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Chapitre 21 - Emotion

« Ne dis plus rien à ce sujet devant elle, tu m'as bien compris ? » entendit-elle une voix lointaine murmurer.

Elle grogna, toujours plongée dans le noir.

« Elle se réveille. » nota une autre. 

Elle ouvrit les yeux sur un plafond blanc. 

'Que s'est-il passé... ?'

Elle perçu un bruissement non loin d'elle, avant que la silhouette familière de Joy se dessine juste au-dessus d'elle. Elle remarqua à cet instant qu'elle était allongée sur ce qui lui sembla être un canapé. 

« Est-ce que ça va petite ? » l'interrogea l'homme, passant la paume de sa main sur son front, comme pour voir si elle avait de la fièvre. 

'Petite.'

Elle n'était pas si jeune et lui n'était pas si vieux. 

Elle se rappela qu'elle avait eu une crise, et qu'elle était tombée dans les pommes.

'Encore une fois.'

C'était à croire qu'elle n'était qu'une vulgaire damoiselle en détresse sans aucune force mentale. Elle avait l'impression de s'être presque plus évanouie ces deux derniers jours qu'en l'espace de toute une vie. 

Se rappelant que le jeune duc lui avait parlé, elle hocha la tête et se releva en se tenant le crâne, pour calmer le cognement qui la secouait. 

« Doucement. » l'avertis Serenity, qui se tenait debout derrière lui, les bras croisés et la mine inquiète. « Prends ton temps. »

[Tout ira bien.] 

Encore cette voix qui résonnait parfois en elle. 

[Je ne te laisserais pas.]

Elle avait l'air de provenir d'un homme et plutôt jeune par-dessus le marché. Elle supposa que c'était encore une de ces hallucinations. 

'Elles sont de plus en plus fréquentes, ces derniers temps.'

Et de plus en plus claires. Au départ, elle parvenait à peine à distinguer le moindre mot, mais elle avait fini par reconnaître des bribes de paroles, puis des phrases à mesure que le temps passait, comme si le mal qui la rongeait progressait à vive allure. Elle s'inquiéta d'imaginer ce qu'il pourrait se produire ensuite, mais se trouva distraite de ses pensées par la lumière qui perça par la fenêtre du grand salon dans lequel elle se trouvait. 

Elle plissa les lèvres. 

« Quelle heure est-il ? » demanda-t-elle, inquiète d'avoir passé plus de temps que nécessaire inconsciente. 

Il ne fallait pas qu'elle s'éternise, au risque que les occupants du manoir réalisent sa disparition. Machinalement, elle posa les yeux sur la pièce dans laquelle elle se trouvait et entrouvrit les lèvres de surprise. 

Elle l'avait déjà supposé en voyant le vestibule, mais la vision du grand salon confirma ses suppositions – ou ses craintes –. Une fois de plus, elle découvrit avec stupeur et effroi que l'endroit dans lequel elle se trouvait était exactement le même que celui de la maison dans laquelle elle résidait. Tout était placé au même endroit, à la même distance, mais à l'inverse, comme si le salon qu'elle découvrit était le reflet dans un miroir de celui des Signavit. 

Tout cela était étrange et presque terrifiant. En scrutant les alentours, elle nota qu'un autre détail différait de la demeure de ses maîtres : l'heure sur laquelle était arrêtée les pendules. Comme dans le manoir, aucune des aiguilles des horloges ne bougeaient et toutes étaient désespérément figées quelque part sur le cadran, mais pas à la même place.

'12h10.'

Pourquoi ce détail si insignifiant lui faisait-il froid dans le dos ? Pourquoi diable cette infime particularité la mettait-elle si mal à l'aise. 12h10 ici et 03h12 là-bas. Pourquoi ? Quel était le lien entre ces heures et les étranges similitudes entre les deux maisonnées ?

« Cela t'intrigue ? » la questionna Joy, un air amusé dans la voix, en la voyant fixer avec attention la pendule. 

Elle hésita, avant de hocher la tête.

« Une légende de l'empire raconte que se trouve, par-delà la forêt obscure, la demeure d'Arwena. » commença-t-il à conter, s'asseyant dans un fauteuil près d'elle. 

'Arwena, ce nom ne me dit rien.'

« On raconte qu'elle était une mortelle, dont le dieu du temps et de l'espace s'était épris. L'amour qu'il éprouvait pour elle n'était pas réciproque, puisque la belle jeune femme était déjà promise à un autre. »

'Un amour tragique.'

« Furieux de son refus, on raconte qu'il l'emprisonna entre les murs de la prison dorée qu'il avait construit pour elle, au sommet de la plus haute montagne de la région. »

Cette histoire lui rappela étrangement les rumeurs qui courraient sur ses maîtres et notamment celle qui disait qu'ils ne pouvaient quitter la demeure, à cause d'une malédiction. 

« Il arrêta le temps, pour que sa bien aimé conserve jeunesse et beauté et qu'elle demeure aux premières loges de la vieillesse et du trépas de son amant. On raconte qu'elle se laissa mourir de chagrin, après avoir donné naissance à l'enfant qu'elle découvrit porter lors de son emprisonnement. »

Aina demeura silencieuse, confuse. 

« Une bien triste histoire, n'est-ce pas ? »

Le jeune duc avait raison. Tout cela était tragique et déchirant. Mais elle ne voyait pas très bien le rapport avec la soi-disant malédiction qui frappait les Signavit et – visiblement – les Salvatoris. Il eut l'air de remarquer son incrédulité, car il reprit.

« On dit que la malédiction se transmis à tous ses descendants, ainsi qu'à leurs époux et épouses. »

'Alors, cela veut dire que... Les Signavit seraient des descendants de cette famille ?'

Cela aurait expliqué qu'ils ne parviennent pas à quitter le manoir, à la différence des Salvatoris. Le temps arrêté était donc à priori le résultat de l'action du dieu du temps sur ces terres. 

Mais elle avait du mal à y croire. Elle était rationnelle et terre à terre et ne croyait pas du tout aux entités supérieures, ou aux malédictions. L'arrêt des horloges était certes étrange, mais cela n'avait pas forcément une origine surnaturelle. Quant à la situation des Signavit, elle attribua cela au fait que ces derniers étaient des reclus, qui ne s'intéressaient à rien d'autre que leur famille. 

« Ce n'est qu'une histoire. » laissa-t-elle échapper, pensive. 

« Peut-être bien, mais personne ne peut l'affirmer avec certitude. Le monde regorge de mystères. »

Cela était certainement vrai, mais elle n'en viendrait pas à croire de telles chimères pour autant, surtout sans preuve. 

« Est-ce que ton crâne va mieux ? » s'enquit le jeune Trust, qu'elle n'avait pas vu approcher.

Elle lui adressa un petit sourire, attendrie par sa prévenance.

« Oui, merci. »

« Que s'est-il passé ? » l'interrogea ensuite Serenity, qui vint s'asseoir à côté d'elle et lui prendre la main. 

Elle voulut s'écarter, légèrement embarrassée par l'attitude de la duchesse, mais se surprit à demeurer stoïque, appréciant le contact de sa peau contre la sienne. Elle imagina que c'était ainsi qu'une mère se comporterait avec sa fille et se demanda si la sienne en avait fait de même avant. 

'Sa mère.'

Elle n'avait pas revu de souvenir à propos d'elle depuis. 

« Il m'arrive d'avoir des crises d'angoisse. »

Elle ne savait pas très bien pourquoi elle leur racontait tout cela, mais elle se sentait étonnamment apaisée et confiante en leur présence. 

« Des crises ? »

Elle acquiesça, baissant les yeux.

« Je ne me rappelle de rien de mon enfance et parfois... » Elle hésita, incertaine de pouvoir être aussi honnête avec les ennemis de ses maîtres. « Parfois des souvenirs reviennent et voilà ce qu'il se passe. »

Les Salvatoris restèrent silencieux en l'écoutant.

« Cela n'a pas dû être facile pour toi. » nota Serenity, une pointe de tristesse dans la voix. 

Elle avait raison. La jeune femme avait parfois traversées des passes difficiles à cause de cela. 

« C'est vrai, j'ai – » commença-t-elle avant d'être coupée par l'entrée de Hope dans la pièce, un plateau en argent à la main.

« J'ai ramené les gâteaux ! » s'exclama-t-elle, guillerette, avant de venir les poser juste devant la domestique. « Tiens, prends-en ! »

'Oh... Des cookies.'

Les mêmes que ceux qu'Elvan lui avait donné la veille. Elle se rappela leur petite entrevue nocturne et un sourire se glissa sur ses lèvres en repensant à lui.

« Tu as l'air amusée. » nota Joy, à qui rien ne semblait échapper. 

Elle réprima un soupire agacé en l'entendant. Joy lui donna l'impression d'être un grand-frère un peu trop intrusif, qui serait curieux de savoir si sa petite sœur avait un amant. 

« Oui. Quelqu'un m'a donné les mêmes hier. »

« Ho... » souffla Joy, une pointe d'espièglerie dans la voix. « On dirait que tu as un prétendant. » 

Aina fit immédiatement volte-face, les sourcils froncés.

« Non ! » s'écria-t-elle, avant de se reprendre en entendant le ricanement de son interlocuteur. « Il... Nous sommes juste amis. »

Elle sentit la chaleur lui monter aux joues et supposa avec embarras que la peau de son visage devait avoir pris une teinte rosée, sous le coup de la gêne. Cela ne manqua pas d'amuser le jeune duc, qui avait l'air de prendre plaisir à la mettre dans des situations inconfortables. 

« N'embêtes pas notre jeune invitée, Joy. » le réprimanda gentiment Serenity, qui sirotait une tasse de thé, en croisant les jambes. 

« Je ne l'embête pas. » retorqua-t-il en levant les yeux au ciel. « Je constate, c'est tout. » 

Elle pouvait presque le voir sourire sous son masque. 

« Il dit ça parce qu'aucune femme ne l'aime. » se moqua une petite voix, qu'elle reconnut être celle de la jeune Hope, qui se tenait derrière lui, les bras croisés comme si elle le réprimandait.

Elle entendit l'intéressé grogner, avant de mettre sa paume sur sa poitrine et de se laisser tomber en arrière, comme s'il avait été frappé en plein cœur. 

« Même ma chère sœur veut ma perte ! » gémit-il, dramatiquement. 

Aina s'amusa en silence de son comportement léger et enfantin. 

« Tu as été méchant avec elle. » rajouta Trust, qui prit courageusement la main de sa sœur en fronçant les sourcils. 

« Grand dieu ! » hurla Joy, en gesticulant dans tous les sens. « On dirait que toute la famille est contre moi. » 

Aina se fit la réflexion que cet homme aurait pu jouer dans une pièce de théâtre, au vu du talent qu'il possédait de tout rendre inutilement poignant. Elle le trouva légèrement ennuyeux, mais cela ne l'empêcha pas de l'apprécier. Il se prenait visiblement pour le bouffon du roi et semblait adorer taquiner quiconque lui en laissait l'opportunité, mais cela ne lui déplaisait pas. 

En observant les interactions de l'homme avec les autres de membres de sa famille, elle pensa qu'il devait être agréable de vivre dans pareil endroit. L'atmosphère ici était bien plus joviale et légère que chez les Signavit et elle en vint même à se demander si ces derniers avaient jamais été si enjoués auparavant. 

Tout au manoir Memoria était si sombre, si terne... Alors que tout ici respirait la joie et l'amour. 

« Ils sont un petit peu fatiguant, n'est-ce pas ? » murmura Serenity, qui était venue s'asseoir à côté d'elle sans qu'elle le remarque. 

Aina l'observa brièvement, avant de reporter son attention sur Hope et Trust, qui attaquaient leur frère à coup d'oreiller en plume, alors que celui-ci hurlait en prétendant qu'il était en train de se faire flageller. 

« C'est une jolie famille que vous avez. » répondit-elle, les yeux dans le vague. 

Elle aussi avait – si elle en croyait ses souvenirs – un frère. Elle ne se souvenait pas de son nom, ni de son visage, mais elle ne pu s'empêcher de se demander si tout deux avaient eu ce genre de relation auparavant. Elle se trouva subitement submergée par un intense sentiment de nostalgie mêlée à la solitude. 

« Est-ce que ça va ? » s'inquiéta Serenity, qui posa sa paume sur son poignet, comme pour lui témoigner son empathie et sa sollicitude. 

Est-ce qu'elle allait bien... ? Elle n'en était pas sûre, mais elle voulait le croire, aussi hocha-t-elle la tête, avant de sentir une boule se former dans sa gorge. Elle eut l'impression d'être oppressée et d'avoir du mal à respirer. Elle se rendit compte qu'elle était au bord des larmes. 

Elle vit les mains délicates de la duchesse se glisser sur ses joues, avant que cette dernière la force à l'observer.

« Que se passe-t-il ? »

Elle resta quelque instants silencieuse, effrayée que le moindre mot fasse s'écrouler les derniers barrages qui retenaient la tristesse qu'elle ressentait. Elle était terrifiée. Terrifiée de laisser éclater ses émotions, terrifiée de reconnaître qu'elle se sentait seule. 

« Ma... » souffla-t-elle, la voix tremblante. « Ma famille me manque. » 

Elle avait mal, terriblement mal au cœur, alors même qu'elle ne se rappelait pas les visages de ses êtres chers. Elle pleurait pour des gens qu'elle ne connaissait pas, dont le seul souvenir était un sombre soir d'hiver et avec lesquels elle n'avait rien partagé. 

« Ca va aller. Je suis là. » tenta de la rassurer Serenity, qui la pris délicatement dans ses bras. 

Elle remarqua à cet instant que les autres s'étaient tus et que l'on entendait plus que ses reniflements et les quelques petits couinements qu'elle poussait en agrippant la robe de la duchesse. Ce que cette femme lui offrait était plus qu'une simple étreinte maternelle. C'était un réconfort, un soutien et une salvation. 

La voix douce de la dame lui rappela les mots qu'elle avait entendu dans son esprit le matin même et elle se demanda si celle-ci avait voulu la réconforter en prévision de ce moment. Peut-être son esprit avait-il ressenti avant elle le vide qui l'habitait et la tristesse qui émergeait de ce dernier.

Ce moment de calme et de paix qu'elle ressentis en se laissant aller, se brisa lorsqu'un vase, qui était près de Joy, se brisa sur le sol dans un fracas monstre. Elle sursauta en réponse et tourna tant bien que mal ses yeux brouillés par les larmes vers le jeune homme, qui fixait quelque part vers le couloir, un air compliqué au visage.

« Joy ? » l'interrogea Serenity, visiblement inquiète tandis que les deux enfants se plaçaient derrière lui. 

« Quelqu'un arrive. » répondit-il d'un air grave.

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