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Je ne la comprends pas.

10 heures, Lundi matin.

Shinsuke voulait tellement rendre la vie de la jeune femme misérable. C'était ce qu'il venait même de se murmurer à lui-même.

'Shinohara Hana… Je vais faire de ta vie un tel enfer qu'à la fin de la semaine, tu viendras pleurnicher pour démissionner.'

Il avait toujours cette résolution, et énervé comme il l'était, il comptait bien la mener jusqu'à sa fin. C'était une folle, après tout, qui l'avait agressé. Elle l'avait humilié, s'était fichue de lui et fait bannir d'un bar.

Cependant…

Il leva la tête juste assez pour regarder au-dessus de la cloison de son bureau, et vit la jeune femme s'agiter à trier les documents issus des trois gros classeurs qu'il venait de déposer devant elle. Elle semblait un peu prise de court, mais s'attelait tout de même à la tâche.

Puis, il baissa le regard vers l'écran de son ordinateur, et le long email incendiaire qu'il avait écrit au sujet de la jeune femme.

'Elle est dans l'impossibilité de témoigner…. Comme elle était ivre, elle ne se souvient de rien'.

Les paroles du nouveau Directeur lui revinrent à l'esprit, tandis qu'il continuait d'observer sans vraiment le lire tout le texte qu'il avait tapé jusqu'à présent.

Il comptait vraiment lui pourrir la vie. Il y avait bien réfléchi durant le court week-end qui s'était écoulé, et s'était dit que même en disant juste ce qu'il avait vu sur le moment, elle serait suffisamment dans les ennuis sans qu'il ait le besoin de mentir. Il se vengerait, d'une façon ou d'une autre, en lui rendant la vie impossible.

Alors pourquoi est-ce qu'il hésitait encore ?

Il avait écrit dans les moindres détails ce qu'il avait vu, et même s'il avait exagéré certains points, il n'avait pas menti.

Levant à nouveau la tête au-dessus des cloisons en plastic gris clair, il observa à nouveau la jeune femme. Elle semblait parler avec ses voisins de bureau – s'il se fiait à la direction de ses regards, il devait s'agir de Yamamoto Yuuto – et souriait timidement tout en montrant certains documents au jeune homme à côté d'elle. Probablement pour lui demander de l'aide ou son avis.

À bien y regarder, elle n'avait pas l'air si vicieuse que ça. Elle avait même l'air d'une jeune femme tout à fait normale. Peut-être que ce qui s'était passé entre eux n'était que l'erreur d'un soir, et d'un verre de trop.

Si la jeune femme ne se souvenait de rien en étant ivre, il pouvait aussi dire adieu à sa vengeance, ou à de quelconques excuses. Tout d'un coup, il se sentait bête.

À bien y réfléchir, il n'aurait probablement pas dû y accorder tant d'importance.

Frustré, il se gratta énergiquement la tête, se décoiffant encore plus qu'il ne l'était déjà.

Ah, ça ne servait à rien de trop réfléchir dans ces situations-là. Le mieux qu'il avait à faire, était encore de rester fidèle à lui-même.

Posant son index droit sur la touche retour de son clavier, il la maintint appuyée pour faire disparaître tout ce qu'il venait de taper dans le corps de son email. Les lignes de textes s'envolèrent toutes de la page virtuelle pour laisser place au blanc immaculé de l'écran vide.

« Tu fais quoi ? » Demanda Saizo, son visage presque collé à celui de Shinsuke, et regardant lui aussi l'écran à la page vierge.

Shinsuke sursauta de peur, s'écartant à la fois de Saizo et de son bureau.

« Tu m'as fait peur, abruti... » Râla-t-il en murmurant.

« Quoi ? T'as quelque chose à te reprocher ? » Sourit Saizo.

« À me reprocher ? Rien du tout. » Répondit-t-il sèchement.

« Mmmh Mmhhh, » marmonna Saizo. « Tu n'as pourtant pas l'air d'avoir la conscience tranquille. Tu étais pourtant si énervé il y a peu...»

Shinsuke allait lui répondre qu'il ferait mieux de se mêler de ses affaires, quand le téléphone sur son bureau sonna. Avec réticence, il décrocha le combiné tandis que Saizo reprenait innocemment le travail. Son collègue et ami savait au moins quand s'arrêter, et redevenir sérieux.

« Kobayashi Shinsuke à l'appareil. » Dit-il.

« Chef Kobayashi ? Je n'ai pas encore reçu votre email. » Dit une voix d'homme.

Shinsuke cligna des yeux, tentant de situer qui parlait, et de quoi.

'Ah oui… Ce type…'

Fronçant les sourcils, il répondit :

« Serizawa-san… J'ai pas encore pu l'écrire, excusez-moi. Il vous le faut pour quand ? »

« Dans la journée si possible. Nous aimerions clore ce dossier au plus vite, » dit l'homme du Service Juridique. « Cependant... »

Quoi ? Qu'est-ce que ce type s'apprêtait à dire ?

Shinsuke détestait les personnes se mêlant de la vie des autres, et ceux ayant un rapport avec la loi. L'homme du nom de Serizawa possédait ces deux traits, ce qui avait rendu chaque entrevue avec lui pénible et énervante ; et ce que Shinsuke détestait encore plus, c'était quand ce genre de personne avait des demandes supplémentaires à faire.

« Cependant… Je vous appelle aussi car nous voulons voir Shinohara Hana. Pourriez-vous lui dire de monter dans notre service ? »

Ah. C'était donc pour ça qu'il appelait ?

L'homme aux cheveux ébouriffés et à la barbe de trois jours avait un mauvais pressentiment, mais il n'y avait rien qu'il ne puisse faire. La jeune femme aurait à régler les choses elle-même.

« Hum, oui, je vais lui dire de monter, » répondit-t-il avant de raccrocher sans même laisser à Serizawa le temps de dire autre chose.

Puis, toujours le combiné à la main, il chercha dans l'annuaire la référence de poste fixe de la jeune femme, et composa le numéro de téléphone interne lui étant attribué.

Le téléphone sonna une, deux puis trois fois avant que son interlocutrice ne réponde, et qu'une voix de femme dise « Chef Kobayashi ? ».

« Shinohara, le Service Juridique veut te voir tout de suite, donc laisse tomber ce que tu es en train de faire et monte maintenant. » Ordonna-t-il.

Il y eut un silence à l'autre bout du fil, et tenté de savoir ce qui se passait, Shinsuke regarda à nouveau par-dessus la cloison de son bureau. Il vit que la jeune femme chuchotait avec ses collègues, un air soucieux affiché sur son visage. Visiblement, cet appel soudain avait dû l'inquiéter, d'autant plus qu'elle était convoquée à un étage dépendant de l'administration de l'entreprise. Il pouvait aussi entendre des voix étouffées, signe que la jeune femme avait probablement mis sa main sur le combiné pour empêcher qu'on l'entende parler ; préférant cela au fait de mettre son responsable en attente, ce qui aurait été vu comme un manque flagrant de respect.

« Chef, si je peux me permettre, vous savez pourquoi on me demande d'y aller ? » Demanda une voix semblant assurée.

Il pouvait clairement le voir, de là où il se trouvait. Une voix pleine de confiance, qui n'allait pas du tout avec le visage inquiet de la jeune femme. Elle se forçait visiblement à se montrer forte et déterminée, sûrement pour maintenir les apparences ; et maintenant que Shinsuke y pensait, peut-être que toutes les fois où elle avait souri, elle avait fait semblant.

Peut-être que chaque fois qu'elle avait montré de la gentillesse, c'était pour de faux.

Cette pensée fit remonter la bile dans la gorge de Shinsuke.

« J'en sais rien, » répondit-il simplement avant de raccrocher.

Même si la situation allait s'avérer difficile pour la jeune femme, il n'interviendrai pas.

Il s'était juré de ne plus jamais se préoccuper des autres, et ce n'était pas aujourd'hui qu'il allait rompre cette promesse qu'il s'était lui-même faite.

Presque comme une punition instantanée, son bras lui fit soudainement mal, et il grimaça de douleur.

Soit, il passerait l'éponge sur le comportement de cette femme, mais il en resterait là.

Quant à Hana, elle avait beau garder le sourire, elle était tout de même anxieuse.

Qu'est-ce que le Service Juridique pouvait bien lui vouloir ?

Au départ, elle ne savait même pas à quoi ce Service correspondait, aussi avait-elle rapidement interrogé Yuuto à ce sujet. Puis, en sachant que l'étage où elle devait se rendre se chargeait de tous les litiges, elle pensait avoir fait quelque chose de mal vis-à-vis d'un client, sans s'en rendre compte.

Cependant, elle ne se rappelait pas avoir eu des paroles déplacées, que ce soit par écrit ou par téléphone, et même Mari n'avait rien remarqué de particulièrement notable ces derniers jours ayant pu déboucher sur des problèmes d'ordre légal.

Il ne restait donc… Que cet étrange vide entre vendredi soir et samedi matin.

Après avoir perdu connaissance pendant le dîner d'entreprise, elle ne s'était pas réveillé jusqu'au lendemain, un peu avant sept heures. Elle ne savait pas ce qui s'était passé après, ni comment elle avait pu rentrer chez elle. C'était le noir complet.

Toutefois, elle avait un horrible pressentiment. Comment avait-elle pu rentrer chez elle sans ses clés, ni le code d'accès à l'immeuble ? Elle ne se rappelait pas avoir repris connaissance, donc même en ayant été raccompagnée chez elle, elle n'aurait pas pu donner ces informations, comme son adresse, le code d'accès ou son numéro d'appartement.

Après avoir vérifié dans l'intranet à quel étage elle devait se rendre pour arriver à destination, elle verrouilla son écran d'ordinateur, et prenant sa veste jusqu'à présent posée sur le dossier de sa chaise et son téléphone portable, elle se dirigea vers l'ascenseur. Ce dernier arriva rapidement, et montant à bord, elle appuya sur le bouton pour le seizième étage, auquel se trouvait les Ressources Humaines et le Service Juridique.

En un souffle, les portes brillantes de l'ascenseur se refermèrent, et quand Hana leva les yeux, elle vit sur la surface lisse son reflet qui la regardait calmement.

Elle cligna des yeux, et son image disparut un instant, avant de réapparaître à l'identique.

C'était la même personne, sans vraiment l'être. Elles avaient le même visage, la même voix, mais pas du tout les mêmes personnalités ; et quelqu'un les voyant l'une après l'autre penserait avoir à faire à deux personnes différentes. L'autre point les différenciant concernait leurs souvenirs, et si Hana ne se souvenait de rien, cela voulait dire que « Nana » avait probablement fait son apparition.

Se pouvait-elle qu'elle ait causé des ennuis, et qu'elle soit la raison pour laquelle Hana était convoquée ?

Hana n'en savait rien. Elle ne faisait pas confiance à Nana, et ne savait jamais ce qu'elle pouvait bien faire avec son corps quand elle prenait le contrôle. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était de constater les dégâts. Cette autre femme apparaissait quand elle le voulait, sans prévenir, et même si Hana avait réussi à plus ou moins contrôler ce phénomène en évitant les possibles déclencheurs comme le stress, la fatigue, ou encore l'alcool, les accidents continuaient de se produire. Comme si Nana avait des objectifs bien à elle, et qu'elle voulait à tout prix les remplir.

Que ce soit ces objectifs, ou les raisons entourant la présence de Nana, Hana ignorait tout de cela. Elle ne comprenait pas comment tout cela avait pu arriver, et encore moins comment vivre normalement.

Fixant droit dans les yeux son reflet, la jeune femme pensa qu'après tout, elle ne se comprenait peut-être plus elle-même.

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