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À l'époque, elles formaient un groupe.

Le groupe de filles qui venait d'arriver semblait prêt à sauter sur Hana, vu les dagues que leurs yeux lançaient ; et Hana était sûre qu'elles lui auraient probablement sauté dessus, sans l'intervention d'une autre fille de leur classe.

Une lycéenne aux cheveux longs et au visage très élégant les avait rapidement rejointes, et après leur avoir parlé quelques secondes, tout le groupe s'était assis à deux tables non loin de là pour observer Hana et Ryuji sans rien dire.

De toutes ces filles qui s'étaient retrouvées dans la bibliothèque pour les épier avec des regards assassins, Hana n'en connaissait aucune personnellement. Elle en reconnaissait certaines qui étaient dans la même classe qu'elle, mais auxquelles elle n'avait jamais adressé la parole. Elle les voyait de temps en temps ricaner entre elles, ou les entendait se moquer ouvertement d'autres élèves – elle compris – mais elle ne comprenait pas ce qui avait pu se passer pour que toutes ces filles se mettent à lui en vouloir. Avait-elle fait quelque chose de mal sans le savoir ?

Non, elle n'était pas du genre à faire des choses pouvant provoquer l'hostilité des autres. Elle s'était toujours tenue tranquille dans son coin, sans jamais empiéter sur les conversations des autres, ou leurs occupations. Tout comme elle refusait que les gens s'intéressent à elle, elle ne s'intéressait pas aux autres ; ce qui finissait pas poser des problèmes de compréhension. Comme elle ne connaissait pas bien les autres, elle ne pouvait pas imaginer ce qui pouvait bien motiver ces filles.

Elle décida donc de les ignorer pour l'instant, et de continuer à lire son livre sous les yeux perçants de ce public inattendu. Ce dernier se trouvant derrière Ryuji, le jeune garçon n'avait même pas remarqué leur présence, et continuait de faire silencieusement les exercices que Hana lui avait indiqués.

Une bonne heure passa, jusqu'au moment où le lycée allait fermer ses portes, et que la dernière sonnerie de la journée retentit. Les derniers élèves quittèrent l'établissement, et parmi eux, Hana et Ryuji, suivis de près par le groupe de filles.

« Je vois jamais le temps passer ! » S'exclama Ryuji. « Une heure, ça passe si vite ! »

Il continuait d'essayer de lui parler, mais Hana était plus concentrée sur le trajet jusqu'à l'arrêt de bus qui l'amènerait chez elle. Cela ne semblait pourtant pas décourager le jeune homme, qui tentait par tous les moyens d'éveiller la curiosité d'Hana.

« Ça fait longtemps que tu habites ici ? » Demanda-t-il. « À moins que tu sois originaire d'ici ? Tes parents font quoi dans la vie ? Ils sont aussi d'ici ? Les miens sont venus s'installer il y a quelques années, justement pour le travail... »

Il avait l'air de ne jamais vouloir se retrouver dans le silence, vu comment il faisait tout pour sans arrêt parler. À moins que ce ne soit sa façon à lui de tout le temps s'adresser aux gens : avec un flot ininterrompu de paroles. Pile le genre de personne qu'Hana préférait éviter plus qu'autre chose.

« … C'est pour ça qu'ils arrêtent pas de déménager, et je dois sans arrêt les suivre... » Continua le jeune garçon.

Il ne se préoccupait même plus d'attendre une réponse de la part de la jeune fille à côté de laquelle il marchait. Il se contentait juste de raconter des choses le concernant sans vraiment s'adresser à Hana. Toutefois, cette dernière écoutait tout de même ce qu'il disait, à défaut de pouvoir faire tranquillement le trajet à pieds du lycée jusqu'à son arrêt de bus.

De ce qu'elle en avait compris, ce garçon n'aimait pas obéir à ses parents, et trouvait cela même ennuyeux. Il voulait rapidement devenir indépendant et vivre dans son propre logement, mais Hana avait trouvé cela grotesque. Pourquoi chercher à se débarrasser de ses parents, quand dans la plupart des cas, c'était eux qui finissaient par partir en premier ?

Ce garçon se plaignait de devoir obéir aux ordres de ses parents comme si c'était quelque chose d'horrible, mais si Hana avait pu, elle aurait elle aussi avoir cette chance de suivre les ordres de deux parents. Malheureusement pour elle, elle n'avait plus qu'un père depuis quelques années, et ne pourrait plus jamais ni obéir à sa mère, ni être grondée par elle ou punie, ni contrainte à faire quoi que ce soit.

Elle n'avait plus que son père, et lui-même était tellement déconnecté de la réalité et protecteur qu'il refusait d'interdire quoi que ce soit à la jeune fille. Il la laissait tout le temps faire ce qu'elle voulait, trop occupé à travailler dans son atelier de menuiserie et sculpture ; ce qui avait donné à Hana l'impression de parfois vivre seule, ou de ne pas être si importante que cela à ses yeux.

Certes, elle savait que le travail de son père pouvait être exigeant, et que de se retrouver parent seul et isolé n'était pas la meilleure des choses qui puisse arriver. Elle savait aussi que même quand il avait trop de travail pour passer du temps avec elle, et juste assez de temps pour rapidement manger quelque chose, son père savait rester quelqu'un à l'écoute. Il avait beau lui demander la même question tous les soirs – 'ta journée s'est bien passée ?' - elle s'efforçait toujours de lui répondre avec un sourire, même si sa propre réponse ne changeait presque jamais - 'Oui, ça va '.

C'était devenu une sorte d'automatisme pour elle, si bien qu'elle en avait à présent oublié à quoi pouvait ressembler une interaction normale entre elle et sa mère, ou entre elle et son père. Elle avait du mal à se rappeler ce que sa mère lui disait le matin avant de partir en cours, puis le soir ou la fin d'après midi quand la jeune fille rentrait. Les mots banals avaient toujours tendance à s'effacer au profit de ceux qui étaient plus marquants pour l'esprit : les moments joyeux, mais aussi les disputes. Les moments de complicité avec sa mère, mais aussi les paroles de frustration allant trop loin dans leurs propos.

Après, on se rendait compte qu'on aurait dû faire bien plus attention à certains détails, à certaines manies. On aurait du passer plus de temps en compagnie de certaines personnes, et leur accorder plus de temps de notre part.

Cependant, les choses ne se passaient pas toujours comme ça. Parfois, on faisait plus attention à ces détails ridicules, qu'à la personne les manifestant.

Toutes les choses qu'Hana aurait voulu dire à sa mère étaient restées enfouies au fond de sa gorge, sans possibilité d'un jour en sortir. Qu'il s'agisse de son amour pour elle, ou de son ressentiment, la jeune femme avait tout refoulé en son fort intérieur.

Pour ne plus avoir à se rappeler tous les moments où ses sentiments s'étaient mis à bouillonner et à déborder dans tous les sens.

Si elle refusait de se confier aux autres, c'est parce qu'elle craignait que cette masse informe d'émotions refoulées ne finisse par déborder et à se montrer aux yeux de tous. Elle craignait encore se rappeler ces mois terribles que son père et elle avaient vécus, en compagnie de sa mère.

C'était sûrement ce qui lui faisait le plus peur.

« Tu prends le bus, Hana ? » Demanda Ryuji, alors qu'ils arrivaient à l'arrêt de bus.

Hana hocha de la tête. C'était la première fois en une semaine que Ryuji l'accompagnait bien plus loin que le portail du lycée ; pour la simple et bonne raison qu'il n'habitait pas du tout dans la direction qu'avait suivi la jeune fille. Elle était donc un peu surprise de le voir marcher à ses côtés avec insistance.

« Bon sang, ils se sont pas lâchés d'une semelle jusqu'ici, on fait quoi ? » Demanda une des filles du groupe.

« Maintenant qu'elle est partie, est-ce qu'on va avertir Ryuji à son sujet ? » Demanda une autres.

Les différentes filles du groupe semblaient divisées sur la façon de procéder, ce qui força Kaeri à intervenir.

« Je ne sais vraiment pas si on devrait le dire à Ryuji, » dit-elle avec un air faussement pensif. « Je vous l'ai dit tout à l'heure à la bibliothèque, mais il risque de ne pas nous croire, et aussi de nous traiter de menteuses…. »

« Hum, c'est vrai, » acquiesça l'une des filles du groupe.

« Et puis, il ne faut pas oublier que la recluse pourrait aussi tenter de l'amadouer à nouveau. » Dit Kaeri. « Le mieux à faire c'est que Ryuji s'en rendre compte par lui-même. »

Le garçon dont elles parlaient n'attendit pas qu'elles prennent une décision, car ayant fait au revoir d'un signe de main à Hana, il commençait déjà à rebrousser chemin pour rentrer chez lui – ce qui terrorisa les filles du groupe et les força à se cacher hors de vue du jeune garçon en se réfugiant dans une boutique à proximité. Ryuji ne fit pas attention à ce curieux passage en groupe, et continua son chemin ; ce qui ne diminuait pas les interrogations des autres filles du groupe.

« Dans ce cas, qu'est-ce qu'on attends pour s'en prendre à cette fille ? » Demanda l'une d'elles. « Plus vite on lui donnera une leçon, et plus vite elle lâchera l'affaire, non ? »

« Personne sait où elle habite, » répondit une autre fille du groupe. « Mais maintenant, on sait son trajet jusqu'au lycée. »

« Ce sera plus facile de lui tomber dessus en dehors du lycée, » acquiesça une troisième fille. « Y'aura pas de profs ni de surveillants ! »

Kaeri, en tête du groupe de filles qui avait suivi Hana et Ryuji jusqu'à l'arrêt de bus, regarda le long véhicule de couleur blanche et verte s'éloigner sur la petite route de ville avant de se diriger vers la mairie et la place principale recouverte de dallage.

Elle avait déjà retenu les filles du groupe dans la bibliothèque de faire quoi que ce soit, pour des intérêts qui lui étaient propres. Malgré leur enthousiasme, elle ne voulait pas que Ryuji découvre qu'elle était jalouse, ou que les filles planifiaient de donner une leçon à Takeuchi Hana. Elle voulait paraître sous son meilleur jour, et pour cela, il n'y avait qu'une seule solution.

« Laissons-là filer pour ce soir, mais demain, coinçons-là ici. » Dit-elle en fixant du regard l'arrêt de bus à présent vide.

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