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J'ai l'impression que je dois la protéger.

C'était encore la pause de 10 heures pour certains employés quand Utagawa Takao mit le pieds dans le Département Catastrophes Naturelles. Certaines personnes étaient toujours à leur poste, à travailler ou à discuter avec leurs voisins de bureau, tandis que d'autres s'étaient déplacées plus ou moins loin de leur siège pour discuter avec des employés du même Département ou de différents étages ayant fait le déplacement jusqu'ici. Des groupes s'étaient formés à l'intérieur comme à l'extérieur de la salle de pause aux murs vitrés ; l'accès aux machines à café et aux distributeurs de friandises étant devenu très difficile.

Avec une certaine anxiété, Takao observa tout l'étage pour essayer de trouver Shinohara Hana.

Il n'avait pas été présent quand elle s'était évanouie, et avait juste eu le temps de regarder l'ambulance quitter l'esplanade devant l'immeuble de la compagnie avant de demander plus de précisions sur ce qui été arrivé à la jeune femme. Beaucoup d'employés avaient été confus, ayant pour la plupart entendu par personnes interposées ce qui s'était produit ; et suspectant déjà que le Chef dingue du huitième étage avait encore une fois fait des siennes.

Au départ en colère contre l'homme qui était au cœur de la tourmente, Takao s'était rapidement rendu compte que personne ne semblait avoir la même version, et qu'il n'aurait pas de réponse claire à moins de demander des renseignements à des gens qui avaient directement assisté à la scène. Bien que les avis avaient au départ été confus, il avait pu enfin apprendre par Ogawa Saizo et le Chef Tsukasa ce qui s'était réellement passé, et s'était un peu calmé. La jeune femme avait fait une réaction allergique sévère, et ne s'était pas évanouie à cause du stress causé par l'accès de colère de son supérieur hiérarchique.

Cependant, même si le Chef Kobayashi n'y était pour rien, Takao ne pouvait pas s'empêcher de ressentir une certaine agressivité envers lui. Ce type avait eu dès le départ un sale caractère, et il n'aimait pas vraiment qu'il s'en prenne à ses employés à la moindre déconvenue. Ou, pour être plus exact, il n'aimait pas qu'il s'en prenne à Shinohara Hana.

Curieusement, les crises de nerf du Chef Kobayashi ne comptaient pas comme une menace valable aux yeux de Nana pour apparaître ; ce qui contrariait un peu Takao. Cela voulait-il dire que Hana devait se débrouiller seule face à cet homme ?

Takao n'aimait pas ça du tout. Il avait la sensation que Hana ne pouvait pas se défendre face à cet homme et à son comportement verbalement violent car elle était trop enfermée dans son rôle d'interne. La confrontation de Hana et du Chef Kobayashi juste après que ce dernier avait mal parlé d'elle en était la preuve : n'importe qui aurait eu le droit de se plaindre et de demander des excuses au Chef de Section, et ce avec raison. Que vous aimiez ou pas un subordonné ou un collègue au travail, ce n'était pas correct de parler crûment et vicieusement sans chercher à s'excuser quand la personne concernée découvrait le pot aux fleurs. C'était la moindre des choses, quand vous disiez quelque chose de blessant.

Toutefois, le Chef Kobayashi n'avait rien fait de cela. Quand il avait croisé Hana pour sortir de la pièce, il n'avait fait que lui lancer un regard inconfortable avant de s'éloigner en silence ; tandis que la jeune femme l'avait fixé du regard sans réagir. Assister à cet échange – ou plutôt, ce manque d'échange - avait été très gênant pour Takao. Ne sachant pas comment réagir lui-même, ni quelle était exactement la relation entre la jeune femme et le Chef de Section, il s'était retrouvé dans une impasse et avait dû se contenter de remonter le moral d'Hana.

Même si cette dernière montrait qu'elle allait bien, Takao était persuadé qu'elle avait été déprimée par ce qu'elle avait entendu à son sujet. Et soudainement, elle s'était retrouvée à l'hôpital.

Ne sachant pas si elle était rentrée chez elle du weekend, le jeune homme n'avait pas voulu la déranger, bien qu'il ait été inquiet à son sujet. Il espérait donc la trouver ce matin pour s'assurer que tout allait bien ; d'où sa présence au Département Catastrophes Naturelles.

Continuant de chercher la jeune femme du regard, il finit par croiser celui du Chef Kobayashi, debout devant son bureau ; et les deux hommes se fusillèrent mutuellement du regard. Il était clair pour Takao qu'il n'était pas le bienvenu en ces lieux, et que lui-même n'aimait pas apercevoir le Chef de Section qui était une vraie galère à gérer sur le plan émotionnel comme comportemental.

Pourtant, Takao possédait un avantage non négligeable face au Chef Kobayashi : il était Directeur du Département Catastrophes Naturelles – même si c'était provisoire – et par conséquent, le supérieur hiérarchique direct de l'homme au sale caractère. Il n'avait donc pas à supporter l'autre homme, et pouvait très bien lui demander de se taire ou de ne pas venir au travail si cela l'arrangeait. Abuser de son pouvoir était aussi facile que Takao détestait le faire, mais si ce type au visage courroucé cherchait les ennuis, il serait prêt à riposter.

S'avançant à travers les rangées de bureaux parfaitement alignés, il cessa de regarder le Chef Kobayashi et continua de tenter d'apercevoir la jeune interne. Si elle ne quittait pas l'étage pour prendre sa pause, elle devait forcément être dans les parages.

Néanmoins, il fut déçu de trouver que le siège habituellement occupé par la jeune femme était vide ; tout comme deux de ses deux collègues se trouvant de chaque côté. Un peu découragé, il leva les yeux vers Ito Ren, qui était toujours assis à son bureau, à taper avec ferveur sur son clavier d'ordinateur.

Peut-être que lui saurait où étaient passés ses trois autres collègues ?

« Excusez-moi », l'interpella Takao.

« Hum ? » Laissa échapper Ren en relevant la tête vers lui. « Je peux vous aider ? »

Les mains de l'homme s'étaient figées dans les airs et immobiles quelques centimètres au-dessus du clavier d'ordinateur ; comme si le type élégant et au comportement extrêmement courtois était un robot auquel on venait de débrancher l'alimentation électrique. Takao se senti un peu coupable de l'avoir interrompu en plein travail, et pour se faire pardonner, lui demanda de façon concise ce qu'il souhaitait savoir.

« J'aimerais parler à Shinohara-san, vous savez où elle se trouve ? » L'interrogea-t-il.

Ren passa une de ses mains sur ses cheveux pour les recoiffer en arrière, puis tourna la tête vers la salle de pause noire de monde.

« Je l'ai vue aller dans l'aquarium, » dit-il en désignant d'un signe de tête la pièce aux parois vitrées.

Takao le remercia, et l'employé se remit à taper sa phrase comme si on avait appuyé sur le bouton « lecture » après avoir fait pauser l'image d'une télévision. Comme si on ne l'avait jamais interrompu en premier lieu.

Le jeune Directeur, quant à lui, se dirigea vers la salle de pause en se faufilant avec prudence à travers la masse épaisse d'employés attroupés devant l'entrée et les murs de la pièce ; rendant cette dernière opaque. Il n'était pas étonné de ne pas avoir vu la jeune femme de loin, étant donné que son champ de vision avait été obstrué par les autres employés, mais une fois entré dans la pièce, il put enfin apercevoir la jeune femme, assis à une table en compagnie de ses deux collègues.

S'approchant lentement, il attendit d'être à seulement quelques mètres pour l'appeler par son nom.

« Shinohara-san ! » Dit-il pour faire connaître sa présence.

La jeune femme leva un regard surpris vers lui ; ne s'attendant visiblement pas à ce que l'homme se trouve devant elle, à cette heure-ci du matin.

« Oh, le type qui ressemble à mon frère, » dit Yuuto avec un air surpris, avant de reporter son regard vers son écran de téléphone comme si de rien n'était.

« Qu'est-ce que vous faites là ? » Demanda Mari avec un air suspicieux.

Toutefois, la jeune interne se manifesta avant que Takao n'ait le temps de répondre à Mari ; lui posant à peu près la même question à quelques secondes d'intervalles.

« Takao-san ? » Dit-elle avec étonnement. « Qu'est-ce que vous faites ici ? »

« Je… Je venais voir comment vous alliez... » Dit-il avec embarras.

« Oh, » laissa-t-elle échapper en formant un 'o' avec sa bouche.

« Vous… Enfin… Ça vous dérange pas si on parle un peu tous les deux ? »

Mari lui lança à nouveau un regard méfiant, et Takao se sentit un peu intimidé par elle. Cette femme pouvait avoir une attitude aussi tranchante que ce que laissait présager son nom de famille signifiant « ciseaux ».

« Hum, je suppose que j'ai encore un peu de temps avant la fin de la pause ? » Dit avec hésitation Hana, en tournant la tête vers Mari.

Cette dernière hocha de la tête pour lui signifier qu'elle avait encore du temps devant elle, et Hana la gratifia d'un sourire avant de répondre à Takao.

« Je pense que j'ai juste le temps, » dit-elle calmement. « De quoi vouliez-vous parler ? »

Malgré le brouhaha ambiant et les éclats de voix qui lui parvenaient de toutes parts, Takao trouva le moyen de se concentrer pour engager la conversation avec la jeune femme.

« Je n'ai pas osé vous appeler ce weekend, parce que je ne savais pas vraiment votre état, ni comment vous joindre... » Dit-il avec un air abattu.

Hana eut un petit sourire sympathique, et pencha légèrement la tête sur le côté.

« Ne vous en faites pas, je vais beaucoup mieux, » dit-elle.

« J'ai cru comprendre que c'était grave, vu qu'on vous as emmenée à l'hôpital, » continua-t-il.

« J'avais surtout besoin de repos, » ajouta-t-elle. « Donc vraiment, je vais bien. »

Le jeune homme fut soulagé d'entendre cela, et sentit les muscles de ses épaules et de sa nuque se relâcher. Il ne s'était même pas rendu compte que pendant tout ce temps, il avait été très stressé.

« Vous devriez tout de même faire attention à votre santé, » lui conseilla-t-il. « Ça pourrait se reproduire... »

À ces mots, Hana perdit le petit sourire rassurant qu'elle avait, et prenant en main sa tasse de café pour la porter à ses lèvres, dit sur un ton froid que ne lui connaissait pas Takao :

« Ça ne se reproduira plus, à moins que je ne me sois pas montrée assez forte. »

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