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CHAPITRE 19 UN NOUVEAU DÉPART.

Il avait été pénible de remonter le corps d'Edward, mais il était impossible de contacter les secours dans la mine et ils ne pouvaient décemment pas laisser le corps du Traqueur dans les profondeurs. La lueur provenant du sabre avait faibli à mesure que les minutes s'étaient égrainées en attendant les renforts.

— Je ne toucherai pas le sabre à mains nues si j'étais vous, conseilla Mark lorsqu'ils furent enfin là. La lame est gorgée de sang et elle est maudite.

Eowyn n'avait pas quitté les bras d'Adrien, qui ne s'en plaignait pas, bien sûr. La chaleur de leur étreinte réchauffait leur cœur glacé par les décharges d'adrénaline de cette dernière heure. Ils avaient dû répondre à une série de questions qui leur parue sans fin avant de pouvoir regagner leur domicile, non sans avoir pris des nouvelles de Théodore. Le Capitaine s'en tirait bien, il était bon pour quelques semaines de repos, mais il ne garderait aucunes séquelles.

Les six jeunes gens se trouvaient désormais dans leur salon, un remontant en main savourant leur victoire douce-amère. La mort d'Edward les avait ébranlés. Bien sûr pour cinq d'entre eux, ils savaient que ce genre de situation pourrait se produire. Mais jusqu'alors il leur avait semblé bien difficile d'imaginer ce sentiment d'impuissance et d'amertume lorsque la possibilité de la mort se confond avec la réalité.

Adrien commençait lui aussi à mesurer l'impact de la connaissance de Valinor sur sa vie. Est-ce que ce genre de situation allait devenir son quotidien désormais ? Sentant son trouble, Eowyn passa sa main fraîche contre sa joue, l'éloignant des sombres pensées, qui l'envahissaient. Il prit une gorgée de bière pour se donner du courage. L'amertume de la boisson lui tira une grimace, mais le liquide, une fois avalé, diffusa une douce chaleur jusqu'au bout de ses membres. Il se tourna vers la jeune femme, qui accrocha son regard. Un instant leurs pensées se confondirent en un seul et même espoir : tant qu'ils seraient ensemble, ils pourraient tout affronter.

***

Le lendemain fut également éprouvant. Ils furent reçus par la Reine de diamant en personne. Après lui avoir raconté leurs aventures, elle leur sourit chaleureusement, puis leur dit d'une voix calme et posée :

— Vous formez une équipe efficace. Vous êtes complémentaires et savez user avec habileté des compétences de chacun. Vous vous entraidez sans hésiter et vous souciez les uns des autres. On pourrait presque voir ici une famille.

Les six amis se regardèrent en souriant, plus que d'accord avec les paroles de leur reine. Celle-ci continua après s'être frotté le menton.

— En vérité, vous ÊTES une famille. Voyez-vous, un de mes talents est de voir les relations entre les êtres vivants. J'ai cru comprendre que vous étiez en attente d'une affectation dans l'armée d'Émeraude.

Elle se tourna vers l'homme tout de vert vêtu, qui se tenait à côté d'elle.

— C'est exact Majesté, fit celui-ci en acquiesçant. Nous sommes en train de constituer des équipes de Gardiens et…

— Et je crois que vous en avez une déjà toute faite.

— Mais… Majesté… Ce jeune homme…

Il désigna Adrien.

— Il vient tout juste de découvrir ses pouvoirs et…

— Ce n'est pas vrai ! intervint Eowyn, s'offrant le regard noir de l'homme en vert au passage. Cela fait quatre ans qu'Adrien à découvert son élément, le Feu, et vous savez à quel point cet élément est difficile à contrôler. Il n'avait juste pas rencontré de sorcier avant moi.

— Quatre ans ? s'exclama la Reine. Vous avez appris seul à maîtriser votre pouvoir ? Et il n'y a eu aucun incident d'importance qui aurait nécessité l'intervention des sorciers de l'oubli ? Je suis impressionnée.

Elle se tourna vers l'homme tout en vert.

— Il n'aura probablement pas besoin de cinq ans d'apprentissage. Quelques mois au contact de ces cinq-là devrait suffire. Il ne participera pas directement aux interventions sur le terrain, mais il apprendra beaucoup à leur côté… Si, toutefois, ce jeune homme est d'accord avec cet apprentissage peu conventionnel.

— Bien sûr Majesté ! s'exclama Adrien, enthousiaste et rassuré de ne pas avoir à quitter ses amis.

Elle regarda ensuite Eowyn.

— Vous êtes sa voisine dans le Vieux Monde, n'est-ce pas ?

— Oui, Majesté.

— Puisque vous l'avez amené ici, vous serez donc son Maître en magie.

— Bien, Majesté.

— Et comme vous êtes également Maître d'armes, je vous enjoins à lui apprendre le maniement de l'épée. Il en aura probablement besoin d'ici peu.

— Il en sera fait selon vos désirs, Majesté, fit Eowyn en s'inclinant.

Ils prirent congé de la Reine de Diamant et de l'homme en vert, qu'Eowyn présenta à Adrien sous le titre de Prince d'Émeraude. Celui-ci ne semblait pas ravi de se voir dicter sa conduite par la Reine, mais il ne fit aucun commentaire. Un de ses hommes les guida vers une salle basse de plafond dans laquelle s'entassaient des centaines d'uniformes. Chacun des six amis reçu plusieurs ensembles à leur taille et brodé avec l'emblème de l'armée d'Émeraude.

Ils quittèrent ensuite le palais et se dirigèrent vers un restaurant à tapas, que connaissaient bien les colocataires. Après s'être sustentés, ils rendirent visite au Capitaine Théodore, l'un après l'autre. Le nombre de visiteurs étant limité à deux à la fois. Celui-ci guérissait vite et bien grâce à la magie et avait été sorti du coma artificiel. Il fut ravi des nouvelles que les jeunes gens lui apportèrent. Maître Guillaume les rejoignit et ils passèrent le reste de l'après-midi à discuter de leurs futures actions en tant que Gardiens.

La journée était ainsi bien avancée quand ils passèrent le pas de leur maison. Katherine leur prépara un plat qui les mit tous d'accord : des croque-monsieurs et de la salade. Puis vint le moment de se dire au revoir. Adrien et Eowyn se dirigèrent vers la chambre de cette dernière et attendirent l'ouverture du portail en se tenant la main. Ils ne se parlaient pas, mais le silence n'était pas pesant, bien au contraire, il était confortable.

Cela faisait déjà quelques heures qu'ils n'entendaient plus les pensées de l'autre, mais ils semblaient toujours connectés, comprenant mieux que quiconque leurs sentiments respectifs. Eowyn n'avait pas changé d'avis sur le fait qu'elle resterait professionnelle face à lui tant qu'elle serait son Maître, mais il était heureux de pouvoir tout simplement passer du temps avec elle.

Une fois revenus dans le Vieux Monde, Adrien prit congé de sa camarade, lui faisant une chaste bise sur la joue. Il fut ravi de la voir rougir à ce bref contact et se surprit à échafauder des plans afin de revoir cette belle couleur sur son visage. Finalement, cette contrainte de ne pas pouvoir se rapprocher intimement pouvait avoir un intérêt. Il pourrait lui faire la cour, lui montrer qui il était en espérant que ce qu'elle voit la séduisit. Ils avaient tout le temps d'apprendre à se connaître par la force des choses. Après tout, lui n'avait pas à rester « professionnel ». Il sourit. L'élève qui tombe amoureux de son professeur…Quel cliché !

***

Le lendemain fut mieux et pire que le précédent jour d'école. Mieux, parce qu'il fut confronté à une épreuve à laquelle il ne s'attendait pas.

Il passa la chercher Eowyn chez elle sans l'avertir et il eut le plaisir de voir un large sourire envahir le visage de la jeune femme. C'est en échangeant des anecdotes sur leur famille qu'ils arrivèrent à l'arrêt de bus devant le visage rubicond d'Éris. Les deux sorciers n'en tinrent pas compte et s'assirent l'un à côté de l'autre en attendant le bus.

Leur proximité ne sembla pas étonner Romain, qui vint les saluer d'une voix égale. La discussion dériva sur le match de rugby à venir et Eowyn décrocha. Le sport n'avait jamais été sa tasse de thé dans le Vieux Monde. Bien sûr, c'était différent à Valinor.

La pratique du sport était empreinte de magie. Ce n'était pas forcément plus facile, mais après avoir vu une course de balais et les animal-cross, sorte d'accrobranche chronométré au sein duquel chaque participant pouvait user de sa forme animale, les sports du Vieux Monde paraissaient bien fade à ses yeux.

Arrivés au lycée, Eowyn fut embrassée par les regards curieux qui continuaient de fuser dans leur direction. Elle surprit même une conversation entre deux secondes. L'une d'elle s'interrogeait sur le fait qu'ils soient en couple. L'autre avait ricané, soulevant le fait qu'il devait avoir meilleur goût que ça en matière de fille.

Adrien, quant à lui, ne s'était rendu compte de rien, trop absorbé par ses pensées. Aussi, il fut très surpris de la voir tout à coup partir en courant en direction des sanitaires. Il l'attendit à la porte, mais les minutes s'égrainaient et elle ne ressortait pas. Une main se posa sur son épaule. Mathilde !

 — Que se passe-t-il ? Où est Eowyn ?

— Elle est entrée dans les toilettes, mais ça fait un quart d'heure et elle n'est toujours pas sortie, lui répondit-il, l'air inquiet.

— Oh, oh … Vous vous êtes disputés ?

— Non…Je ne comprends pas. On se dirigeait vers la salle de maths et elle s'est enfuie…

— Laisse-moi faire.

Mathilde poussa doucement l'épaule d'Adrien et passa le seuil des sanitaires. Il y eut des sanglots étouffés et un échange qu'Adrien ne comprit pas. En même temps, il se voyait mal coller son oreille à la porte des toilettes des filles. Il prit donc son mal en patience. Enfin, la porte s'ouvrit et les deux filles émergèrent.

Eowyn avait pleuré, mais elle sourit à Adrien, qui lui rendit, encourageant. Mathilde prit la main de son amie et la glissa dans celle d'Adrien, malgré les protestations de sa camarade. Elle voulut la retirer, mais il la retint.

— Explique-moi, lui dit-il, tandis que Mathilde s'éloignait à grandes enjambées. Pourquoi tu t'es enfuie ? J'ai fait quelque chose de mal ?

— Non, c'est juste que…

La jeune femme rougit, embarrassée.

— J'ai entendu tout ce que les gens disaient à propos de nous et… Tu vois, je suis un peu le vilain petit canard ici. Si tu veux être populaire, je suis précisément celle qu'il faut éviter…

— Mais qui te dit que je souhaite être populaire ? s'étonna Adrien, en haussant les sourcils.

— Ben ...commença-t-elle, puis elle changea de sujet. Et puis, ils croient tous que l'on est ensemble, mais on ne peut pas l'être… pas parce que tu n'es pas intéressant… parce que tu l'es… enfin, je veux dire tu m'intéresses… non pas que je suis en train de te demander quoi que ce soit… parce que tu es mon élève et que ça doit rester platonique entre nous, même si je n'ai pas choisi cette situation… et même si j'apprécie de pouvoir passer du temps avec toi… Ooooh…

Elle se prit la tête avec sa main libre. Arrêtant son babillage plus ou moins cohérent.

— Hé ! Du calme Eowyn ! Respire ! lui dit doucement Adrien en attrapa sa seconde main. Je comprends que la situation est un peu particulière et à moi aussi, ça me fait plaisir de pouvoir passer plus de temps avec toi. Quant aux autres, j'ai cru comprendre que l'on avait un peu de pratique tous les deux, quand il s'agit de les ignorer.

Il lâcha une de ses mains pour soulever son menton.

— Ils nous oublieront vite une fois que notre rapprochement ne sera plus la nouveauté du moment. En attendant, si tu veux, on peut leur couper l'herbe sous le pied, leur faire croire que l'on est ensemble. Ils ne se demanderont plus pourquoi on passe autant de temps l'un avec l'autre.

Eowyn réfléchit quelques instants.

— Tu veux que l'on fasse semblant de sortir ensemble ?

— Oui…Rien de bien méchant. Se tenir la main, passer les récrés ensemble… dit-il en souriant timidement.

— Hum… tu as peut-être raison. Cela nous fera un bon alibi pour se voir tout le temps, y compris vis-à-vis de nos parents.

Adrien tiqua. Il n'y avait pas songé. Présenter Eowyn à ses parents, à qui il n'avait jamais présenté personne…Pire, être présenté au père d'Eowyn en tant que son petit ami Il déglutit. Voilà qui promettait d'être … intéressant.

Ignorant les rouages des réflexions d'Adrien, Eowyn l'entraîna vers la salle de mathématiques. Les cours allaient commencer.

***

La journée était bien entamée quand Adrien dut faire face à son pire cauchemar. Vingt minutes après le début du cours de physique-chimie, un cri retentit dans le couloir.

— Au feu ! hurlait une fille en s'enfuyant. Une épaisse fumée s'échappait d'un placard dans le couloir.

— Sortez dans le calme dans la cours, leur ordonna le professeur de sciences. Je vais chercher un extincteur. Éris, Thibault, en tant que délégués, vous conduirez vos camarades au point de rencontre. Allez-y.

Eowyn prit la main d'Adrien, l'entraînant dans un coin dissimulé du couloir et chuchota à son oreille.

— On peut l'aider.

— Comment ? lui répondit-il sur le même ton.

— Concentre-toi sur le placard, visualise un feu qui s'éteint.

Il ferma brièvement les yeux, sentit sa peau s'embraser. Une peur panique l'envahit. La dernière fois qu'il avait ressenti cela un bâtiment entier était parti en cendres.

— Concentre-toi ! le rappela à l'ordre Eowyn.

Il perçut sa main se crisper dans la sienne, son sang battait ses tempes, pulsait sous la fine peau de son cou. Le feu embrasa à nouveau son corps, il sentit des flammes internes consumer ses organes un à un, envahir chacun de ses membres, jusqu'à ce qu'il ne soit qu'un immense brasier.

Il imagina dans son esprit un feu s'éteignant progressivement dans le placard. La brûlure s'intensifia dans tout son être. La douleur de celle-ci n'était rien en comparaison de la sensation d'aspiration, qui envahit d'abord sa paume, puis son bras et chaque partie de son corps.

Puis la brûlure disparue aussi soudainement qu'elle était apparue et il eut d'un coup très froid. Eowyn le regardait, inquiète et grelottante à ses côtés.

— On ferait mieux de filer avant que les secours n'arrivent.

Ils coururent retrouver leurs camarades. Leur absence n'avait pas été remarquée dans la cohue. Eowyn se tenait toujours près de lui, tremblant de tous ses membres. Il la prit dans ses bras, conscient qu'il n'était guère plus chaud qu'elle, à ce moment-là mais souhaitant de tout cœur lui montrer sa reconnaissance d'être à ses côtés.

— Tu l'as fait… finit-elle par dire. Tu as utilisé ton élément sans faire de dégâts. Je n'ai fait que diriger ton pouvoir.

— Je sais, murmura-t-il à son oreille. Et je n'y serais jamais arrivé sans toi.

Il reprit, hésitant :

— Est-ce que cela fera toujours aussi mal ?

— Ce ne sera jamais agréable de manier le feu.

Elle haussa les épaules.

— Mais on s'y fait. La prochaine fois, tu y arriveras plus vite.

— La prochaine fois…soupira-t-il. Je n'ai pas hâte.

Malgré tout, Adrien ne put s'empêcher de se sentir galvaniser, comme s'il venait de se réveiller d'un trop long sommeil, prêt à relever n'importe quel défi.

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