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Tout, même ton souffle, lui appartient.

Le hurlement guttural d'un garde brisa le silence oppressant du dortoir. Le son rebondit contre les murs bas, traversant la pièce comme un coup de tonnerre. Quatro ouvrit les yeux d'un coup, tiré d'un sommeil trop léger pour être réparateur. Ses membres endoloris protestèrent tandis qu'il se redressait sur la couchette de paille humide.

Le dortoir n'était qu'un chenil humain, un espace si bas de plafond qu'il fallait rester voûté pour éviter de heurter les poutres. Les rangées de lits alignés n'avaient pour seul espace entre elles qu'un chemin suffisant pour poser un pied. L'odeur était insoutenable, un mélange de sueur, d'excréments et de pourriture. Les seaux, répartis par dizaines, débordaient de déchets, et chaque mouvement semblait agiter l'air vicié, renouvelant les effluves pestilentiels.

"Debout !" brailla un garde, frappant du bâton contre une porte rouillée. "Vous pensez dormir éternellement, vermines ?"

Quatro se leva, évitant le regard des autres esclaves qui se mouvaient comme des ombres fatiguées. Sa main effleura son masque, qu'il avait posé à ses côtés avant de dormir. Sans ce morceau de cuir imprégné d'huiles parfumées, l'air suffocant d'Etamenki l'aurait déjà tué. Les torches dans le couloir projetaient une lumière à travers les fentes des portes, créant des jeux d'ombres sur les murs maculés. Une centaine d'âmes piégées ici se redressaient en silence, les mouvements rythmés par la peur des gardes et la lassitude de la répétition.

Un cliquetis retentit, et les portes s'ouvrirent brusquement.

"Prenez vos masques, rechargez-les, puis filez aux laboratoires ! Si je vois un traînard, il aura affaire à moi !"

Les esclaves se mirent en file indienne, leurs pas traînants rythmés par les claquements des bottes des surveillants. On les mena dans une petite pièce sombre où des caisses remplies de flacons d'huiles odorantes attendaient. Chacun y trempait son masque, rechargeant les réservoirs en silence. Quatro exécuta le geste machinalement, fixant le liquide doré qui semblait être à la fois leur salut et leur condamnation. Une fois prêts, ils furent guidés à travers un réseau de couloirs étroits, leurs murs criblés de fissures et noircis par des résidus huileux. L'air y était déjà lourd, mais à mesure qu'ils approchaient des laboratoires, il devenait presque tangible, saturé d'une chaleur moite et de fumées colorées qui semblaient vivantes.

Les laboratoires alchimiques étaient une enfilade de salles surchargées, grouillant d'activité. Les esclaves s'agitaient autour des cuves de distillation, des broyeurs et des tables encombrées de bocaux contenant des ingrédients en tout genre : des fruits exotiques en décomposition, des plantes séchées, des minerais réduits en poudre, et même des fluides organiques récoltés dans les seaux du dortoir. Quatro et Ventio furent assignés à une grande cuve dégageant une vapeur jaune irritante. Leur tâche était simple mais harassante : écraser un mélange de fruits et de métaux avec un lourd pilon, puis verser la mixture dans la cuve. Les vapeurs s'échappaient en sifflant, rongeant tout ce qui se trouvait à proximité, y compris les vêtements des esclaves.

Le bruit incessant des outils, les cris des surveillants, et les gémissements des blessés formaient une cacophonie insupportable. À plusieurs reprises, Quatro vit des esclaves s'effondrer, soit d'épuisement, soit asphyxiés par les fumées toxiques. Ces corps inertes étaient rapidement traînés hors des salles, remplacés par d'autres, comme des pièces interchangeables dans une machine infernale.

Ventio, à ses côtés, broyait les ingrédients avec une précision mécanique.

"Reste concentré," chuchota-t-il à Quatro. "Ici, un faux pas ne te coûte pas seulement la vie. Il peut te faire perdre bien plus."

Les heures passèrent dans une monotonie douloureuse. Le masque de Quatro collait à son visage, imbibé de sueur. Ses bras le brûlaient à force de soulever le pilon, mais il continuait sans un mot, poussé par une volonté farouche qui le séparait des autres. Il ne pouvait pas faillir. Il ne pouvait pas mourir ici.

Le produit final, lorsqu'il fut extrait, était une huile d'une clarté fascinante. Elle scintillait sous les rares rayons de lumière qui perçaient les fumées, un contraste cruel avec la souffrance qu'elle représentait. Les parfumeurs maîtres s'extasiaient devant le résultat, leurs rires glacials résonnant dans les couloirs.

"Retiens ça chien," murmura un surveillant en passant près de Quatro. "Axiome est ton dieu ici. Tout, même ton souffle, lui appartient."

La fin de la journée fut annoncée par une cloche métallique. Les esclaves, épuisés, furent renvoyés dans le dortoir, leurs corps brisés traînant comme des carcasses vidées de toute force. Quatro s'effondra sur sa paillasse, incapable de retirer son masque, comme si l'ôter revenait à accepter pleinement son état d'esclave.

Allongé dans l'obscurité, il fixa le plafond bas et rugueux, se demandant une fois encore comment sa sœur avait survécu ici. Était-elle passée par ces mêmes laboratoires ? Avait-elle respiré cet air empoisonné, entendu ces mêmes hurlements ?

Il serra les poings. Il ne connaissait ni son visage, ni son nom, mais il savait qu'il la retrouverait. Peu importait combien de jours il devrait endurer dans cet enfer. Peu importait à quel point son corps ou son esprit seraient brisés.

Il s'endormit enfin, hanté par une seule pensée : ce qu'il avait sacrifié pour retrouver une ombre qu'il n'avait jamais connue.

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