Chapitre 6 : Une magie pleine en couleurs.

La journée passe au fil des discussions tandis que le soleil commence à se coucher, teintant le ciel de nuances orangées alors qu'Armand et Maître Kaka poursuivent leur entraînement dans le jardin, qui a tout d'un terrain d'exercice modeste. Armand lui a raconté tout ce qui s'était passé depuis son arrivée. Il est maintenant en position de méditation, absorbé par la tranquillité de l'instant, tandis que Maître Kaka marche autour de lui.

"Laisse-toi envahir par tes sens, vide ton esprit. Ressens la magie infuser dans l'air et frôler ta peau," dit Maître Kaka d'une voix calme.

Armand demeure inébranlable, son esprit flottant dans un calme absolu, bien déterminé à percer les secrets de sa magie. Peu à peu, une douce chaleur l'enveloppe, caressant son être. Lorsqu'il ouvre les yeux, un tournesol solitaire attire son regard, et bientôt, il perçoit des ondulations presque transparentes qui l'entourent.

"Je... je pense que je la sens, et même que je la vois ! C'est incroyablement apaisant," murmure Armand, émerveillé.

Maître Kaka s'arrête, le regardant avec un air de surprise sur son visage.

"Tu la vois, dis-tu ? Tu es capable de voir le courant de magie ? C'est très rare, même moi je n'y parviens pas," répond-il.

Il s'approche d'Armand, toujours assis, qui contemple les ondes magiques se mouvoir avec le vent. Le maître lui demande de le regarder, ayant remarqué quelque chose d'inhabituel chez son élève.

"Tes yeux, de quelle couleur sont-ils normalement ?" demande-t-il avec curiosité.

"Ah oui, on me l'a déjà fait remarquer au château. Ils sont gris, mais il semble que mon pouvoir les fasse changer de couleur. Comment les vous les voyez ?" répond Armand, réfléchissant à ce changement.

"Effectivement, ils sont jaunes maintenant. Sais-tu comment contrôler ce changement ?" interroge Maître Kaka, intrigué par cette capacité particulière.

"Pas la moindre idée..." avoue-t-il.

Armand repense à l'instant précédant et se souvient que le tournesol a été la première chose qu'il a vue en ouvrant les yeux. Il pointe vers la fleur et dit qu'il pense que la couleur de ses pensées en voyant le tournesol pourrait influencer la teinte de ses yeux.

"Cela paraît logique. Si c'est le cas, tu devrais pouvoir modifier la couleur de tes yeux à volonté, en pensant simplement à une couleur spécifique." 

Il pointe du doigt le ciel teinté par le crépuscule et suggère à Armand de fixer l'horizon orangé pour voir si la couleur de ses yeux s'adapte en conséquence. Armand hoche la tête et, se relevant, dirige son regard vers le ciel. Il ne perçoit plus le flot de magie, mais ne note aucune autre sensation particulière. Il se tourne alors vers le vieil homme pour confirmer un éventuel changement.

"Effectivement, nous avions raison. La couleur de tes yeux est maintenant orange," observe-t-il.

"Je ne sais pas ce que ça signifie, mais je n'arrive plus à voir la magie autour de moi, bien que je la sente toujours," répond Armand, intrigué.

"Il se pourrait que lorsque tes yeux sont jaunes, tu puisses percevoir la magie environnante, et donc potentiellement tout ce qui est invisible à l'œil nu," réfléchit à haute voix le maître, caressant sa barbe.

"Et dans cet état orangé, ne ressens-tu rien de particulier ?" demande-t-il.

"Mon état orangé ?" répète Armand.

"Je ne peux pas voir le flux de magie, mais l'aura émanant des personnes peut être perçue par n'importe qui d'un peu expérimenté, et la tienne émane une aura orangée, en plus du changement de couleur de tes yeux. C'est étrange, car lorsque tes yeux étaient jaunes, tu ne dégageais rien de tel," explique Maître Kaka, analysant avec attention

Armand s'examine, tournant sur lui-même, mais ne remarque aucun changement. Il se dit qu'il n'est probablement pas assez expérimenté pour tirer parti de cet état, comme l'a mentionné Maître Kaka.

Avec une lenteur trahissant les années accumulées, Maître Kaka se penche et ramasse une poignée de terre, et la tend vers Armand. Il l'invite à se concentrer sur la couleur marron de celle-ci. Armand fixe intensément la terre, mais aucune réaction ne se manifeste. Pire encore, la teinte de ses yeux s'estompe, retournant à leur gris originel.

"Intéressant, cela semble confirmer certaines de mes hypothèses," commente Maître Kaka avec une réserve perceptible.

"Y a-t-il eu un nouveau changement ?" demande Armand, intrigué par les découvertes en cours.

"Non, malheureusement. Tes yeux sont revenus à leur couleur naturelle. Le marron ne semble pas interagir avec ton pouvoir. Peux-tu me rappeler les couleurs de l'oiseau dont tu parlais tout à l'heure ?" interroge le maître, reprenant ses réflexions.

"D'après mes souvenirs, il était plutôt grand, avec un plumage blanc orné de pointes multicolores semblables à un arc-en-ciel. Vous pensez que mon pouvoir ne réagit qu'à ces couleurs spécifiques ?" suggère Armand.

"C'est une possibilité. Le fait que le marron n'ait eu aucun effet semble appuyer cette théorie. Nous avons donc identifié deux couleurs sur sept, bien que nous n'ayons pas encore pleinement compris ton état orangé," explique le vieil homme avec une note de satisfaction dans la voix.

Il appelle alors son oiseau : "Pica!" L'oiseau répond rapidement à l'appel, venant se poser sur la tête chauve de son maître à nouveau.

"Concentre-toi maintenant sur le plumage rouge vif de Pica, sans prêter attention à sa crête bleutée," ordonne Maître Kaka à Armand.

Armand acquiesce et fixe le plumage rouge éclatant de Pica, concentré jusqu'à ce qu'il ressente un changement intérieur.

"Cette fois, c'est différent ! Je me sens... plus lourd," dit-il.

Le vieil homme observe attentivement et confirme que les yeux d'Armand ont pris une teinte rougeâtre. Il aperçoit également une aura rouge, plus intense et visiblement plus agressive que la précédente, qui émane de lui. Il émet ensuite l'hypothèse que cet état est lié à la force physique et encourage Armand à tester sa puissance sur un des mannequins d'entraînement éparpillés dans le jardin.

Armand, essayant de garder cette aura rougeâtre, s'avance vers le mannequin et se positionne avec détermination. Il prend une profonde inspiration, se prépare comme s'il canalise toute son énergie dans son poing, et il assène ensuite un coup d'une force inouïe. Le mannequin est déraciné du sol et projeté avec une telle violence qu'il s'écrase contre la clôture, laissant Armand stupéfait de sa propre puissance.

"Quoi... C'est moi qui ai fait ça ?!" s'exclame-t-il.

Le maître est stupéfait, l'impact qu'il vient de voir sur le mannequin démontre une force colossale, et il a également noté quelque chose d'inattendu. Juste avant qu'Armand ne frappe le mannequin, il a instinctivement concentré de la magie autour de son poing sans s'en rendre compte, alors qu'il venait tout juste de commencer à la ressentir.

"On dirait bien qu'on a affaire à un prodige, Pica... Ce n'est pas surprenant qu'il ait été choisi, je suppose," murmure-t-il, ses yeux scrutant Armand.

Il réfléchit en observant les dommages infligés par le coup. Reprenant rapidement ses esprits, il frappe dans ses mains et appelle Armand pour qu'il revienne vers lui. Armand s'approche donc du vieil homme, les yeux redevenus gris, et contemple ses mains avec étonnement, n'arrivant toujours pas à croire la puissance qu'il avait dans ce coup.

"Maître, c'est incroyable, avez-vous vu la force de ce coup de poing ?!" s'exclame-t-il, ses yeux brillants d'enthousiasme.

"Modérons notre enthousiasme, Armand. Il est vrai que c'était impressionnant, je te l'accorde, mais tu es encore pire qu'un débutant. Aucun adversaire ne te laisserait le temps de préparer ton coup de cette manière," explique-t-il calmement.

Armand fronce les sourcils, cherchant à comprendre.

"Que voulez-vous dire ?" demande-t-il, intrigué.

Maître Kaka pose un regard attentif sur lui, choisissant ses mots avec soin.

"Il semble que, sans t'en rendre compte, tu as réussi à canaliser la magie autour de ton poing. Pour quelqu'un qui n'avait jamais ressenti cela auparavant, c'est remarquable. Tu possèdes un potentiel énorme, et il nous reste encore quatre couleurs à explorer, si je ne m'abuse," répond-il.

Il désigne du doigt la crête teintée de bleu de Pica et invite Armand à focaliser son attention dessus une fois de plus. Armand l'observe intensément, pensant à sa teinte, et ses yeux passent instantanément du gris au bleu, comme prévu. Le maître le lui fait remarquer et lui demande s'il se sent différent à nouveau.

Armand sentant une légèreté inhabituelle, fait quelques bonds pour tester cette sensation, sans percevoir d'autre changement notable. Pendant ce temps, Maître Kaka observe attentivement, remarquant une aura bleutée, calme cette fois-ci, qui entoure Armand. Bien que ce dernier ne semble pas conscient de cette aura, le vieil homme constate que ses mouvements sont nettement plus vifs que d'habitude.

"Mon garçon, j'aimerais essayer quelque chose," déclare Maître Kaka d'un ton curieux. "Peux-tu courir jusqu'au mannequin encastré dans la clôture et le ramener ici ?"

Armand se questionne brièvement sur cette requête avant de se concentrer sur la tâche demandée. Sans plus attendre, il se retourne et se lance vers la clôture. Il atteint le mannequin en un temps record, ses yeux s'écarquillent de surprise à la réalisation de sa propre vitesse. Fier de son exploit, il se retourne vers le maître avec un large sourire.

"Maître ! Vous avez vu ?!" s'exclame-t-il avec enthousiasme. "Je n'ai jamais été aussi rapide, c'est incroyable !"

Le maître, caressant sa barbe en souriant, avait vu juste : cette aura bleue lui permettait d'augmenter grandement sa vitesse. Armand revient avec le mannequin endommagé et le dépose contre un mur de la maison avant de regagner sa place initiale.

Ils poursuivent l'expérience, cette fois avec de l'herbe. La couleur de ses yeux change alors en vert, et Armand se sent plus lourd à nouveau, mais différemment que sous l'effet du rouge. Son aura semble dense et proche de son corps, comme s'il était enveloppé d'une couche de magie protectrice, ce que le vieil homme confirme en lui lançant une pierre à l'improviste, sans lui causer de douleur.

"Je n'aurais jamais imaginé que mon pouvoir soit si complet, c'est stupéfiant," exprime-t-il, ses yeux brillant. "Finalement, je n'ai pas à envier les autres, je peux les égaler même sans armes !"

Maître Kaka acquiesce avec un léger sourire. "Et nous n'avons pas encore tout vu."

Accroupi au-dessus d'un monticule de terre préparé, le maître y enfouit une graine et pose sa main dessus. En un instant, une tige émerge et une fleur bleue aux reflets violets s'épanouit. Il cueille la fleur avec délicatesse et la tend à Armand.

"Ce n'est pas la saison, mais je n'avais pas le choix pour obtenir cette teinte complexe," explique-t-il. "Voici l'indigo, petit. Si notre théorie est correcte, ton aura devrait être de la même couleur."

Armand est ébloui par ce qu'il vient d'assister, trouvant incroyable qu'une fleur puisse pousser si rapidement par la seule force de la magie. Il fixe ensuite la couleur de la fleur que le vieil homme tient entre ses doigts et se concentre dessus. Cela prend un peu plus de temps que d'habitude, mais bientôt, ses yeux se teintent d'indigo. Le maître observe à nouveau son aura et note une différence significative par rapport aux fois précédentes. L'aura indigo entoure uniquement ses extrémités et prend une forme vaporeuse.

"C'est étrange, tu es bel et bien dans un état indigo, mais celui-ci ne se trouve que sur tes mains et tes pieds," remarque-t-il. "Essaie de frapper dans le vent en faisant comme tout à l'heure."

Il acquiesce et se met en position comme tout à l'heure lorsqu'il était devant le mannequin. Il reste serein, se concentre sur son poing et assène un coup dans le vide. Il observe son poing, mais rien ne semble s'être produit. Puis, il se redresse et fixe quelque chose qui n'était pas là auparavant, remarquant une fumée teintée d'indigo qui semble flotter là où son poing a traversé l'air. Derrière cette brume, il aperçoit une fine fissure dans l'air.

"Fascinant ! On dirait un portail d'où s'échappe de la fumée indigo," s'exclame Maître Kaka. "Peux-tu recommencer ailleurs ?"

Armand est perplexe face à ce phénomène, mais il s'écarte un peu et tente à nouveau de frapper dans le vide, créant encore une fois une brèche fumante teintée d'indigo. Le maître lance alors la fleur qu'il tient dans sa main à travers la première brèche, et elle ressort par la seconde, tombant aux pieds d'Armand. Il commence à saisir qu'il a créé des sortes de portails interconnectés, sans toutefois en comprendre le fonctionnement. Il se tourne alors vers le maître.

"Je crois saisir l'effet de cette couleur, mais pas le procédé. Vous avez une idée, maître ?" demande-t-il.

"D'après ce que j'ai observé, les brèches apparaissent lorsque tu lances ton coup. On dirait que le geste déchire l'espace, du début à la fin du mouvement. C'est absolument captivant. Je n'ai jamais rien vu de semblable, bien que tu aies dû, j'imagine, être témoin de magies de téléportation auparavant, étant donné ce que tu m'as dit tout à l'heure," commente le maître.

"C'est vrai ! C'est comme si j'avais une version plus modeste du pouvoir de Gaspard."

Le ciel commence à s'assombrir sans qu'ils ne s'en rendent compte tellement ils sont focalisés sur la compréhension de son pouvoir. Peu après, le maître vient cueillir une tige de lavande qu'il avait dans son champ.

"Bien, il se fait tard donc ne tardons pas plus longtemps, il ne reste plus que le violet. Es-tu prêt ?"

"Prêt !" répond Armand avec détermination.

Le vieil homme tend la tige de lavande vers Armand qui la contemple comme les autres fois. Un silence pesant s'installe, il lui faut plus de temps que précédemment, peut-être à cause de la lumière déclinante du soir qui commence à tomber ? Soudain, en un instant aussi court qu'un battement de cœur, les yeux d'Armand virent au violet avant de revenir au gris presque aussi rapidement et celui-ci s'effondre à genoux, criant de douleur en se tenant le visage. Le maître laisse tomber la tige et met un genou à terre pour soutenir Armand en le prenant par les épaules.

"Que t'arrive-t-il ?! Réponds-moi, Armand !" cria le maître désespérément. 

Après quelques secondes, il ne dit plus rien, plus aucun bruit ne sort de sa bouche tandis que sa tête est inclinée vers le sol. Le vieil homme redresse sa tête vers lui en le tenant par le menton tout en continuant de lui parler et observe son visage avec effroi. Des larmes de sang coulent de ses yeux et il est totalement inconscient dans les bras de l'homme tandis que la nuit s'installe.

Fin du chapitre 6.