Ewan remua nerveusement sur son siège, tandis que Finn se penchait vers lui pour rendre leur conversation encore plus privée et discrète qu'elle ne l'était déjà.
« Tu viens de croiser un des hauts placés de l'organisation, » expliqua Finn. « Ce qui est très bon pour nous, si on arrive à l'arrêter ce soir. »
« C'est donc quelqu'un d'important ? » Demanda à voix basse Ewan. « Et comment vous avez pu le reconnaître, d'aussi loin ? »
Finn fronça les sourcils, avant de jeter un rapide regard vers l'estrade, où un des commissaires priseurs présentait une petite créature ailée enfermée dans une cage bien trop étroite pour elle. Les prix s'enchaînaient avec ferveur, faisant monter la facture de celui qui finirait par l'emporter.
« Tu ne l'as pas senti ? » Demanda le militaire, un peu désemparé.
« Senti quoi ? » Répéta Ewan, tout en regardant lui aussi vers la scène.
Finn prit alors une grande inspiration, comme pour sentir ce qui l'entourait, puis reprit la parole.
« J'ai senti une forte odeur de népentès, » déclara-t-il.
Un terme qu'Ewan ne connaissait pas. Pourtant, ce même mot avait été une évidence pour le militaire, lui ayant permis d'identifier l'homme pourtant masqué et habillé de façon à modifier son apparence.
Finn pouvait voir que le jeune homme ne comprenait pas où il voulait en venir, et s'expliqua rapidement.
« le népentès est le résidu provenant de la combustion du mana, après qu'une malédiction a été lancée. » Dit-il tout en continuant de fixer du regard l'homme qui faisait de grands gestes sur l'estrade. « Plus une malédiction consume du mana, et plus l'odeur de ce résidu est forte. »
Le militaire dirigea alors son regard vers Ewan, ce qui mit ce dernier mal à l'aise. Il avait l'impression d'être observé, jaugé. Comme si l'homme qui l'accompagnait éprouvait une certaine méfiance à son égard. Une méfiance dont Ewan ignorait la cause.
« Les personnes à la tête du Cercle sont craintes et beaucoup de rumeurs circulent sur elles. Ceux qui croisent leur chemin ont cependant toujours la même observation à leur sujet, quand interrogés. » Continua Finn, tandis qu'il regardait à nouveau la créature ailée en train d'être vendue. « Chaque individu a parlé d'un sentiment, une sorte de frisson qu'ils ont ressenti. Comme si l'air se refroidissait autour d'eux. »
Comme si l'air… Se refroidissait ?
Cette information fit réagir Ewan. Cela semblait à la fois étrange, mais aussi très particulier. Quelque chose de presque impossible à manquer. Et pourtant…
« Je n'ai pas ressenti de sensation de froid, quand j'ai percuté cette personne... » Remarqua à voix haute Ewan.
Pour toute réponse, Finn fronça ses sourcils en silence, comme s'il se retenait de dire quelque chose.
« Passons au lot suivant ! » S'exclama le commissaire priseur vêtu d'un costume blanc éclatant et d'une perruque aux longs cheveux rouges.
La créature ailée fut amenée à travers une des portes au fond de la pièce, et un groupe d'humanoïdes enchaînés les uns aux autres fut amené devant le public.
« Le prochain lot est composé de Ferlides du Sud Est du continent ! » Annonça l'homme au masque de serpent. « Leur peau est parfaite pour confectionner de magnifiques vêtements, et le reste de leur corps peut être transformé en plats consistants et riches en fer ! »
La déclaration si éhontée fit plaisir à beaucoup de personnes dans le public, certains invités commençant à parler avec entrain de leurs futurs plans concernant les grands hommes félins.
Pourtant, ces humanoïdes étaient tout aussi sensibles et adroits que des êtres humains sans poils. Ils pouvaient parler, utiliser des outils, chasser, commercer, et faisaient même partie d'un vaste territoire indépendant au sud du continent.
Ils étaient égaux aux hommes sur bien des égards, mais cela n'empêchait pas certains d'entre eux de se faire capturer, et d'être vendus de façon illégale à de riches propriétaires souhaitant s'amuser avec ces créatures qu'ils considéraient encore moins importantes que leurs animaux de compagnie.
Aux yeux d'Ewan, ils étaient tout aussi effrayés et en colère que n'importe qui ayant pu se trouver dans la même situation.
Ils ne savaient pas encore ce qui allait leur arriver, ni s'ils allaient survivre. La seule certitude étant que leurs propres vies avaient totalement échappé à leur contrôle.
Cependant, même mis face à l'incertitude de leur avenir, les cinq hommes félins se tenaient pour la plupart droits et avec un regard féroce braqué sur les humains occupant la salle. Un peu comme un geste de défi et un avertissement, pour ceux qui oseraient enchérir sur eux.
Mais c'était peine perdue. Face au pouvoir de l'argent et de la perversité humaine, la volonté d'un individu ne pesait pas lourd.
Le jeune chasseur sentit alors une main se poser sur son épaule.
Il tourna le regard vers Finn, et vit que celui-ci avait une main dissimulée dans sa veste.
Baissant les yeux, Ewan vit une légère lueur bleutée émise depuis l'intérieur de la poche de Finn.
C'était le signal pour les informer que Carciem et le reste des troupes étaient enfin en position, et que toutes les issues étaient couvertes par les militaires.
Pour confirmer à l'homme qui l'accompagnait qu'il avait bien compris qu'ils allaient devoir passer dans l'action dans très peu de temps, Ewan hocha la tête.
Dans moins de cinq minutes, la salle toute entière et les galeries attenantes allaient devenir un champ de bataille.
Au même moment, l'individu au masque lisse noir comme l'obsidienne parcourait les sous-terrains à proximité de la salle des enchères, suivi de près par son escorte.
« Seigneur Androanni ! Je ne pensais pas que vous nous quitteriez aussi rapidement ! » S'exclama un homme avec une barbe blonde et une paire de lunettes rondes.
Il arborait des boucles d'oreilles rondes et plusieurs bagues ornées de pierres précieuses sur ses doigts, et sa silhouette longiligne lui donnait plus l'aspect d'un cadavre que d'un être vivant. Toutefois, c'était bien un être humain qui se tenait entre l'individu du Cercle et le lieu où il souhaitait se rendre. Un homme qui, par son allure et sa tenue, montrait qu'il était extrêmement riche, et se fichait éperdument de savoir qui achetait quoi, du moment qu'il recevait ce qui lui était dû.
« Je ne peux pas m'attarder ici, » répondit simplement Androanni.
Cette nouvelle déplut au propriétaire de la salle d'enchères.
« Mais… Vous n'avez encore rien acheté, pourtant... » Plaida-t-il. « Vous êtes pourtant un de nos meilleurs clients, alors j'aimerais vraiment savoir si quelque chose vous as déplu ! »
Le dénommé Androanni leva alors une main pour que le propriétaire arrête de parler.
« Nous ne nous reverrons plus, alors ne cherchez pas à nous contacter. » Dit-il d'un ton sec et tranchant.
Les personnes qui l'escortaient s'avancèrent alors pour écarter malgré ses protestations le propriétaire du passage, faisant place nette pour qu'Androanni reprenne sa progression dans le couloir. Puis, ses gardes lui emboîtèrent le pas rapidement.
« Seigneur Androanni, quelque chose ne vas pas ? » Lui demanda un des hommes armés.
Androanni ne répondit rien. Ils n'avaient pas besoin de savoir.
Ils n'auraient peut-être pas réagi de la même façon, en sachant ce qui avait poussé leur chef à immédiatement quitter les lieux.
Moins qu'un indice réel, et plus qu'un pressentiment, le bref contact entre son corps et celui de cette autre personne au masque de loup avait envoyé des frissons dans tout son corps.
Un frisson qui portait en lui le danger.
Ewan : « Qu’est-ce qui se passe avec ce type ? Il m’aime vraiment pas… »
Wynblow : « T’as dû lui faire une crasse par le passé... »
Ewan : « Je le connais à peine. »
Wynblow : « Dans ce cas t’as dû lui faire une crasse très récemment ! »
Ewan : « ... »