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Je ressens toujours cette plaie ouverte.

« Bon, prends ça, » dit Chiho d'un air dédaigneux en lui tendant une liasse de papiers.

Hana s'exécuta, prenant en main les documents.

Ils n'étaient sortis de l'immeuble de Marline que depuis un petit quart d'heure, pour se rendre encore plus loin dans les rues entourant le bâtiment. Deux arrêts de bus plus loin, Chiho les avait fait descendre au niveau d'un magasin d'ustensiles de cuisine pour décider de leur parcours et de leur façon de procéder.

Du moins, c'est ce que Hana croyait ; car à peine quelques pas faits, l'autre femme lui avait tendu plusieurs feuilles de papier sans lui fournir d'explications.

« Qu'est-ce que c'est ? » Demanda-t-elle.

« La liste de tous les commerces à encore interroger, » lui répondit Chiho. « Je te laisse de charger de cette partie, et je me charge de l'autre, ce sera plus rapide comme cela. »

« Je dois traiter… Toute cette liste ? » Demanda Hana pour confirmation.

« Quoi ? Ça te convient pas ? »

Chiho lança un regard sévère à l'autre jeune femme, et cette dernière secoua la tête. Ce n'était pas que ça ne lui convenait pas, ni qu'elle voulait contredire Chiho. Elle voulait juste savoir ce qu'elle devait traiter au minimum avant la fin de la journée.

« Je voulais juste demander si- »

« Si t'as pas d'objections, je te laisse traiter ça, ok ? » L'interrompit Chiho.

L'employée permanente de Marline lui renvoya un regard acéré. Le plus vite elle mettait les choses au point avec l'interne, et le plus vite elle pourrait partir.

Voyant que l'autre jeune femme acceptait sans trop rechigner le travail qu'elle lui donnait, Chiho sourit intérieurement. Au moins, c'était plutôt facile de la manipuler, et de lui faire faire des choses sans qu'elle se doute de rien ; ce qui tendait à confirmer ses soupçons.

C'était juste trop facile de lui refiler tout le travail, et de prendre sa journée en prétextant aller traiter sa partie de la liste.

Quelle partie ? Elle avait tout refilé à l'autre jeune femme, qui n'avait même pas réagi face à la quantité d'informations à traiter. Soit elle ne soupçonnait pas Chiho capable de tout lui donner à faire, soit elle le savait et s'était écrasée devant elle.

Dans les deux cas, Chiho était ravie d'avoir trouvé quelqu'un d'aussi minable et influençable qu'elle. Elle était prête à parier qu'elle pourrait même lui refiler son travail au bureau, et que Hana ne se plaindrait toujours pas. C'était dans sa nature, depuis le lycée, de se faire marcher sur les pieds et pousser à droite comme à gauche sans réagir ; et s'il était confirmé que cette idiote du lycée et cette jeune interne étaient une seule et même personne, Chiho se régalerait à l'utiliser sans aucun scrupule.

« Bon, on travaille toute la journée jusqu'en fin d'après-midi, chacune de notre côté. Ok ? » Ordonna Chiho.

Puis, l'employée à temps plein était partie de son côté d'un pas léger, sans même se retourner pour regarder dans la direction d'Hana, ou attendre que cette dernière ne lui réponde.

Ça s'était passé ce matin, et toute la journée, Hana avait été livrée à elle-même, sans autres instructions que celles données par Chiho quelques heures plus tôt. Elle ne doutait même pas des paroles de Chiho, bien que cette dernière se soit montrée très hautaine et rigide dans sa façon d'agir.

Au départ, Hana avait suivi l'ordre de visiter tous les commerces inscrits sur la liste, et même si dans un premier temps elle avait un peu été timide et silencieuse, elle avait rapidement trouvé son rythme et l'attitude pour aborder les commerçants et leurs boutiques sans trop les déranger. Elle avait pu avancer son travail, et visiter une vingtaine de personnes.

Était alors arrivé midi, et elle s'était rendue compte qu'elle n'avait même pas les informations de contact de Chiho pour l'appeler et lui demander quoi faire. Elle ne savait pas non plus si elle devait déranger Mari pour lui parler et savoir si elle devait ou non rentrer à l'entreprise.

La femme plus âgée lui avait déjà donné son numéro et son adresse email personnelle, sans même que Hana ait à les lui demander. Cependant, elle hésitait tout de même à la contacter, et finit par manger un sandwich dans un petit restaurant avant de reprendre la tournée des quartiers. Elle était habituée à manger seule, donc cela ne la dérangea pas tant que ça. Ce qui, en revanche, l'inquiéta, fut de devoir agir sans avoir de supervision directe ni d'autres ordres.

Elle n'était pas habituée à travailler sans retours de la part de ses collègues ou supérieurs, ni instructions claires. Hors du travail, elle pouvait parfaitement se débrouiller seule. Mais quand il était question du monde professionnel, elle voulait toujours être exacte et fournir les meilleurs résultats sans jamais faire d'erreurs. C'était déjà le cas lors de ses études, et encore plus d'actualité maintenant qu'elle travaillait pour une grande compagnie. Avoir des instructions claires et précises était donc ce dont elle avait le plus besoin. Pas d'être abandonnée en pleine journée.

Toutefois, elle se sentait paradoxalement rassurée, parce qu'il était question de Chiho.

Hana ne savait pas encore si Chiho l'avait reconnue, mais elle, elle se souvenait parfaitement de la jeune femme. Elle se souvenait de tout ce qui s'était passé durant les trois années où elles s'étaient côtoyées en classe, et cela l'angoissait toujours autant. Rien que se trouver aux côtés de son ancienne camarade de classe la stressait énormément ; tant elle devait faire des efforts pour cacher son ressenti.

Elle se rappelait encore du rire de Chiho, de ses moqueries, et de sa voix pleine de mépris. C'était quelque chose qui était resté en elle, et à quoi elle ne voulait plus repenser. Enfin, elle croyait que cela était derrière elle ; mais les choses n'étaient pas toujours aussi simples.

Quand vous étiez confrontée directement à des gens détestables que vous auriez préféré oublier et ne jamais recroiser, chacun réagissait de façon différente ; et si elle tentait d'ignorer l'autre femme ainsi que les souvenirs qui lui étaient rattachés, au fond, elle se sentait toujours blessée.

C'était toujours le cas, avec les blessures qui ne se voyaient ps à l'œil nu. On ne voulait ni les montrer à personne, ni s'en plaindre. Tout cela, à cause de la peur de voir le regard des autres sur soi changer, mais aussi de voir sa propre image de soi être déformée.

C'était normal de ne pas vouloir se montrer faible face aux autres, et d'autant plus de ne pas vouloir montrer qu'on avait déjà été pris pour cible.

Seulement voilà : Hana n'avait pas juste décidé de passer sous silence le harcèlement dont elle avait été victime. Elle avait aussi pris une décision importante vis-à-vis de cette période de sa vie.

Certes, elle avait eu la malchance de convoiter un poste dans la même entreprise que l'autre femme, et nul doute que si elle avait su que Chiho s'y trouvait, elle aurait sûrement hésité avant de postuler.

Cependant, elle n'aurait changé pour rien au monde sa décision. Elle avait pu se rapprocher de Kobayashi Shinsuke, plus proche qu'elle n'aurait pu le soupçonner, et commencer à l'observer tous les jours.

Si les gens savaient qu'elle avait mis cinq ans pour le retrouver, tout en pensant à lui, elle serait sûrement traitée de stalker… Ce n'était pas comme si elle voulait ou même souhaitait expliquer les raisons de son comportement à n'importe qui.

Soupirant, Hana remercia le propriétaire d'une échoppe de poulet frit de l'avoir reçue, et sortit dans la rue.

Le temps s'était refroidi depuis ce matin, et l'air était devenu humide ; indiquant qu'il allait peut-être pleuvoir dans la soirée. Elle regretta de ne pas avoir pris de parapluie, même si cela ne l'empêcha pas de se diriger d'un pas décidé vers sa prochaine cible.

Quelques minutes plus tard, elle se trouvait dans un magasin d'électronique, et commença à questionner le commerçant, jusqu'à ce qu'elle sente son téléphone vibrer dans la poche de sa veste.

Était-ce quelqu'un de Marline qui cherchait à la joindre, ou quelqu'un d'autre ?

Avec anxiété, elle s'excusa auprès de la personne à laquelle elle parlait jusqu'à présent, et s'éloigna vers la vitrine donnant sur la rue pour consulter son smartphone. Son classeur rangé sous le bras, et le stylo coincé entre deux pages, elle fouilla dans ses poches pour récupérer l'appareil.

Hana regarda l'écran de son téléphone, et vit que la personne qui l'appelait n'était nulle autre que son père.

C'était inhabituel qu'il l'appelle en journée, et elle décida donc de décrocher pour s'assurer que tout allait bien.

« Papa ? » Dit-elle en décrochant.

« Hana ! Tu réponds enfin ! » S'exclama-t-il à l'autre bout du fil. « Je n'arrivais pas à t'avoir au téléphone depuis l'autre soir ! »

« Tu… Cherchais à me joindre ? » S'étonna-t-elle.

« Bien sûr ! Tu n'as pas eu mes appels ? »

Retirant rapidement le téléphone de son oreille, elle consulta la liste d'appels et grimaça. Elle pensait que tous les appels de ces derniers jours provenaient d'une seule personne, mais en réalité, deux personnes différentes avaient tenté de la joindre.

« Je… Les ai manqués... » Dit-elle à demi-mot.

« Je m'en doutais, mais tu n'as même pas répondu à Jintani-san, » l'informa-t-il. « Elle cherche à te joindre depuis plusieurs jours déjà... »

Madame Jintani cherchait à la joindre ? Pourquoi ?

« Je n'ai pas vraiment eu le temps de lui parler… Qu'est-ce qui se passe ? »

« Elle avait des questions à te poser pour le prochain tirage, mais je n'en sais pas plus, » s'excusa-t-il.

Elle n'avait pas encore pris de décision à ce sujet, et n'étais donc pas sûre de la réponse à donner. Cela représentait plus de travail pour elle, et elle n'était pas sûre de disposer d'assez de temps pour s'occuper de cela en plus des tâches qui lui avaient été confiées à Marline.

Cependant, il était déjà relativement tard, et sans supervision directe, elle n'était pas sûre de devoir encore continuer le travail.

« Je dois encore travailler tard ce soir, mais j'essaierai de l'appeler en rentrant, » finit-elle par dire.

« Elle dit que la date buttoir pour le lancement de la campagne approche, donc veilles bien à l'appeler dès que tu peux. » Dit son père.

Hana lui répondit qu'elle veillerait aussi à le rappeler lui, avant de raccrocher. Elle salua le commerçant et sortit ensuite de sa boutique pour faire demi-tour et retourner vers l'immeuble de Marline, qu'elle ne pouvait même plus voir le haut de l'immeuble, caché par d'autres constructions tout aussi grandes.

Elle ne savait pas trop si elle faisait bien de rentrer maintenant, mais personne n'étant là pour lui donner des directives, elle s'en remit à son propre jugement.

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