webnovel

Retour en Lieu Sûr

De retour à Horizon, le groupe se dirigea directement vers la guilde. Leur entrée ne fut guère discrète. Néanmoins, il en était toujours ainsi lorsque Sin s'y rendait.

— Siiiiiiin ! cria l'intendante.

Elle agitait les bras avec un grand sourire en l'apercevant, comme si elle attendait son retour avec impatience. Devant cet appel privilégié - qui extirpa de nombreux regards étonnés auprès des aventuriers présents sur place - Sin et Artoria rejoignirent le comptoir. 

Le paladin se présenta à la section administrative pour remettre les plaques d'identités des défunts et affréter un chariot pour transporter leurs corps. Le chevalier quant à lui se présenta à la jeune femme, qui lui faisait encore signe, pour valider la quête et récupérer les récompenses. 

N'ayant pas dépassé le stade de l'entrée, Fenris et Lissandra observèrent la cohue ambiante à l'écart.

— Aaah… Par pitié... soupira le louveteau.

— Que se passe-t-il, Sire Fenris ?

— Rien. Juste cette femelle humaine qui n'en finit jamais d'avoir ses chaleurs...

L'élémentaliste pouffa de rire en écoutant les râles soudains de la bête qu'elle ne saisissait pas.

— Qu'est-ce qui vous met dans un état pareil ?

— J'ai faim ! ronchonna-t-il. À chaque fois que l'on vient ici, cela prend un temps interminable, surtout avec elle...

En portant un œil attentif à l'employée de guilde que Fenris accusait, Lissandra la reconnut immédiatement :

— Oh... Vous parlez de cette intendante ?! C'est elle qui a validé mon inscription ce matin. Elle est pourtant très gentille ! Je ne vois pas ce que vous lui reprochez… chuchota-t-elle en s'asseyant sur un banc d'attente.

— Tu comprendras avec le temps.

Après ses plaintes injustifiées, il bâilla la gueule grande ouverte et se blottit contre les cuisses moelleuses de la jeune fille. Cette dernière soupira, à la fois exténuée et soulagée.

— Rude journée ? demanda-t-il avec ironie.

— Oui… J'espère que toutes les aventures ne se passeront pas ainsi…

— Je te l'ai déjà dit tout à l'heure, tu es vraiment une humaine poissarde ! Même pour nous qui sommes expérimentés, cela faisait longtemps que nous n'avions pas eu un tel combat !

Lissandra ne le voyait pas de cette façon, à l'inverse de la bête, elle prit un air plus grave.

— Le… Le sort des jeunes aventuriers qui nous accompagnaient ne vous attriste pas plus que cela ?

— Allons, c'est moi qui devrais te poser cette question ! Personnellement, je n'en ai que faire. Vous tuez et vous vous faites tuer en retour, c'est un juste équilibre des choses. 

Fenris releva la tête avec une certaine prétention.

— Et puis rappelle-toi que je suis une divinité. Nous vivons des millénaires et plus encore. Imagine-toi si je devais me soucier de simples mortels comme toi qui ont une espérance de vie aussi courte !

Ces paroles et ce ton moqueur ne faisaient pas rire Lissandra. Cependant, et même si cette réponse ne l'étonnait pas, elle était déçue. Au fond, elle s'attendait à plus d'empathie de sa part. 

En observant l'expression désappointée de la jeune fille, Fenris reprit un air plus sérieux.

— Si je devais te donner mon avis, hmm... Je dirai que la mort est quelque chose de naturel pour vous, qu'elle soit violente ou non. Toi qui es une érudite, n'oublie pas que c'est Chaos lui-même qui vous a imposé cette mortalité. Enfin bon… Tu devrais relativiser et aller de l'avant ! 

— Si seulement c'était aussi simple... Au final, je pense que je m'y ferai. Malgré ce qu'il s'est passé, cette journée était plutôt... agréable, et cela me fait peur.

— Pourquoi ?

— Vous allez peut-être trouver ça stupide et je sais que cela fait partit de la profession, mais... Mais je ne veux pas devenir totalement insensible.

Le louveteau pouffa de rire à son tour, se moquant ouvertement d'elle. Face à une telle réaction, Lissandra se rendit compte que la logique entre un humain et une divinité était réellement divergente.

— En effet, c'est idiot ! Mais rassure-toi, malgré ça je te comprends quand même, fillette. Tu es encore jeune ! Pour être franc, tu me rappelles Sin lorsque je l'ai rencontré.

La réponse de Fenris la surprit, mais elle prenait cela comme une forme de compliment.

— Vraiment ?!

— Oui, et regarde comment il est aujourd'hui !

Un autre petit rire s'échappa de la bouche de Lissandra. Elle observait le chevalier au loin, tout en balançant ses jambes de haut en bas.

— Que va-t-on faire après ça ? demanda-t-elle en changeant de sujet.

— Hé bien... Une fois qu'il aura fini de batifoler, nous irons voir le nain dont je t'ai parlé. Nous devrions pouvoir y trouver de l'équipement pour toi.

— D'accord ! consentit-elle en reprenant sa gaieté habituelle. À ce propos, Sire Sin n'a pas l'air aussi volage que vous le prétendez... Il n'a rien fait à Artoria par exemple, alors qu'elle est très belle !

— Oui, je sais. C'était ironique ! Et puis ce serait certainement différent si vous le voyez sans casque, supposa-t-il sur le ton de l'humour.

Le visage du chevalier intriguait la jeune fille. Après la description que Fenris avait faite de lui, et notamment son succès naturel auprès de la gent féminine, elle se demandait à quoi il pouvait bien ressembler. Cette question se faisait toujours plus pressante dans son esprit. Elle rougit tout à coup. 

Et si… Et s'il me plaisait à moi aussi ? 

Elle frappa ses joues avec ses mains pour réprimer sa curiosité galopante.

Devant ces mimiques étranges, le louveteau la dévisagea, remarquant aussitôt les doutes et les désirs qui se dégageaient de ses yeux azurés.

— Ça ne va pas ?

— Heu… Oui ! Ce… ce n'est rien ! répondit-elle avec embarras. 

Il la dévisagea de nouveau avec un regard accusateur et sceptique.

— Oh, non ! N'y pense même pas !

— Non, non… non !

Alors que Fenris taquinait l'innocence de Lissandra, Sin de son côté exposa l'énorme sac contenant les preuves d'exterminations sur le comptoir de la guilde.

— Nous avons terminé la quête d'exploration au Temple du Solarium.

L'intendante toucha sa poitrine avec un air soulagé, puis arbora un grand sourire chaleureux devant cet accomplissement.

— Vous avez fait vite ! Comment cela s'est-il passé ?

— Trois des quatre novices sont morts. Seul l'élémentaliste a survécu, annonça-t-il avec nonchalance.

Elle grinça des dents en entendant cette mauvaise nouvelle. Son beau regard noisette se tourna vers Artoria avec des notes méprisantes qu'elle ne se donnait pas la peine de cacher. Remarquant l'hostilité notable et soudaine que la jeune femme dégageait, Sin s'opposa à sa manière pour éviter tout débordement :

— Elle a été réprimandée, tout comme vous.

Alors que sa réponse la fit rougir, il reprit sans tarder son rapport sur la mission.

— Il y avait un ogre, des hobs et une escouade gobeline. Tout est dans le sac.

— QUOI ?! fit l'intendante en frappant le comptoir. Hum… excusez-moi, mais que faisait un ogre aussi proche de la cité ?!

— Aucune idée. Je n'ai pas pu lui soutirer plus d'informations. De toute manière, Asgard convoquera sûrement le maître de la Guilde pour une réunion de crise. 

Le problème étant résolu, une forme de malaise se lisait sur le visage de la jeune femme. Cependant, il était impossible pour son interlocuteur de savoir pourquoi elle réagissait ainsi.

— Très bien, je laisse votre compagnie gérer cela alors.

L'intendante retroussa les manches de sa chemise et commença l'inspection du sac. Malgré ses charmes et son aspect raffiné, elle glissa les mains à l'intérieur sans la moindre hésitation. Il fallait croire que toucher à des oreilles de démons nauséabondes et sanguinolentes ne la dérangeait nullement. Après tout, cela faisait partie de son travail. 

En sortant l'une des cornes de l'ogre, ses yeux se mirent à briller d'admiration.

— Woah… C'est incroyable ! Vous êtes incroyable ! s'exclama-t-elle d'un ton flatteur. Comment avez-vous fait ?!

— Je les ai tués.

La réponse stérile et dénuée de détails de Sin la contraria, lui dérobant un soupir à la volée. Cependant, son expression vira aussitôt à l'inquiétude. Elle inspecta furtivement l'armure du chevalier sous différents angles. 

— Vous… Vous n'êtes pas blessé au moins ?!

— J'ai quelques côtes brisées, mais rien de grave. J'irai au temple de la cité pour me faire soigner après, affirma-t-il avec un naturel déconcertant.

Il a des côtes brisées et il se tient devant moi comme si de rien n'était… songea-t-elle en soupirant de nouveau. 

— Il y a tellement d'oreilles… combien étaient-ils ? demanda-t-elle en reprenant l'inspection du sac.

Il réfléchit un instant, se remémorant les combats et ce que les aventurières lui racontèrent.

— Un ogre, cinq hobgobelins et environ cinquante gobelins.

Elle était bouche bée devant cette révélation, consciente que ce ne fut pas une mince affaire.

— Il y avait aussi des hobs ?! Une fois de plus, vous avez été d'une grande aide ! Hmm... Pour le nombre d'exterminations, je vous fais confiance. Pas besoin de recompter.

Sans raison particulière, elle se mit à haleter sous la pointe d'excitation qui la submergea.

Sin, comme à son habitude, ne remarqua pas le comportement étrange de son interlocutrice. Il était plutôt distrait par autre chose, et paraissait soucieux de voir si Artoria s'en sortait. 

Finalement, l'intendante se reprit et termina le débriefing :

— Hmm… Si vous voulez mon avis, vous n'aurez pas été au rang Argent bien longtemps ! Après cette quête, vous êtes éligible pour le rang Or, voire Platine avec cet ogre et ses sous-fifres !

Le chevalier resta muet face à cette annonce. Son regard pesant se faisait ressentir à travers son casque.

— Nous avons déjà eu cette discussion, vous savez bien que je n'en ai rien à faire, objecta-t-il avec franchise.

Sa dissidence fit rougir l'intendante une fois de plus.

— Hé bien… C'est votre choix ! Nous verrons ça avec le maître de guilde…

Pendant qu'elle essayait de le convaincre, elle griffonnait des notes sur une feuille de papier.

— Mis à part cela, j'ai terminé le compte de votre récompense.

La jeune femme montra le récapitulatif à Sin. Elle y avait écrit tous les détails de calcul des primes.

— Alors… Nous avons vingt magnus de bronze par tête pour les gobelins. Dix magnus d'argent par tête pour les hobs. La prime pour un ogre, quant à elle, s'élève actuellement à vingt magnus d'or. Et pour finir, la prime de quête qui était de dix magnus d'argent.

Dire que ces gamins se sont fait massacrer pour quelques pièces d'argent… pensa-t-il avec stupeur.

— Cela nous fait un montant exact de vingt magnus d'or et soixante-dix magnus d'argent. Étant donné cet exploit, je me permets d'arrondir la somme à vingt et un magnus d'or, ajouta-t-elle d'un clin d'œil. En attendant, toutes mes félicitations ! Patientez un instant, je vais chercher votre récompense.

Pendant que l'intendante prenait soin de laver le sang noir et visqueux qui commençait à coaguler sur ses mains raffinées, Sin réfléchissait déjà aux dépenses de la journée. 

Je devrai peut-être revoir notre stock de potions...

Au retour de la jeune femme, il lui demanda de partager la récompense en trois.

Le butin se montrait conséquent. Composé d'un amas de pièces en bronze, en argent et en or - qui se répandait grossièrement sur le bois usé - il attirait les regards envieux des autres aventuriers à proximité.

— Ce serait-y pas Sin, le fossoyeur ? chuchota un homme.

— Ouais, c'est lui… Putain de vautour ! On dit qu'il récupère les récompenses sur les cadavres des monstres et des aventuriers qui se sont entretués.

— Quand je vois la taille de son sac, un groupe a encore dû se faire décimer, quel enfoiré !

Les insultes et ragots flottaient dans l'air, mais Sin les ignora avec un calme déroutant. Même s'il faisait preuve d'un grand sang-froid, ce ne fut pas le cas de l'intendante qui prit soudain un regard colérique, prête à intervenir. Il effleura alors sa main pour l'en dissuader :

— Ne vous donnez pas cette peine.

Les traits de mépris que dégageait le visage de la jeune femme envers les autres aventuriers s'effacèrent aussi vite qu'ils étaient arrivés. 

— Merci pour votre travail, ajouta-t-il en récupérant les bourses pleines de pièces.

Une fois de plus, il ne lui laissa aucun répit et s'éloigna du comptoir à grands pas. Cependant, sur son court chemin, l'un des hommes qui l'épiaient s'interposa. 

Oh... pensa Fenris en s'agitant sur les genoux de Lissandra.

— Que se passe-t-il ? demanda cette dernière.

— Je ne sais pas, mais j'ai l'impression que l'air devient électrique.

L'aventurier qui lui bloquait le passage paraissait être un guerrier expérimenté. La plaque d'argent qu'il arborait fièrement et les traces d'usure sur son armure en témoignaient.

— Alors, la récolte a été bonne ?!

Le chevalier ne prêta pas attention à ses paroles et tenta d'avancer, mais l'homme lui barra de nouveau la route.

— Laisse-moi passer, recommanda Sin en conservant son calme habituel.

Alors que la tension s'accentuait, d'autres individus commencèrent à l'entourer.

— Mais non, on peut bien discuter un peu ! Je pourrai savoir où tu as récupéré ce joli magot ? demanda le guerrier avec un grand sourire hypocrite.

— Viens-en directement au fait.

— J'aimerais que mes camarades et moi en profitions aussi. Après tout, les temps sont durs pour les aventuriers en ce moment !

— Ouais, c'est vrai ! dirent les autres à l'unisson.

Sin regarda autour de lui. Les visages peu accueillants des hommes ne lui donnaient pas une vue de rêve. Lorsqu'elle s'en aperçut, Artoria se précipita vers la cohue.

— Qu'est-ce que vous foutez, les gars ?! s'écria-t-elle en s'interposant.

Le guerrier l'éjecta sans problème en dehors du cercle.

— Dégage, femme ! Ce ne sont pas tes affaires. 

Soudain, il lorgna sur le casque du chevalier.

— À ce propos, tu pourrais au moins nous montrer ton visage lorsqu'on te parle...

Tendant sa main pour tenter de le retirer, Sin soupira. Il attrapa son poignet pour arrêter sa bêtise, puis commença à le serrer avec légèreté, faisant craquer les nerfs sous la pression qu'il exerçait.

— Aïe aïe aïe ! fit le perturbateur qui abandonna aussitôt son expression assurée.

— Je n'ai pas de temps à perdre. Soit tu dégaines ton épée, soit tu dégages.

Dans tout Élyséa, rien n'interdit les combats entre les aventuriers. Si l'un d'eux sort son arme, peu importe le lieu, c'est qu'il est prêt à se battre et mourir. Par contre, tuer une personne qui ne cherche pas l'affrontement est considéré comme un crime.

La colère de Sin se fit peu à peu ressentir. Son aura devint glaciale et un vent de panique se leva dans le bâtiment de guilde. De son côté, le guerrier semblait en bien trop mauvaise posture pour tenter une quelconque riposte.

Próximo capítulo