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Chapitre 4 - Le village

'Du pain, des pommes de terre, du lait et de l'agneau.'

Elle glissa le petit morceau de papier blanc dans la poche de sa veste brune, tombant jusqu'à ses genoux. Un panier en osier dans la main gauche, elle se pencha pour attraper son écharpe noire, qui était accrochée sur le porte manteau cloué au mur.

Elle était fin prête à partir. En sa qualité de domestique consciencieuse, elle vérifiera une dernière fois sa tenue, ainsi que la présence du petit sac en toile rouge dans son panier, avant de hocher la tête, comme à elle-même. Alors qu'elle posait la main sur la poignée, elle se ravisa, inspira bruyamment et tourna les talons en fronçant les sourcils, pour trottiner jusqu'au buffet en bois noir qui était installé dans le grand couloir.

'J'ai failli oublier le plus important.'

Elle avait failli oublier la raison de cette escapade.

'Les lettres.'

Le tas avait doublé de volume depuis qu'elle avait commencé à se préparer.

'Etrange.'

Elle n'avait pas souvenir d'avoir vu entrer la moindre personne dans le vestibule, mais ne s'en formalisa pas. Elvan devait avoir ajouté le courrier des autres membres de la famille au sien, lorsqu'elle avait le dos tourné. Elle était légèrement surprise qu'il ne l'ait pas interpellé, étant donné la scène à laquelle il avait assisté quelques minutes plus tôt.

'Je ne sais pas pourquoi je suis surprise...'

Elvan était après tout un homme discret, qu'elle n'avait que rarement croisé dans le manoir depuis son arrivée. Elle était en permanence dans cet endroit, mais ne l'avait presque jamais entraperçu en près de deux ans. Pendant cette période, tous deux avaient échangé via des lettres laissées dans le grand salon, mais n'avaient presque jamais été face à face. Le manoir n'était pourtant pas si grand...

L'endroit était spacieux et assez vaste pour accueillir plus d'une centaine de personnes, mais pas au point que deux de ses habitants ne parviennent jamais à se croiser.

Aina avait même faillit croire qu'il avait complètement disparu, avant de l'entrapercevoir au coin d'un couloir quelques jours plus tard.

'Il est doué pour passer inaperçu.'

Aina n'avait jamais su ce qui l'avait occupé tout ce temps, mais elle s'en contenta. Ce n'était pas sa place que d'être curieuse des occupations de son supérieur.

Aussi, attrapa-t-elle les lettres du bout des doigts, avant de les glisser dans sa besace. Cette fois-ci, elle était prête à y aller. Elle s'engouffra donc dehors et frissonna sous l'effet du vent glacial, qui brûlait presque sa peau. Elle souffla sur ses phalanges pour se réchauffer le bout des doigts et renifla. Les hivers étaient particulièrement froids dans ce lieu, car il surplombait la ville comme une montagne. Machinalement, elle tourna les yeux vers le manoir et aperçu une étrange silhouette se détacher de l'obscurité du deuxième étage.

'Il y a quelqu'un...'

Celle-ci était immobile, juste devant la fenêtre, à tel point que l'on aurait pu la prendre pour une statue. Elle était comme une masse noire, dont Aina ne distinguait aucun des traits. Elle donnait au lieu un aspect semblable à celui d'une maison hantée, mais la jeune gouvernante n'avait pas peur. Elle avait l'habitude de l'apercevoir, chaque fois qu'elle quittait les lieux.

Personne n'occupait le deuxième étage, sauf peut-être mademoiselle, mais elle ne voyait pas bien la raison pour laquelle cette dernière perdrait son temps à la scruter sans rien dire, comme un hibou depuis sa branche dans la nuit.

Elle ne savait pas qui cela était, ni pourquoi cette personne se tenait ainsi là, à la fixer de la sorte. Tout ce qu'elle savait était que cette silhouette était là à son départ et qu'elle n'aurait pas bougé d'un poil à son retour. Cela était toujours le cas, quoiqu'il arrive.

Enfonçant son cou dans ses épaules, elle releva son col et s'empressa de se diriger vers l'épaisse forêt noire qui entourait le manoir, ignorant les yeux qui étaient posés sur sa personne. Elle n'avait après tout pas le temps de se préoccuper plus de cela.

Elle avait des obligations et des horaires à respecter et ne tenait pas à être réprimandée par le patriarche pour avoir ruiné le dîner mensuel familial.

'Le banquet.'

Ce n'était pas à proprement parlé « un banquet », mais tous l'appelait ainsi, car les réunions de famille dans le manoir n'étaient pas choses courantes et qu'elles étaient donc toujours célébrées par un festin, comme on en voyait que très rarement. Bien que les membres de cette prestigieuse famille vivent sous le même toit, ceux-ci ne se côtoyaient que très rarement, ce qu'Aina avait d'ailleurs toujours trouvé étrange.

Même si ces gens étaient des nobles, qui devaient en toute circonstance être servis par des domestiques, leur façon de vivre était plus que singulière.

'Quelle mère ne verrait ses propres enfants qu'une fois par mois ?'

Un craquement dans les branches la fit sursauter et elle scruta autour d'elle, l'œil inquiet. Elle n'aimait pas l'atmosphère de cet endroit, dans lequel personne n'osait s'aventurer. Elle connaissait bien le chemin et l'avait fait maintes fois, mais elle avait toujours le sentiment de pouvoir se perdre dans l'épaisse forêt sombre, qui bloquait le moindre petit rayon de soleil qui éclairerait son chemin.

Tout était effrayant et déstabilisant, que ce soit les troncs d'arbres tordus qui pavaient la route, fendus en leur centre par des trous béants ressemblant à des bouches déformées d'effroi, où les craquements et sifflements des animaux qui peuplaient le bois.

Cette muraille naturelle cauchemardesque était pourtant un mal nécessaire, qui protégeait les Signavit depuis des générations.

La légende racontait que seuls les habitants du manoir pouvaient la traverser sans se perdre, ou devenir fou. Aussi fallait-il toujours être accompagné de l'un d'eux pour espérer pénétrer en ces lieux. La demeure n'avait donc que peu de visiteurs, qui annonçaient toujours leur présence par des lettres, qu'Aina récupérait au village, même si ces occurrences étaient rares.

Aina ne savait pas de quand datait la dernière venue d'un étranger entre les murs.

'Je ne crois pas en avoir déjà croisé un depuis mon arrivée.'

Qui aurait voulu se rendre dans un tel endroit, sans une bonne raison ? Si l'on ajoutait à cela que la bâtisse se trouvait tout en haut d'une colline, à laquelle on ne pouvait accéder qu'après avoir escaladé pendant une bonne quinzaine de minutes, il n'était pas étonnant que personne ne s'y risque. Et puis... qui viendrait déranger la célèbre famille maudite, que tous craignaient... ?

Personne.

Personne ne serait assez fou. Les Signavit n'étaient de surcroit pas des gens de nature très sociables et passaient donc la plupart de leur temps enfermés chez eux, dans leurs chambres à l'esthétique étrange. C'était à croire qu'ils ne voulaient pas quitter les lieux.

Ou ne le pouvaient pas.

« Il y a quelqu'un ? » hasarda-t-elle, avant que le bruit du vent lui réponde.

'J'ai dû rêver', tenta-t-elle de se convaincre, sans y parvenir.

Aina était une femme de bon sens, qui ne croyait en rien d'autre que la réalité et les choses qu'elle voyait, mais elle avait l'étrange sentiment d'être fixée. La sensation que quelque chose était caché là, dans l'obscurité, à l'abris de tous les regards.

Perdue dans ses contemplations, elle sursauta en entendant le cri d'un corbeau et ne prit pas un instant de plus pour tourner les talons et continuer sur le grand chemin, qui menait au village.

'Je déteste cet endroit... Il me donne la chair de poule.'

Ce n'était pourtant pas la première fois qu'elle était chargée de l'importante tâche de récupérer les lettres, mais elle ne parvenait toujours pas à se faire au chemin lugubre qu'elle devait emprunter. Dès qu'elle s'échappa de la forêt, le ciel cramoisi se teinta d'une belle couleur bleue, comme si elle avait passé la porte menant vers un autre monde. La végétation malade reprit sa belle couleur verdoyante et la sensation étrange qu'elle avait ressentie plus tôt la quitta. Le panorama de la ville était si différent de celui du manoir où elle vivait, sans qu'elle puisse en expliquer la raison. Elle se précipita jusqu'à la grande bute, au bout de laquelle se trouvait un petit passage en pierre contre la falaise.

'Plutôt une corniche.'

Le chemin était escarpé et particulièrement étroit, au point que peu de gens s'y seraient risqués. Les protubérances de roches avaient l'air prêtes à s'écrouler, mais Aina savait mieux que personne à quel point celles-ci étaient solides. Aussi dangereux cela paraissait-il, elle savait qu'elle pouvait traverser sans retenue. Ce raccourci n'était périlleux qu'en apparence, pour celui qui en connaissait les moindres recoins.

'Comme moi.'

Pour les autres, il n'était qu'un moyen de rencontrer la mort un peu plus tôt que prévu.

Pas étonnant que les nobles de l'empire ne se pressent pas à nos portes.

Le vent soufflait particulièrement fort en haut de la grande vallée, au centre de laquelle se détachait la ville, légèrement camouflée par les nuages bas qui la couvrait d'un voile grisâtre. Elle avait toujours l'impression de pénétrer dans un autre monde, lorsqu'elle se rendait en ville. Elle admira quelques instants la plaine verdoyante en contrebas et s'engouffra sur le rocher pour se frayer un chemin jusqu'en bas.

Il fallait la plupart du temps plus de deux heures pour arriver en bas, mais sa bonne connaissance du terrain l'aida à descendre en moins d'une quinzaine de minutes. Elle était une experte depuis le temps...

Elle soupira, en apercevant les gardes aux abords de la ville, se tenant droits comme des piquets sur les côtés de la grande porte. Ils portaient tous deux une épaisse et étincelante armure de fer, ainsi que de longues épées qui semblaient assez aiguisées pour pouvoir trancher toute chose.

« Mademoiselle. » la salua l'un des deux hommes, celui qui ressemblait à une montagne.

Elle hocha la tête en réponse et traversa l'arche en pierres sans mot dire.

« Toujours pas bavarde à ce que je vois. » grogna l'autre dans sa barbe, plus petit et chétif.

« Greg ! » le réprimanda le premier, en le frappant de la paume à l'arrière de la tête.

Aina soupira, sans même se retourner. Elle venait très régulièrement et les gardes la saluaient donc toujours ainsi, à force de la voir entre les remparts. Pourtant, elle ne leur répondait presque jamais. Ce n'était pas qu'elle ne le voulait pas, ou qu'elle ne les appréciait pas. Elle n'était simplement pas très douée pour faire la conversation et surtout à des personnes qui pourraient lui poser tout un tas de questions sur la famille qu'elle servait.

« Tout ça parce qu'elle est la servante des Signavit... » continua le dit Greg, visiblement contrarié, sans même remarquer qu'Aina l'entendait parfaitement.

Elle entendit la montagne réprimander une nouvelle fois son collègue, mais ne s'arrêta pas pour continuer à assister à leur querelle.

Elle avait du travail et ce genre de mésaventures plus que courantes ne devaient pas la freiner dans sa tâche. Son attitude pouvait sembler être de l'arrogance, mais ce n'était que de la prudence, vis-à-vis des villageois qui finiraient par poser trop de questions ou de ses maîtres qui lui feraient payer son éventuel retard.

La famille Signavit et ses us et coutumes n'était pas un sujet tabou, mais il avait toujours existé un accord tacite entre les servants du manoir et ceux qu'ils servaient, de ne pas parler de ce qu'il se passait entre les murs du château.

'Tout le monde sait que maître Wrath déteste les racontars.'

Elle ne savait pas ce que cet homme lui ferait si elle osait colporter des rumeurs sur lui, même sans le vouloir. Aussi, préférait-elle ne rien dire, au risque de passer pour une asociale arrogante. Sa vie valait après tout bien plus que sa réputation à ses yeux.

Elle n'était pas là pour se faire bien voir des autres, même si la perspective d'être jugée par tous ne l'enchantait pas.

'Ce n'est pas comme si j'avais beaucoup d'amis en temps normal...'

Les villageois pullulaient sur la place du marché, probablement à cause du beau temps. Les stands des commerçant formaient une grande allée, le long des pavés couleur rouille. Les abords de la ville où elle se trouvait, n'étaient que très peu peuplés par rapport à la capitale, mais cela n'empêchait pas l'endroit d'être noir de monde, à tel point qu'elle eut l'impression que tous les hameaux alentours eussent fait le déplacement jusqu'ici.

Elle n'aimait pas beaucoup la foule, même dans les endroits qu'elle fréquentait souvent. Aussi se hâta-t-elle vers la grande fontaine, son petit panier contre son cœur, pour éviter qu'il ne tombe sous l'assaut des passants, entre lesquels elle se frayaient désespérément un chemin. Contrairement au manoir, la place était bruyante et baignée dans l'odeur de la viande grillée et des effluves d'épices qui étaient disposées ça-et-là, à la vue de tous.

'Mes vêtements vont encore sentir mauvais...' pensa-t-elle en retenant une grimace.

Son regard glissa sur les petites maisonnées en bois qui jonchaient le sol d'un œil curieux. Des habitations aux contours flous et dont les fenêtres étaient baignées d'obscurité et sans la moindre profondeur, comme s'il n'y avait que le vide derrière. La ville était plutôt singulière, sans aucun relief, à la manière d'un décor artificiel... Comme une photographie.

Elle repéra le boucher et s'en approcha, ignorant les quelques regards curieux qui se posaient sur elle.

« Bonjour miss. » la salua-t-il de la main, d'une voix chaleureuse.

La jeune femme observa l'homme sans visage, un vague sourire aux lèvres. Il avait une quarantaine d'années et lui avait dit travailler dans cet endroit depuis plus de vingt-ans, avec son épouse qui s'occupait de produire le lait. Aina aperçu d'ailleurs celle-ci non loin de lui, particulièrement occupée avec une file de clients.

« Daniel. » lui répondit-elle en hochant la tête, tandis que l'homme tranchait un jambon, avec un énorme hachoir.

Il s'appliquait à découper de fines lamelles, dont l'arôme lui parvint presque aussitôt.

« Qu'est-ce que ce sera aujourd'hui ? » questionna-t-il la jeune femme, essuyant la peau lisse et vide de son visage, de la manche de sa chemise grisâtre couverte de graisse.

« De l'agneau. »

Le boucher s'arrêta dans son mouvement et releva la tête vers elle, avant que la surface de sa face se plisse. Elle avait toujours eu plus ou moins de mal à décrypter les expressions de cet homme qui n'était littéralement qu'un crâne couvert de cheveux, mais avait appris petit à petit à interpréter les mouvements presque imperceptibles de la couverture de peau plate et brillante qui lui servait de visage.

Comme tous les autres.

Qu'en pensez-vous ?

L'histoire peut peut-être paraître longue à démarrer, mais je prends mon temps pour bien poser le cadre étrange (je pense que vous l'aurez remarqué) dans lequel l'histoire se place.

J'espère que vous continuerez à me suivre dans cette folle aventure.

A plus !

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