Ewan s'empressa d'aller faire la queue au service postal de l'Association, prenant place derrière une longue file d'attente déjà bien agitée. Il en savait trop peu sur la situation, et sur ce qui avait pu arriver à Carciem, pour rester sans rien faire. Il espérait donc pouvoir rapidement envoyer un message et recevoir une réponse dans les meilleurs délais.
Le service postal de l'Association permettait non seulement d'envoyer des courriers, des colis, et de petits à moyens objets, mais permettait également de faire passer des messages vocaux de ville en ville par le biais de pierres de communication. Chaque antenne de l'Association en était pourvue, et pouvait donc assurer un lien permanent entre les endroits où l'organisation était présente. C'était un service plutôt cher, par rapport à l'envoi de lettres ou de marchandises, aussi l'attente était déjà moins importante que pour les guichets normaux.
Ewan suspectait d'ailleurs que la majorité des gens attendant leur tour étaient dans le même cas de figure que lui : à agir dans l'urgence, sans se préoccuper du coût. Des personnes qui devaient sûrement demander des nouvelles de leurs proches, ou au contraire être ceux à en donner.
Bientôt, son tour arriva, et au niveau du guichet dédié aux communications, il fit rapidement sa demande.
« L'académie militaire d'Ylesse ? » Répéta pour confirmer l'employée de l'Association.
« Oui, j'ai besoin d'entrer en contact avec eux, » confirma Ewan.
« Ça va être compliqué, » dit l'employée. « Nous avons perdu tout contact avec eux depuis hier, et avec l'ordre d'évacuation donné, je doute que quelqu'un soit encore assigné aux communications civiles là-bas. »
« Mais vous pourriez tout de même essayer de faire passer le message, pas vrai ? » Insista Ewan. « Mon ami est dans l'armée, et je ne sais pas ce qui a pu lui arriver... »
« Qu'il soit dans l'armée ou non, cela ne changera rien. Nos locaux là-bas ont déjà été évacués, donc la seule possibilité serait d'envoyer un message à une autre antenne de l'Association pour qu'ils la transmettent à la caserne la plus proche, qui la relaierait via les pierres de communication de l'armée. » Expliqua-t-elle.
« Dans ce cas, faisons ça ! » S'exclama Ewan.
L'employée se leva alors pour aller chercher sur une grande bibliothèque en bois une pierre spécifique, parmi toutes celles alignées proprement sur toutes les étagères. Chacune des pierres était affublée d'une étiquette sur laquelle était marqué son lieu de rattachement, et correspondait à une antenne de l'organisation à travers le continent.
Il devait bien y avoir au minimum cinquante pierres, mais Ewan soupçonnait que certaines étaient cachées loin de son regard par le bas du guichet et le couloir qui tournait vers l'arrière du bâtiment, la bibliothèque suivant un de ses murs jusque dans la luminosité relativement faible des locaux.
Peut-être y en avait-il une centaine, peut-être plus.
Cependant, elles semblaient également être classées par ordre de proximité et d'usage fréquent, aussi les villes les plus importantes et celles très proches de Barbados étaient toutes rangées derrière le guichet, et l'employée n'eut aucun mal à trouver celle d'une ville qui pourrait relayer le message.
Elle tendit le bras pour saisir une pierre dont l'étiquette indiquait 'Ventricaire', une ville qu'Ewan se rappela être située dans le comté d'Haularinne, juste à côté de son propre comté de rattachement, Sharmyr. C'était une petite ville positionnée pas très loin de la cité blindée de Bergamme, près de la limite entre les deux comtés précédemment cités, et même si Ewan ne s'y était jamais arrêté, il avait déjà dû passer à proximité dans le cadre de requêtes à remplir.
Parmi toutes ces pierres alignées et émettant une douce lumière jaune ou blanche, le regard du jeune chasseur fut attiré par le coin supérieur gauche de la bibliothèque : là, plusieurs pierres étaient complètement éteintes, inertes. Ewan reconnut amèrement certains noms parmi ceux concernés : Bohr, Caderpaste, Cataprieste, Embasse, Ylesse. Il ne reconnaissait pas les autres, mais était prêt à parier qu'elles étaient situées exactement dans la même zone : un immense cercle de désolation ayant pour centre et point d'origine le village de Bohr. Plusieurs villes et villages où tout contact avait été rompu, rendant inactives les pierres qui leur étaient rattachées.
« Quel est le contenu du message ? » Demanda l'employée, revenue s'asseoir au guichet devant Ewan avec une pierre devant elle.
L'intervention verbale sortit le jeune homme de son observation, mais ne dissipa pas son inquiétude.
« Le contenu du message est 'J'ai besoin d'entrer en contact avec l'Intendant Général Carciem Balgoranth, vous pouvez me contacter à Barbados. Signé Ewan Jesabell.' » Dicta-t-il.
L'employée chiffra alors le coût de la communication, et après avoir confirmé avec le jeune chasseur qu'il voulait bien envoyer le message, elle plaça sa main devant la pierre pour la faire briller d'une lueur bleue, et répéta de vive voix le message qui serait couché par écrit à sa destination, avant d'être lui-même transmis.
Ewan déposa ensuite plusieurs pièces d'argent sur le comptoir, et après l'avoir remerciée, se fraya à nouveau un chemin à travers la foule toujours plus dense s'attroupant dans les locaux. Puis, dans la rue, il rejoint Pavas et récupéra Fusain en le dirigeant avec ses rennes avant de faire route vers l'auberge où ils avaient trouvé une chambre.
La jeune fille lui lança quelques regards inquiets, auxquels Ewan ne répondit pas. Il était bien trop occupé à imaginer tous les scénarios possibles dans son esprit.
Si l'armée avait été vaincue, est-ce que cela voulait dire que le monstre n'avait pas pu être arrêté, et qu'il continuait de tout détruire sur son passage ?
Qu'était-il arrivé à Carciem, dans ce cas ? Avait-il demandé à ses troupes de battre en retraite ? Était-il blessé ? Arriverait-il seulement à répondre au message qu'Ewan venait d'envoyer ?
Le jeune homme ne possédait aucune des réponses attachées à chacune de ces questions, et ce qui l'inquiétait d'autant plus, était que la situation semblait assez sérieuse pour que des populations entières soient déplacées loin de chez elles. Dans une situation pareille, qu'allait donc faire l'Empereur ? Les chasseurs allaient-ils être mobilisés de force, comme lors de la grande guerre ?
Sans s'en rendre compte, il s'était arrêté de marcher et sentit qu'on tirait sur la manche de sa veste. Baissant le regard, il vit que c'était Pavas qui était à l'origine de ce geste.
« Hum ? Qu'est-ce qu'il y a ? » Demanda-t-il à la jeune fille.
Elle désigna alors de la main des gens qui s'étaient aussi arrêtés dans la foule, à quelques mètres de là, laissant les gens aller et venir dans tous les sens autour des deux groupes.
Ewan dévisagea l'homme et la femme en face de lui, en fronça les sourcils. Si la femme aux cheveux châtains clairs et à la lance lui était inconnue, l'homme aux longs cheveux noirs noués en une tresse régulière et parfaite ne lui était pas étranger.
« Mais qui voilà ! Si ce n'est pas Jesabell ! » S'exclama l'homme. « Qu'est-ce que tu fous là ? »
L'interpellé grimaça, et répondit avec peu d'entrain et beaucoup de réticence.
« Géandre... » Dit-il lentement.
Les deux hommes se dévisagèrent en silence, immobiles dans toute l'agitation ambiante. Puis, l'homme nommé Géandre prit la parole.
« Toujours à voler les proies des autres comme le moins que rien que t'es ? »