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Une chance sur deux, c'est ridicule.

Assis à une des tables de la salle de pause, Shinsuke ruminait dans son coin ; bien à l'écart du personnel pour éviter de déclencher une autre crise de colère malvenue. Il avait déjà eu du mal à se calmer de lui-même, et Saizo lui avait conseillé de prendre une pause prolongée pour faire retomber sa tension.

Agacé, il tapait des doigts sur la table. Ça devait faire déjà un petit quart d'heures qu'il était installé comme ça, et il voulait déjà retourner à son poste de travail. Il avait plein de choses à faire, et il risquait de prendre du retard s'il ne se remettait pas rapidement à travailler.

Néanmoins, même en voulant retourner travailler, il avait dû se rendre à l'évidence : les autres employés lui lançaient de sales regards de reproches, tandis que Saizo lui ordonnait silencieusement de rester là où il était.

Il était puni ou quoi ?

C'était quoi cette façon de faire, que de l'isoler et de le garder à distance des autres ?

Ils étaient plus à l'école primaire, non ?

Grinçant des dents, Shinsuke évita les yeux accusateurs de ses employés, et se leva pour aller se prendre une autre boisson au distributeur automatique. Il choisit un jus de pomme, et s'adossant au mur à côté de la machine, se mit à scruter les rangées de bureaux présentes de l'autre côté des vitres délimitant la salle de pause.

Tout le monde semblait avoir repris le travail, à l'exception de Shinohara Hana et d'Hasami Mari. Leurs bureaux étaient restés vides depuis que les deux femmes s'étaient absentées, créant encore plus de tensions chez les employés.

S'ils n'avaient pas tous été convaincus par la rumeur suivant la perte de connaissance de la jeune femme, ils avaient en revanche tous assisté en direct et avec exactitude au comportement de leur Chef, qui en plus de s'emporter plus que de raison, avait accusé quelqu'un sans preuves.

Il y avait vraiment mieux que ça, pour se présenter à ses employés ; car vu leur attitude, même ceux qui travaillaient dans le Département depuis des années commençaient à le soumettre à des regards farouches.

Shinsuke lui-même reconnaissait qu'il était allé un peu trop loin. La fatigue l'avait submergé ces derniers jours, il avait aussi mal dormi et manquait de sommeil ; et pour ne rien arranger il avait déjà été soumis à de nouvelles rumeurs avant le retour de la jeune femme.

Tout cela l'avait poussé dans ses retranchements, et la moindre contrariété l'aurait fait exploser.

Le problème, était que cette 'contrariété' s'était muée en véritable problème, à priori causé par la jeune interne. La colère, en mauvaise habitude, avait pris le dessus, et il s'était mis à lui crier dessus sans se retenir.

Cependant, la jeune femme n'y était pour rien. Enfin, selon le Directeur Utagawa. Il soupçonnait que c'était peut-être une excuse ou une façon de couvrir la jeune femme ; mais sur le moment, il n'avait pas su quoi dire.

Après réflexion, la jeune femme n'avait probablement rien fait non plus, qu'il s'agisse de faux aveux ou non de la part du jeune Directeur. Il ne lui avait pas laissé la moindre chance de s'expliquer, ni de se défendre, et se sentait un peu bête vis-à-vis de cela. C'était vrai que jusqu'à présent, elle avait fait quelques erreurs minimes, et posait un peu trop de questions par rapport aux tâches qui lui étaient confiées ; mais elle s'était également montrée très efficace dans son travail, et une erreur aussi grossière ne lui ressemblait pas.

Ça aurait tout de même pu se produire, à cause d'un moment d'inattention, mais il lui semblait que la jeune femme était bien trop sérieuse et attentive pour laisser cela se produire. Comme l'avait dit le Directeur Utagawa, n'importe qui pouvait entrer dans le local de tri, et même s'il détestait ce type, Shinsuke ne pouvait pas le contredire là-dessus.

Retournant s'asseoir à la petite table la plus proche, Shinsuke ouvrit son jus de pomme et commença à en boire le contenu.

Ah, si cette fille s'était mieux exprimée et avait dit que ce n'était pas elle, se serait-il calmé, ou aurait-il continué de la réprimander ? Ce n'était pas comme s'il l'aurait cru sur parole, et il devait bien avouer que dans les pires moments, il savait se montrer extrêmement têtu. C'était probablement le pire, dans tout cela, et il le reconnaissait volontiers : il était trop obstiné pour son propre bien, et quand il avait une idée en tête, il fonçait la tête la première sans réfléchir, quitte à en payer le prix plus tard.

À plus d'une occasion, ce genre de comportement l'avait mis dans des situations inattendues ou compliquées, qui s'étaient pour la plupart soldées par des regrets.

Ce moment en faisait sûrement partie, car les paroles de Saizo résonnaient encore dans sa tête.

Oui, il le regrettait. Il regrettait de s'être emporté comme cela, alors que lui et la jeune femme venaient à peine d'avoir une conversation cordiale. Il regrettait de l'avoir accusée sans preuves, et de s'être montré sous un si mauvais jour à elle comme aux autres employés.

Il regrettait aussi d'avoir dans un premier temps repoussé Saizo ; et remerciait mentalement son collègue et ami d'être intervenu de la sorte.

Il s'était comporté comme un parfait abruti, correspondant bien aux surnoms qu'on lui avait donné : le type au cœur de glace, le type colérique qui s'énerve pour un rien ; ou encore le pire Chef de Secteur de toute l'entreprise, agissant à la limite du harcèlement moral.

Shinsuke n'était pourtant pas du genre à harceler les gens. Il n'avait jamais fait ça ; mais si les employés le percevaient comme tel, alors peut-être y avait-il une part de vérité dans cela. Peut-être était-il trop virulent à chaque fois qu'il s'adressait aux employés, et trop intransigeant sur certaines choses. Peut-être était-il trop perfectionniste quand il était question de travail, mais ça, il ne pouvait rien y faire. Il était comme ça, et plus rien ne pouvait changer cela.

Il avait déjà vécu ça : être dans une situation où sa conduite professionnelle avait été remise en question, et où on l'avait accusé à tort de choses qu'il n'avait pas faites. À cause d'un manque de rigueur, il avait dû payer le prix, et s'était fait renvoyé sans hésitation. Ce dont il était accusé était bien sûr grotesque, mais sans possibilité de se défendre ou de fournir des preuves l'innocentant, il avait presque fini en prison.

Parce qu'il n'avait pas été suffisamment assidu et sérieux dans son précédent métier et poste au sein d'une société d'assurances, il s'était retrouvé dans une impasse. Son état mental du moment n'aidant pas, il n'avait pas eu le cœur de lutter plus face à cette injustice le concernant, et avec passivité, avait accepté la décision de la direction.

Que pouvait-il faire, quand personne ne le croyait, et que les gens à la tête de l'entreprise avaient toutes les raisons valables et nécessaires de le renvoyer ?

Ah, il était vraiment un imbécile.

Il savait ce que ce genre de situation faisait à quelqu'un, et ce qu'une personne pouvait ressentir en étant accusée à tort ; et il venait de répéter ce schéma avec Shinohara Hana.

Ce n'était pas tant le fait qu'il l'ait accusée à tort qui tortura Shinsuke, mais le fait qu'il l'avait accusée sans même prendre le recul nécessaire pour comprendre les choses, et éviter de répéter les erreurs dont lui-même avait été victime cinq années auparavant.

De plus, il lui semblait à présent qu'il avait toujours une sensation étrange quand il faisait face à la jeune interne. Quelque chose le mettait mal à l'aise, mais il ne savait pas quoi. Comme si quelque chose était juste sous son nez, mais qu'il ne pouvait rien voir.

C'était vraiment bizarre, car il était sûr de déjà tout savoir sur la jeune femme.

Il continuait de boire d'un air absent son jus de pomme quand Saizo s'aventura dans la salle de pause, refermant la porte entièrement vitrée derrière lui pour plus d'intimité.

« Ça va mieux ? » Demanda-t-il en venant s'asseoir en face de Shinsuke.

« À ton avis ? » Répondit sèchement Shinsuke.

« À mon avis ? Tu as l'air d'une épave, » répondit Saizo en fermant les yeux avec un petit sourire.

Sur ce point, il avait bien raison. Shinsuke ne savait plus quoi faire.

« Merci d'avoir tenté de m'arrêter, tout à l'heure, » dit Shinsuke. « Je me suis emporté, et je ne comprenais même plus ce qui se passait, à un moment. »

« C'est souvent le cas quand on se met en colère. On est aveuglé par un élément et on ne fait plus attention au reste, » dit Saizo en rouvrant les yeux. « Sauf que pour toi, c'est encore pire. »

« Ha ! » Dit Shinsuke avec un rictus.

« Et je suppose que tu regrettes encore plus ce qui s'est passé, maintenant que tu as eu le temps de réfléchir à tête reposée ? »

« Si on veut... » Dit entre ses dents Shinsuke.

Saizo enleva momentanément ses lunettes pour en nettoyer les verres avec un chiffon microfibre, et pendant qu'il regardait d'un air hagard la monture en métal entre ses mains, ajouta :

« Si tu as fait quelque chose de mal, tu sais ce qu'il te reste à faire. »

Ouais, il le savait bien ça, et si Saizo continuait de lui rabâcher ça, il allait lui faire bouffer ses lunettes. Il savait qu'il devrait s'excuser, mais comment approcher Shinohara Hana maintenant qu'il l'avait de nouveau martyrisée ?

« Hum, donc tu veux savoir comment lui demander des excuses ? » Reformula Saizo. « Et tu ne sais pas comment t'y prendre parce que la situation est devenue encore plus bizarre ? »

« Ouais… Je commençais à peine à m'entendre avec elle, et à penser que j'étais peut-être un peu trop injuste envers elle... »

« Peut-être ? Un peu ? » Répéta Saizo, amusé.

« J'ai compris que j'étais un vieux con, ok ? » S'offusqua Shinsuke.

« J'ai jamais dit ça, » dit Saizo.

« Mais tu l'as pensé très fort, » rétorqua Shinsuke.

Saizo eut un sourire de pitié, et se pencha au-dessus de la table pour tapoter du plat de la main le dos de son ami.

« Si tu sais déjà tes défauts, c'est plutôt un pas dans la bonne direction pour changer pour le mieux, » dit-il avec sollicitude. « Certains idiots ne réalisent pas qu'ils ont tort jusqu'à la toute fin, tu sais ? »

« Ouais, ça va, j'ai compris.... » Pesta Shinsuke. « Et donc, comment je peux faire ? »

« Hum… Dans ces cas-là, tu dois déjà lui présenter tes excuses, » réfléchit à voix haute Saizo.

« Ça j'le savais déjà, Sherlock. »

« Et peut-être lui offrir un cadeau ? » Ajouta Saizo sans se préoccuper des grimaces que faisait son ami. « Un genre d'offrande pour la paix ? Quelque chose comme ça ? »

« Une offrande pour la paix ? »

« Généralement, quand ma femme est fâchée, j'essaie de lui faire plaisir en lui offrant quelque chose qu'elle apprécie. » Expliqua Saizo.

« Et ça marche ? »

« Hum… Dans 50 % des cas ? » Se risqua à révéler l'homme à lunettes.

Shinsuke claqua sa langue. C'était quoi ce taux de réussite minable ? C'était pas mieux que de parier à la roulette sur le rouge ou le noir…

« Toujours est-il que les femmes apprécient qu'on se démène pour elles. Elles acceptent généralement plus facilement des excuses accompagnées d'un cadeau ou d'une attention. » Reprit Saizo.

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