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Chapitre 29 - Rumeurs

« Tu es sûre de vouloir y aller seule ? » l'interrogea Elvan, qui attendait sur le pas de la porte, tandis qu'elle enfilait sa veste et son écharpe. 

'Il s'inquiète trop.'

Aussi, le lui fit-elle remarquer en levant les yeux au ciel.

« Je vais bien, Elvan. Je t'assure. »

Il n'avait pas l'air convaincu, mais il savait qu'il ne pouvait pas gagner contre elle, surtout lorsque son obstination naturelle pointait le bout de son nez. Elle appréciait l'attention qu'il lui portait et le fait de savoir qu'il se souciait d'elle, mais elle était grande et en capacité de s'occuper de sa propre personne. 

Elle n'était pas une petite chose fragile à protéger.

« Tu as quand même failli faire une crise et – »

Elle l'arrêta de la main, en hochant la tête. 

« J'ai l'habitude. » répondit-elle platement, en récupérant les lettres qu'Elvan avait glissé sous son bras. « Et le maître m'a ordonné d'y aller. » 

Cette fois-ci, il capitula et baissa le regard, comme un chien battu. En le voyant ainsi, elle fit presque marche arrière, ouvrant la bouche pour s'excuser, avant de se raviser. Elle avait indéniablement de l'affection pour Elvan, mais elle voulait lui faire comprendre qu'elle avait le droit de prendre ses propres décisions. 

Elle prit donc sur elle et posa les lettres dans son panier, avant de tourner les talons en adressant un bref signe de la main à son ami, qui le lui rendit, bien qu'avec peu d'enthousiasme. 

Elle soupira en se retrouvant enfin seule. 

Ces derniers temps, elle appréciait de plus en plus la solitude et les petits moments de tranquillité que lui offraient ce genre de tâches. Elle n'avait jamais vraiment aimé aller au village avant tout cela, mais elle se surprenait maintenant à le vouloir, ne serait-ce que pour s'éloigner un petit peu de toutes les choses étranges qui lui arrivait depuis quelques jours. 

Cela faisait maintenant 3 ans qu'elle était ici, mais jamais n'avait-elle été aussi éprouvée qu'en cet instant. Elle avait la sensation d'avoir toujours voguée sur un long fleuve tranquille, qui s'était brusquement transformé en torrent déchaîné. 

Comme si sa vie avait tout à coup implosée. 

Peut-être au fond la vie ici n'avait-elle jamais été normale, mais elle avait mis bien trop de temps à le réaliser. Peut-être avait-elle pendant trop longtemps considéré des choses étranges comme la normalité, sans se poser la moindre question.

'Alors que dès le départ, quelque chose ne va pas.'

Elle avait été aveugle, ou baignée dans le déni, mais elle avait à présent ouvert les yeux. Il se passait des choses au manoir qui ne devraient pas être. 

'Il faut que j'en apprenne plus.'

Et quoi de mieux pour cela que d'interroger les habitants de la capitale, qui étaient sûrement ceux qui en savaient le plus à propos de la famille ? Les Signavit étaient après tout l'objet de rumeurs favoris de la haute société. 

Peut-être trouverait-elle quelques pistes pour répondre à ses questions, parmi les racontars qui se transmettaient d'une oreille à une autre ?

Elle avait du mal à croire qu'elle allait finalement devoir s'en remettre à ceux qu'elle avait toujours évité, ceux qu'elle considérait jadis comme des affabulateurs, uniquement férus de drames et de scandales, que ceux-ci soient vrais ou non. 

« As-tu entendu la dernière fois... » entendit-elle murmurer, le pieds à peine posé sous l'arche en pierre menant à la place du marché. 

Les gardes qui protégeaient l'entrée étaient semblait-il en grande discussion sur elle ne savait trop quoi. 

« Mademoiselle. » s'arrêta celui qui ressemblait à une montagne, pour la saluer.

L'autre – Greg, se rappelait-elle – lui jeta un petit regard pincé, avant de hausser les épaules. 

« Pourquoi tu la salues ? » marmonna-t-il, sans même penser que sa voix portait et qu'elle pouvait parfaitement l'entendre. « Elle ne te réponds jamais de toutes – »

Elle s'inclina à son tour.

« Bonjour messieurs. » 

Les deux hommes et plus particulièrement celui qui se plaignait, se turent. Ils avaient l'air surpris de l'entendre leur adresser la parole et celle-ci fut telle qu'ils en perdirent les mots pendant plusieurs secondes.

Ils ne devaient pas s'attendre à ce qu'Aina daigne enfin leur répondre.

La jeune femme, en les voyant ainsi figés, cru qu'ils allaient demeurer ainsi, mais la montagne reprit bien vite ses esprits, pour lui adresser un petit sourire. 

« Comment vous portez-vous ? » l'interrogea-t-il, un air cordial et avenant au visage.

Elle s'étonna légèrement qu'il prenne le parti de lui faire la conversation, alors qu'elle s'était toujours contentée de l'ignorer, depuis le départ. Même son collègue eut l'air incrédule, semblant s'interroger sur la sanité de son ami. 

Peut-être le fait de voir une servante du manoir enfin lui parler avait-il piqué sa curiosité ? Peut-être espérait-il qu'elle lui apprendrait la moindre chose croustillante sur la famille oh combien mystérieuse qu'elle servait ?

Peu importait la raison pour laquelle il se comportait ainsi après tout. Tout ce qui comptait pour elle était d'en apprendre plus sur l'endroit dans lequel elle avait toujours vécu. 

« Très bien. » répondit-elle, ses lèvres s'étirant légèrement. « Vous n'avez pas trop froid par ce temps ? »

Le regard de Greg passa d'elle à son collègue, comme s'il se demandait si l'un ou l'autre était tombé sur la tête. La montagne tapota sur son armure, un air amusé au visage.

« Cela coupe le vent et garde la chaleur. » 

Il était vrai qu'ils avaient l'air bien protégés du froid, avec leur épaisse armure de métal. Elle hocha la tête, comme pour dire qu'elle comprenait et un épais silence tomba ensuite entre eux. L'atmosphère était un peu étrange et légèrement pesante, mais Aina ne tourna pas les talons pour autant.

Elle voulait les questionner sur ce qu'il se passait au manoir, mais elle ne savait pas comment. Le sujet était délicat et elle n'était pas certaine de la réaction que pourraient avoir les hommes qui lui faisaient face et à qui elle n'avait jamais adressé la parole avant. Elle était un petit peu inquiète de s'exposer à de violentes représailles si elle en disait trop sur les Signavit. Même si le simple fait qu'elle prononce le nom de la famille hors les murs, puisse la conduire à sa perte. 

« Vous avez quelque chose à nous demander, n'est-ce pas ? » 

Elle releva la tête en entendant la montagne parler et elle se rendit compte à ce moment qu'il la fixait depuis déjà quelques minutes. Il devait avoir deviné ses intentions et lui tendait la main pour qu'elle puisse les exprimer. 

Elle plissa les lèvres, avant de hocher la tête.

« En effet. » 

Elle se rapprocha d'eux, en observant autour d'elle pour s'assurer que personne d'autre qu'elle n'était là pour écouter. Greg choisit ce moment pour enfin sortir de sa transe, les yeux luisants de ce qui ressembla à de la curiosité. 

'Ça doit être la première fois qu'un servant de la famille leur parle.'

Ils avaient ainsi l'opportunité d'en apprendre plus sur la famille la plus curieuse et mystérieuse de l'empire. 

Qui aurait refusé ? 

« Il y a... » commença-t-elle, avant de se stopper, se demandant comment formuler ses pensées de manière claire, sans en révéler trop pour autant. 

La montagne et son acolyte eurent l'air frustrés par son silence, car ils s'approchèrent avec un sourire, comme pour l'encourager à continuer. 

« Vous pouvez tout nous dire, mademoiselle. Votre secret sera bien gardé. »

'Menteurs.'

Elle plus que personne savait que ses mots feraient le tour de la capitale dès l'instant où elle tournerait les talons, mais elle ne fit aucun commentaire, car ce n'était pas cela qui la préoccupait. 

« Quelqu'un a disparu au manoir. » 

Les yeux de ses interlocuteurs pétillèrent. 

« Quelqu'un ? » insista la montagne. « Qui ça ? » 

'J'étais certaine que ça les intéresserait.'

Elle fit mine de regarder autour d'elle, un air faussement paniqué au visage.

« Je ne peux rien dire de plus. » murmura-t-elle. « Je suis presque sûre qu'ils me surveillent. » 

En réponse, les deux gardes scrutèrent les alentours, avant de reporter leur attention sur elle. 

« Que croyez-vous qu'il se soit passé ? » l'interrogea Greg, soudainement plus investit par ses paroles que par son poste de garde de l'entrée. 

« Je ne sais pas. » 

Elle prit un air triste.

« J'espérais que vous auriez une idée. » reprit-elle, cherchant ses mots. « Je crois savoir que vous en savez beaucoup sur ce qu'il se dit dans la capitale. »

Elle retint un rire en les voyants jubiler à cause de ses compliments. Dire qu'il ne fallait que cela pour qu'ils se mettent à table... Cela était plutôt simple finalement. Les deux hommes s'observèrent en silence, se frottant le menton, avant de s'approcher un peu d'elle, pour ne pas que quelqu'un d'autre entende. 

« Je ne sais pas si c'est lié, mais j'ai entendu certains nobles dire que les Signavit trempaient dans le trafic humain. » 

'Le trafic humain ?'

La famille était certes étrange et quelque peu inhabituelle, mais elle ne l'imaginait pas impliquée dans ce genre de combines pour autant. Une telle chose aurait mis en péril la réputation et la vie de tous les membres de la famille Signavit et Aina n'était pas certaine que Wrath pourrait s'y risquer. 

'Mais... Peut-être que Lust... ?'

Non, le patriarche l'aurait forcément su. 

[Je sais toujours tout.]

Il l'avait lui-même affirmé.

« Il paraîtrait qu'ils s'en servent pour faire des sacrifices. »

Des sacrifices... Plus elle écoutait ces gens et moins tout ceci avait de sens. Un trafic ? Des sacrifices ? Croyaient-ils que les Signavit n'étaient qu'une bande de fanatiques pratiquant des rites obscures ? 

Elle n'était soudainement plus tout à fait certaine que ce soit une bonne idée d'écouter les racontars de ces gens. Elle avait pensé pouvoir en apprendre plus sur tout cela et éventuellement avoir des réponses, mais rien de ce qu'ils semblaient dire n'était assez réaliste pour être crû. 

« Et pourquoi est-ce qu'ils feraient des sacrifices ? » les questionna-t-elle, espérant que son doute ne s'entende pas dans sa voix. 

Il firent mine de lui souffler un secret à l'oreille, essuyant quelques regards curieux des habitants qui passaient par là. 

« Pour l'immortalité. »

'Sérieusement... ?'

Elle eut presque envie de rire en entendant cela. L'immortalité, elle n'y croyait pas du tout et elle doutait que quiconque le fasse, sauf peut-être ces gens-là ? Cette rumeur avait sûrement à voir avec la soi-disant malédiction qui pesait sur la famille. Elle était dépitée de voir que tout ceci ne menait finalement à rien. 

Elle soupira et ouvrit la bouche pour répondre, lorsqu'une voix l'interpella. 

« Bonjour Aina. »

Elle fit volte-face et reconnu la silhouette familière d'un homme encapuchonné. 

« Vous... » 

'Sacha Médicis.'

Il se tenait là, dans son habituel accoutrement, les regardant avec un drôle de sourire, qu'elle apercevait à peine sous son capuchon. 

Elle se demanda en l'apercevant, depuis combien de temps il était là. Avait-il entendu leur conversation ? Allait-il en parler à quiconque ? Elle n'en savait rien. Aussi, elle s'écarta des soldats, prenant l'air le plus nonchalant possible.

« Je vous dérange ? » demanda-t-il, légèrement amusé. « Vous avez l'air occupés. »

Il semblait encore une fois se trouver là où il n'aurait pas dû être, à tomber « par hasard » sur elle comme si le destin était à l'œuvre. 

Elle n'aimait pas cela.

Les deux soldats grimacèrent, visiblement ennuyés d'être pris à discuter avec elle, pendant leurs heures de travail. Voyant que la situation était plutôt embarrassante pour eux, elle les remercia et s'approcha de l'herboriste, un air légèrement ennuyé au visage.

« C'est votre passe-temps d'épier les gens ? » ne put-elle s'empêcher de faire remarquer en croisant les bras. 

L'homme souffla du nez, comme s'il riait. 

« Allons... Ne soyez pas si en colère. Je voulais simplement vous saluer. » 

Il avait le don de toujours parler comme si rien n'avait d'importance, comme s'il savait tout et cela avait le don de la mettre hors d'elle. Une fois encore, il s'amusait avec elle en faisant l'innocent, comme s'il ne savait pas très bien de quoi elle parlait.

« Eh bien, bonjour ? » répondit-elle, une pointe de sarcasme dans la voix. 

Elle l'entendit à nouveau ricaner.

« C'est pour cela que je vous apprécie, Aina. » 

Il se moquait d'elle. Encore. 

Elle soupira, glissant la main sur ses tempes pour calmer l'agacement qui lui tordait le ventre. 

« Tant que l'on aborde le sujet des choses à apprécier, mes produits vous apportent-ils satisfaction ? »

'L'Elixir.' 

Il était vrai qu'il fournissait régulièrement son traitement. La seule chose qui lui permettait de tenir sans être submergée par son affliction. Pourtant celle-ci ne semblait plus très bien fonctionner depuis un moment, considérant que ses crises et visions étaient de plus en plus fréquentes. 

« Pas vraiment, non. » 

L'homme prit un air faussement surpris, passant la main devant ses lèvres entrouvertes.

« Ah oui ? »

Elle hocha la tête.

« Comment savez-vous qu'ils ne fonctionnent pas ? »

Cela était évident. 

« Les crises sont plus fréquentes et j'ai des hallucinations. »

Cette fois-ci, il n'eut pas l'air heureux ou moqueur. Il se contenta de se frotter le menton, comme s'il réfléchissait. Elle trouva qu'il eut enfin l'air d'un herboriste on ne peut plus sérieux, à la différence du reste des fois où elle l'avait vu.

« Vous n'avez bien pris qu'une dose à chaque fois, n'est-ce pas ? » 

Elle ouvrit la bouche pour répondre que oui, avant de se raviser, tandis qu'un souvenir lui revenait en tête. 

Celui de la salle de bain, dans laquelle elle s'était trouvée après une crise. Cette fois-là, elle avait été au bord de l'évanouissement et elle s'était résolue à prendre son traitement. Elle s'en souvenait...

'Deux comprimés.'

Elle avait pris deux comprimés. 

Voyant qu'elle ne disait rien, Sacha croisa les bras. 

« Vous en avez pris plus d'un. » 

Ce n'était pas une question, mais une affirmation. Il le savait et elle ne parvenait pas à le nier. Malgré tout, elle doutait. Un moment d'égarement avait-il pu provoquer tout cela ? Ce médicament était-il si puissant qu'une seule dose de plus suffise à mettre sans dessus dessous son existence depuis plusieurs jours ? 

« Une seule fois. » elle se sentit obligé de rectifier. 

« Je vous avais averti que ces comprimés étaient forts. » 

'Oui, mais pas à ce point.' 

Et l'étaient-ils ?

Tout ceci était-il dû à son traitement uniquement, ou à autre chose ? Elle n'en savait rien, mais elle comptait bien le découvrir. 

« Qui y a-t-il exactement là-dedans ? »

Elle ne se l'était après tout jamais demandé avant, même si cela pouvait paraître étrange. Elle avait toujours eu confiance en ses maîtres et également en le guérisseur qu'ils lui avaient conseillés, aussi ne s'était-elle jamais posé la moindre question. 

« De la fleur de lotus, de la camomille et un soupçon d'autres plantes médicinales. » 

Ces plantes ne lui semblèrent pas particulièrement dangereuses, mais elle n'y connaissait après tout pas grand-chose. Aussi ne comprit-elle pas comment celles-ci pouvaient provoquer pareilles réactions, si prises à fortes doses. 

« Certaines plantes médicinales doivent être dosées avec attention, sous peine de devenir toxiques. » expliqua-t-il calmement, comme s'il lisait dans ses pensées. 

Sacha Médicis avait l'air sincère et elle ne décela aucun mensonge chez lui, mais elle avait l'étrange impression qu'il omettait des choses, même si elle ne savait pas quoi. Il était après tout un homme mystérieux, qui ne révélait ses secrets de fabrication à personne, pas même à elle. 

« Je suis un herboriste consciencieux. » 

Il insistait et elle n'aimait pas beaucoup cela, car elle avait l'impression de se faire mener par le bout du nez. Elle, était on ne peut plus nerveuse à cause des évènements qui s'étaient récemment produits, mais lui semblait prendre la situation avec humour, comme si elle ne venait pas de lui apprendre que son traitement lui faisait plus de mal que de bien.

Cela était à croire qu'il s'en fichait. 

Elle se rappela soudain en entendant le bruit du papier qu'elle avait encore des choses à faire et elle se demanda depuis combien de temps elle était ici. Chaque fois qu'elle s'occupait du mystère de la famille, elle ne voyait plus le temps passer. 

« Très bien... » murmura-t-elle, très peu convaincue par son explication. « Je m'excuse, je dois partir. »

L'homme ria à nouveau.

« Vous êtes toujours pressée. » 

Elle ne releva pas le sarcasme qu'elle perçut dans sa voix et tourna les talons avant de s'engouffrer dans la foule, tandis que ses yeux, en était-elle certaine, étaient toujours posés sur elle. 

'Une autre chose étrange de plus.'

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