grillé et de lait chaud lui chatouiller les narines. En arrivant à la surface il découvrit, une bonne assiette de bacon et d'œufs au plat avec un bol de lait. Arya, Kiara et Mathias avaient allumé un feu, installé une marmite dessus et une table.

Cédant à l'appel de son estomac, Udiir s'assit à table et dévora le contenu de l'assiette en bois. Il mangea si vite qu'en seulement 5 minutes tout avait disparu. Son ventre satisfait, Udiir sentit le sommeil l'appeler, il remercia ses sœurs et Mathias puis se dirigea vers sa chambre.

Le chaman s'assit sur sa couchette, et sortit de sa poche le bijou qu'il avait arraché à sa mystérieuse visiteuse nocturne. Il se demandait encore qui cela pouvait-il être. Il passa encore quelques minutes à se questionner avant que le besoin de dormir ne soit trop fort pour qu'il y résiste. Il s'affala sur son lit et sombra dans un profond sommeil.

Ce dernier fut une fois de plus chargé de rêves étranges, les esprits des éléments fusaient tout autour de la conscience du chaman. C'était un vrai feu d'artifice d'énergie et de couleur, dans l'océan de l'obscurité du sommeil. Puis tout à coup les esprits cessèrent de bouger et se placèrent en cercle autour d'Udiir. Le chaman s'attendait à ce qu'ils prennent la parole, mais soudain un hurlement strident retentit et le voile d'obscurité explosa. La conscience d'Udiir, fut comme aspirée pour se retrouver dans un lieu semblable à une arène. Un immense terrain dallé entouré de gradins se tenait devant lui. Sur ce dernier, un ours géant et une femme à six bras se livraient un duel féroce. À chacun de leurs coups le sol tremblait et un fracas digne du tonnerre retentissait déchirant les tympans du chaman.

Les deux adversaires, finirent par se repousser mutuellement et se retrouvèrent aux deux extrémités de l'arène. S'en suivit un cri inarticulé horrible. Pendant plusieurs secondes Udiir ne parvint pas à distinguer les mots que les deux adversaires échangeaient.

La vision du chaman se mit soudain à trembler et il sentit que sa conscience était rappelée vers le monde réel. Juste avant d'être arraché au rêve, Udiir entendit distinctement ce que disaient les deux êtres mystérieux.

─ IL EST À MOI !

Lorsque le forgeron se réveilla, il vit Arya en train de le secouer pour le réveiller, l'air affolée. Encore somnolent, Udiir lui demanda ce qui la mettait dans un état pareil. Elle lui répondit presque en criant :

─ Il se passe que le village et la montagne sont assiégés !