Sous les yeux de Kalin

"Kalin est donc venue après tout" se dit Sulk, le visage redevenu impassible mais les yeux pétillants.

La fille du Roi de la mine de l'Est était en haut des gradins, le menton posé sur ses poings, la bouche ouverte légèrement dans un masque de surprise et d'excitation.

Sous ses airs de jeune mineur brûlé couvert de terre, son petit cœur se mit à accélérer. Depuis leur rencontre, Sulk était devenue une énigme pesant constamment dans son esprit. Le jeune homme à peine plus vieux qu'elle était une énigme complète.

Il avait sû percer son déguisement avec une facilité déconcertante, et ses yeux lui avait paru comme deux flambeaux capables de voir à travers son âme même.

En un sens ce jeune tierran l'intriguait presque maladivement par son côté mystérieux et son assurance. Mais bien évidemment ce qui était le plus étrange, était sa cultivation.

C'était quasiment impossible pour un cultivateur de terminer dans la mine sans se faire repérer par Maître Donglu et les autres.

Et pourtant, Sulk était ici, devant elle, et bravait les dangers.

Même maintenant alors qu'il était debout dans l'Arène, face à un homme plus mature et d'une stature en tout point supérieure, Sulk ne montrait aucune faiblesse.

Pendant une fraction de seconde, Kalin crut même discerner un léger froncement de lèvre, comme un sourire discret chez le jeune homme.

Sulk chassa l'image de Kalin de son esprit lorsque son adversaire monta à son tour sur la plateforme. Cependant une pointe de son esprit ne put s'empêcher de se concentrer sur la position de la jeune fille. C'était plus un réflexe qu'autre chose, mais Sulk ne sut dire quoi.

Ce fut Yahzin qui lui apporta une réponse, sans sortir de la sphère de sa conscience.

"Attention gamin. La fille est en train de t'observer."

Sulk comprit instinctivement ce que le Patriarche voulait dire par 'observer'. Son ton était clair, il se référait à ce que les cultivateurs modernes issus des Anciens appelaient le sens divin.

Kalin avait deviné dès leur première interaction que Sulk était un cultivateur. Il n'était pas un tierran mortel comme tous les autres. Cependant Sulk savait qu'elle ignorait l'étendue de son pouvoir. Elle même n'avait pas réussi à atteindre le premier stade de la cultivation après tout.

"Sa Trace est sur moi !" réalisa t-il sans pour autant s'inquiéter.

Il connaissait le niveau de cultivation de Kalin et bien qu'il ne la pensait pas capable de ressentir aussi loin, il savait qu'il ne courait pas trop de danger, du moment qu'il faisait attention.

Sa propre Trace, l'émanation violette qui se concentrait sur la présence de Kalin, était d'une puissance bien supérieure et agissait comme un bouclier le masquant complètement. Grâce à cela elle ne risquait pas de déceler en lui la présence de la Foudre Éternelle.

Cependant durant un combat, Sulk se rendit compte qu'il devrait restreindre sa force plus que d'habitude. Toutes ses capacités physiques venaient de la Foudre, et il savait que cela laissait une marque indélébile dès lors qu'il l'utilisait.

Yahzin ne rajouta rien, lui et Sulk se comprenant sans besoin de communiquer. Il savait Sulk assez clairvoyant pour comprendre toutes les implications d'une simple phrase.

Sulk allait devoir se battre à main nue. L'explosivité de ses muscles venant principalement de la redirection de son flux de Nos interne par le biais de la Foudre, il ne pourrait pas exhiber des prouesses semblables à ses combats précédents. Contrairement aux cultivateurs du clan Fen, Kalin n'avait pas de restreintes magiques, et ses capacités d'observation étaient surement supérieures, aussi Sulk ne pouvait pas prendre de risque. La Foudre Éternelle venait du peuple de Yahzin, et était considérée par les Anciens et les tierrans comme étant une cultivation immorale qui ne devait pas exister.

Même si Kalin n'avait révélé à personne que Sulk était un cultivateur, si elle apprenait qu'il cultivait un de ces arts barbares qui ne devrait plus exister depuis des milliers d'années, il ne savait pas ce qu'elle pouvait faire.

Sulk calma son méridien qui était bouillonnant d'impatience. Son corps entier vibrait d'envie de pousser à nouveau ses limites mais Sulk se calma volontairement. A l'inverse, son adversaire semblait se réveiller.

Bien que ce ne fut encore qu'une phase qualificative du Tournoi des Deux-Mains, ce combat était le commencement du deuxième jour. Chaque tierran montant dans l'Arène avait déjà au moins deux victoires, peu importe leur statut d'amateur ou de vétéran. Chaque combattant avait commencé à acquérir une certaine fierté mais également une expérience dans une situation de vie ou de mort. Même chez un tierran insignifiant cela pouvait réveiller un instinct de combat inattendu.

C'était le cas de l'adversaire de Sulk, un tierran sec et musclé sans pour autant être colossal. Comme si son moteur interne venait de se réveiller, il se mit à vrombir presque audiblement.

Pour la première fois Sulk sentit une émanation physique d'esprit combatif venir d'un être vivant.

Cela ressemblait à ce qu'il avait senti venir de Galij le vétéran, mais avec une intensité redoublée du fait qu'il se trouvait sur le point de combattre, en face de lui.

Une aura montait de son adversaire, comme une bête féroce aux griffes acérées. Sulk sentit qu'eux deux étaient conscients de ne pas avoir le droit à l'erreur.

"C'est un match à mort" se dit il alors que la foule fit le silence en attendant le commencement du combat.

Le départ fut donné et les deux combattants se mirent à s'observer. L'adversaire de Sulk était prudent et ne se lança pas dans la bataille immédiatement. Sulk se contenta de l'observer pour l'instant.

Leurs postures à tous les deux étaient sans failles, le poids également réparti sur les deux jambes, attendant de voir ce que l'autre allait faire avant de décider d'une attaque ou d'une contre-attaque.

Ce fut finalement Sulk qui lança le premier coup.

En un pas rapide, il réduisit la distance les séparant. Son adversaire en profita pour tourner sur ses appuis, le talon décrivant un cercle parfait, mais sans y mettre toute sa force. Sulk recula d'un demi pas immédiatement, esquivant le coup sans trop de soucis. Bien que paraissant impressionnant, il était clair que ni l'avancée de Sulk ni le coup de pieds venant d'en face n'étaient de vraies attaques.

Ce n'était rien de plus qu'une manière de se jauger.

La foule soupira comme d'une seule voix devant l'aisance des deux tierrans. Comprenant que le vrai combat n'avait pas encore débuté, un bon nombre de spectateurs se mirent à commenter, à discuter entre eux qui allait probablement gagner le combat.

La grande inconnue du match était Sulk. Le jeune homme qui physiquement ne paraissait pas à la hauteur avait marqué les esprits deux fois de suite la veille, battant même un record de vitesse de manière si vicieuse qu'il en avait coupé le souffle de bien des hommes présents.

Son adversaire d'aujourd'hui en était conscient, et sa garde en était renforcée.

Ce fut son tour de feinter en direction de Sulk, et Sulk de riposter. Lui aussi avait opté pour un coup de pied levé, comme s'y attendait son adversaire.

"Ça y est tu as fini de t'amuser ?" demanda Yahzin d'une voix calme et posée.

"Il faut bien divertir la foule" répondit Sulk mentalement.

Son pied n'avait fait que la moitié de sa trajectoire, et sa cible s'était déjà reculée sèchement lorsque Sulk décida d'attaquer pour de vrai. Tout en maintenant la direction globale de son attaque, son autre jambe en appui se détendit comme un fouet claquant l'air, projetant la mince silhouette de Sulk en l'air.

Le bond inattendu et rapide surprit son adversaire, dont le visage se trouvait seulement à quelques centimètres de l'impact désormais.

Bien que n'ayant pas concentré d'énergie interne dans ses muscles, Sulk possédait en lui toute la force d'un cultivateur au stade de Disciple. Était-il même possible pour un tierran mortel d'esquiver un coup pareil?

Une main calleuse de mineur se referma sur son talon, juste avant qu'il ne touche le nez de son adversaire. Les lèvres retroussées dévoilant une rangée de dents irrégulières, celui-ci le regardait d'un œil noir qui semblait crier "je t'ai eu".

La réponse était oui.