Carciem surveilla d'un œil soucieux la dizaine de pierres de communication qui étaient alignées sur un présentoir en bois posé sur le bord de la table de commandement. Il ne manquait que deux groupes devant se mettre en position, et devant envoyer un signal. Les autres pierres étaient déjà illuminées d'une lumière jaune ou blanche selon la vétusté du matériau, signe que les équipes correspondantes étaient en place pour donner l'assaut sur le corps de la créature.
Attendant toujours que les deux dernières pierres ne s'allument, il reporta son attention sur la carte où il avait tracé plusieurs croix formant un immense cercle avec les ruines de Bohr en son centre.
Au Nord, à proximité du fleuve Amaranthe, il avait positionné la moitié des troupes de Calliste et d'Ylesse, accompagnés des mages de Bergamme. Ce serait certainement le point le pus vital pour le plan d'attaque qu'il avait imaginé. Un soutien magique sans faille était donc primordial.
À l'Est, entre les Westfalls et Ylesse, il avait disposé les ballistes et le reste des troupes de Bergamme. Le matériel avait déjà été enchanté, prêt à l'action, et les soldats de Bergamme arrivaient à manipuler des sorts élémentaires, mais aussi de guérison ou de soutien ; Ce qui leur permettrai de maintenir la position pendant un long moment.
Enfin, au Sud et entre les Westfalls et la cité blindée de Bergamme, se trouvaient l'autre moitié des troupes de Calliste, ainsi que deux cent chasseurs recrutés par le biais de l'Association.
Trois positions d'attaque complémentaires qu'il n'avait pas choisies par hasard, et répartissant plus de 2000 personnes sous son commandement. Le point le plus résistant à l'Est permettrai de protéger la cité blindée d'Ylesse en cas de problèmes, tandis que Bergamme se trouvait protégé au Sud grâce à des effectifs importants. Quant à la position Nord, c'était celle par laquelle les dégâts les plus importants arriveraient, à condition que les deux derniers groupes aient enfin terminé la tâche qui leur avait été confiée. Il avait déployé pour cela deux équipes composées de mages et d'alchimistes eux aussi dépêchés par l'Association pour les assister.
Certes, ce qu'il leur avait demandé était du jamais vu, et presque impossible en un si court laps de temps ; et les alchimistes avaient bien tenté de lui expliquer.
Cependant, face à la menace absolue que représentait la créature inconnue, les experts en enchantements s'étaient rapidement résignés. Ils s'étaient mis à la tâche avec une rapidité déconcertante aux yeux de quiconque étant habitué aux lenteurs administratives habituellement ressenties dans chaque antenne de l'Association quand les alchimistes étaient impliqués.
Carciem soupçonnait que les délais importants n'avaient finalement pas tant à voir que cela avec les hommes et femmes eux-mêmes, mais plutôt avec la quantité impressionnante de travail qui leur était fournie chaque jour.
« Monsieur, les deux derniers groupes ont terminé, » lui signala Finn, au garde à vous près de la grande table.
Carciem reporta son regard sur la rangée de pierres, à présent toutes illuminées, et sourit.
« Bien, il est temps de passer à l'action, » dit-il en s'emparant d'une pierre.
Puis, prenant trois autres pierres supplémentaires, il porta les étranges cristaux lumineux vers sa bouche, et ordonna :
« Groupe Nord et Sud, attaquez ! Priorité aux éléments foudre et pierre ! »
Les quelques secondes qui suivirent, des voix s'élevèrent en retour des cristaux pour confirmer l'ordre, les pierres changeant de couleur pour s'illuminer de vert.
L'Intendant Général d'Ylesse reposa alors les quatre cristaux sur leur socle, et la terre se mit à trembler légèrement. L'attaque avait commencé, et l'homme blond était prêt à parier que la créature commençait déjà à se tortiller dans tous les sens. Le centre de commandement avait beau être éloigné, cela n'empêchait pas les secousses de parvenir jusqu'à eux.
« Groupes Est, attaquez avec tout ce que vous avez ! » Ordonna à nouveau Carciem, d'autres pierres dans la main.
Celles-ci passèrent aussi au vert, signe que les soldats et la machinerie de guerre avaient commencé à harceler le flanc de la créature passant à leur proximité.
Puis, reposant les cristaux à côté des autres, il se tourna alors vers Finn, Doloresse, et les Intendants Généraux de Bergamme et Calliste qui les avaient rejoints il y a quelques minutes de cela.
Si l'Intendant Général de Bergamme, Rudd Marxien, était un homme âgé plus expérimenté que Carciem, celui de Calliste, Felicia Axtriès, était une jeune femme d'un âge similaire et à l'air sévère. Pourtant, même si ces deux personnes avaient au départ rechigné à être sous les ordres de Carciem pour l'opération, le comportement du jeune homme les avait convaincus malgré eux. Son plan était suffisamment solide pour être mené comme l'homme blond l'entendait ; aussi plus aucune protestation ne s'était élevée.
« Je vous ai donné toutes les directives, et nos subordonnés se chargeront de maintenir la communication, » expliqua Carciem en désignant Doloresse et Finn. « Alors à présent, allons en renfort comme prévu. »
Il tendit de nouveaux cristaux à ses deux pairs, et prit soin d'en prendre aussi un pour lui-même.
« Sergent Liberth et Parthimian, je compte sur vous pour faire de l'excellent travail, » les salua Carciem d'un signe de la main.
Les deux subordonnés le saluèrent en retour, prenant une posture redressée et plaçant leur main droite sur leur œil droit.
« À VOS ORDRES, INTENDANT GÉNÉRAL ! » S'exclamèrent-ils tous les deux en cœur.
Quelques secondes plus tard, les trois hauts gradés étaient au dehors de la tente de commandement, au milieu du camp qui avait été monté en pleine forêt et où les unités de support et de soin s'affairaient déjà à faire des allers et retours entre les différentes tentes plus petites réparties de façon concentrique tout autour d'eux.
« Rappelez-vous, ne changez que quand je vous en donnerai le signal, » ordonna Carciem.
« J'suis vieux mais pas encore sénile, on a compris, » pesta Rudd.
Felicia se contenta de hocher la tête en silence, même si elle semblait légèrement exaspérée par la situation.
« Dans ce cas, allons-y ! » S'exclama Carciem.
Aussitôt, les trois haut gradés entonnèrent un sort qu'ils se devaient de maîtriser à la perfection, leurs corps se mettant à luire d'une lumière dorée. Puis, de leurs dos sortirent pour se matérialiser des paires d'ailes blanches aux reflets dorés. Leurs plumes, délicates d'aspect mais de consistance solide, ondulèrent avec une légère brise, et le sol se mit à trembler de plus belle.
Il ne fallut que quelques minutes pour que les trois humains se retrouvent à des centaines de mètres au-dessus du sol, de la forêt, et de la colline où ils se trouvaient précédemment.
Au loin, ils pouvaient voir de la poussière et de la fumée s'élever en trois endroits différents, et le sifflement distinct des ballistes tirant sans interruption leur parvenait malgré la distance ; signe que les projectiles avaient vu leur vitesse être augmentée significativement par plusieurs superpositions d'enchantements.
Des explosions et des pierres volaient dans les airs de toutes parts, témoignant de la violence des assauts répétés des groupes armés contre la créature qui ne semblait pas du tout affectée par leurs attaques.
Par moments, des flashs lumineux verts, jaunes, ou marrons pouvaient être aperçus ça et là.
Les magies élémentaires se mêlaient pour se renforcer avant de frapper le flanc de la bête, mais malgré les efforts des mages, il était impossible d'entailler la carapace rocheuse. Cependant, ce n'était pas là le résultat final que Carciem cherchait à atteindre. Peu importait s'ils n'arrivaient pas à percer les plaques de roche, du moment qu'elles étaient suffisamment fragilisées.
Néanmoins, le soutien d'armes antiques serait nécessaire.
Regardant la hache attachée au flanc gauche de Rudd, et la lance que Felicia tenait en main, puis l'épée encore rangée dans son fourreau et suspendue à sa ceinture, Carciem hocha de la tête avec les sourcils froncés.
Sarmawyn l'épée de foudre, Beskarwyn la hache de roche et OetelWyn la lance de glace, réunis en un seul endroit en même temps ; on avait pas vu ça depuis la grande guerre deux cent ans en arrière.
Rudd et Felicia lui retournèrent un hochement de tête, et aussitôt, ils partirent tous les trois dans une direction opposée : Carciem vers le Nord, Rudd vers l'Ouest (le centre de commandement étant déporté vers l'Est) et Felicia vers le Sud.
Leur magie de vol leur permit de faire un trajet qui aurait dû prendre des heures en quelques minutes, mais également d'avoir un point de vue absolu sur tout ce qui se passait plus bas au sol.
La créature continuait de serpenter entre air libre et terre sans interruption, nullement dérangée par la force de frappe pourtant sans commune mesure. Les renforts n'étaient donc pas superflus, loin de là.
Sortant Sarmawyn de son fourreau, Carciem rejoint enfin la position Nord et se mit en vol vertical au-dessus de la partie visible du corps de la créature. Il pouvait observer les soldats prendre d'assaut la roche et la lave en fusion composant la bête, leur équipement ayant été renforcé contre la chaleur et ayant été imprégné d'un enchantement pour les rendre plus résistants. À cela, il fallait ajouter les propres sorts que les hommes s'étaient lancés à eux-mêmes, qu'il s'agisse de renforcement musculaire, et vitesse accélérée, ou de précision accrue.
Divisés en deux groupes, les unités armées frappaient avant de se retirer comme une vague sur une plage pour laisser les sorts magiques et élémentaires frapper le flanc de la créature. Une tactique bien rodée, qui rendit Carciem fier.
Prenant en main le cristal qu'il avait rangé dans sa poche d'uniforme, il avertit les hommes en contrebas.
« Intendant Général Carciem Balgoranth sur place ! Attention, frappe imminente ! »
Aussitôt, il vit une lumière bleue teinter le cristal, avant que celui-ci ne redevienne vert. Les hommes au sol commençaient à s'éloigner le plus rapidement possible pour se mettre à l'abri.
Satisfait, il brandit alors Sarmawyn en l'air, et une lueur dorée commença alors à irradier de la lame presque parfaite de l'épée.
Des étincelles et de petits éclairs électrostatiques commencèrent à lécher l'acier, et les cheveux blonds de Carciem, pleins d'électricité, se mirent à virevolter dans tous les sens. L'air se réchauffa tout autour de lui, créant un courant d'air qui souleva les pans de ses vêtements ; et le ciel commença à se couvrir pour s'obscurcir de nuages noirs malgré le temps jusqu'à présent dégagé et ensoleillé. Le tonnerre résonna, lointain et menaçant, mais s'approchant de plus en plus.
Puis, il abattit soudainement la pointe de l'épée vers la terre et la créature, et un énorme pilier de foudre s'abattit en un grondement féroce, aveuglant ceux qui n'avaient pas eu le temps de fermer les yeux à temps et réduisant en cendre et en poussière végétation et roche.