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Chapitre 18 - La porte

La journée passa bien plus vite qu'Aina ne l'aurait cru et contre toute attente, sans encombre. Malgré l'appréhension de la jeune femme à l'idée de revoir Sorrow, son travail du jour avait été plus que paisible. Lust, malgré son habituel caractère difficile et sans pitié, n'avait pas plus rejeté que cela sa présence et maîtresse Sorrow n'avait pas abordé leur altercation de la veille, se comportant comme si tout ce qu'il s'était produit n'avait jamais existé.

Aina s'était attendue à ce que la maisonnée toute entière la condamne pour son comportement, mais personne n'avait évoqué le sujet, comme si tous les membres de la famille avaient passés un accord tacite de ne surtout pas mentionner les récents évènements.

'Pas que cela me dérange.'

C'était à présent l'heure de la pause pour elle, bien qu'elle n'ait aucune intention de se reposer. Elle raccrocha son tablier dans la cuisine du manoir et glissa la main dans sa poche pour en sortir le mot mystérieux, qu'on lui avait laissé le matin-même. Cette toute petite chose qui l'avait pourtant tourmentée toute la journée durant, repassant en boucle dans son esprit au point qu'elle ne parvienne même pas à se concentrer sur son travail. Ce petit carton blanc orné d'un lys, qui l'avait tant troublée.

« Retourne-y. » lu-t-elle discrètement, avant de pousser un soupir.

'Très bien.'

Elle n'avait que peu d'espoir que tout ceci ne soit pas qu'une simple blague, mais l'infime possibilité que quelqu'un ait vraiment voulu lui révéler des choses, la poussa à se faufiler en silence jusqu'à la chambre de Despair, dont elle vit que la porte avait été refermée. Elle se planta devant, songeuse et indécise. Elle attendit quelques instants, la mine sombre, avant de tourner la poignée, quelque peu nerveuse de se retrouver à nouveau dans cet endroit inconnu.

Elle fut quelque peu surprise de voir que la chambre – où ce qu'il en restait – était toujours aussi vide. Elle ne voulait pas l'admettre, mais elle avait nourri un vague espoir que tout ce dont elle se rappelait n'était pas un simple rêve. Pourtant la pièce était toujours désespérément dépouillée de toutes ces choses qui semblaient encore si réelles pour elle, pour son plus grand désespoir.

Elle ferma les paupières quelques instants, laissant le silence et l'arôme boisé de la pièce l'envelopper comme une étreinte réconfortante.

Puis elle ouvrit les yeux. Elle était toujours seule, dans ce grand vide, cette étendue dénudée de laquelle il ne resterait rien, que des bribes d'un passé incertain et probablement imaginaire.

Elle était revenue dans cette pièce, à l'endroit même où la colère et la terreur s'était emparées d'elle la veille et elle ne pu s'empêcher de se sentir effrayée que tout cela se reproduise, que ces émotions qui l'avaient dévorées comme une bête affamée ne reviennent, l'emportant avec elles.

'Maintenant... Quoi ?'

Elle avait suivi ce que lui avait dit son mystérieux informateur et avait à nouveau pénétré dans la chambre de Despair, mais quoi... ? Qu'était-elle censée voir ? Découvrir ? Tout ce qu'elle avait sous les yeux était absolument identique à la veille. Tout avait disparu. Elle s'avança un peu plus entre les murs, scrutant les alentours pour essayer de trouver ce que son corbeau voulait lui montrer. Elle observa et observa encore, si fort que ses yeux se mirent à la faire souffrir, au point qu'elle dû les clore.

Et puis elle vit.

Un hoquet de stupeur s'échappa de ses lèvres entrouvertes, lorsque son regard s'accrocha quelque part dans un coin, juste à côté de la fenêtre. La chose aurait pu passer inaperçue, si l'on était pas un minimum attentif, mais elle la remarqua presque aussitôt.

Sous l'encadrement, juste derrière un morceau de tapisserie légèrement décollé se trouvait une petite pierre qui était comme encastrée dans le mur. Ce qui la troubla bien plus que cet élément qui semblait totalement désaccordé avec le reste de la pièce, fut le fait qu'elle ne l'avait jamais remarqué, même après avoir passé plus d'une trentaine de minutes à inspecter la pièce la vieille.

Une sensation déplaisante s'insinua en elle et elle grimaça. Tout ceci lui donna l'impression d'une mise en scène grossière, à laquelle une personne mal intentionnée se serait adonnée pour se moquer d'elle et elle considéra pour la première fois de tout laisser tomber et de quitter la pièce. Pourtant, quelque chose la poussa à s'approcher. Le morceau de pierre ressemblait à une brique blanche, qui aurait été imbriquée de force dans le mur, comme si un enfant avait voulu insérer un jouet en forme de losange dans une fente carré. Les contours de l'objet étaient imprécis, de la même manière que le renfoncement dans lequel il était apposé, qu'une personne semblait avoir creusé à la hâte et de manière très peu appliquée, pour être sûre qu'elle le remarquerait même en étant distraite.

'Comme une maison au milieu d'une forêt. '

Intriguée, Aina s'agenouilla et glissa les doigts sur la pierre, dont la poussière se répandit sur sa peau et sur ses collants noir. Elle glissa ses ongles dans les interstices et tira pour essayer de sortir l'objet de son contenant. La tâche fut ardue et elle dut placer les pieds contre le mur et user de tout son poids vers l'arrière pour qu'enfin, le mécanisme grossier ne cède. Elle peina à se rattraper et retomba lourdement sur les fesses, une grimace au visage.

Elle tomba nez à nez avec une petite cavité creusée, à peine plus grande qu'une boîte à chaussures et dans laquelle était posé un minuscule objet rectangulaire dans la pénombre. Elle glissa délicatement la main dans le trou et l'attrapa. La chose était légère et semblait faite de bois, vu la sensation que celle-ci laissait sur sa peau. Elle en ressenti les contours des doigts, avant de glisser l'objet à la lumière.

Elle découvrit une petite chose marron, qui ne lui rappela rien, jusqu'à ce que l'objet qui était apposé dessus la force à écarquiller les yeux.

« La porte... ! » s'exclama-t-elle, submergée par la surprise.

Le petit objet qu'elle tenait entre les mains n'était autre que la porte de la maison de poupée de Despair, celle sur laquelle Aina s'était arrêtée lorsqu'elle avait discuté avec elle, dans sa chambre.

[C'est la porte vers l'autre côté] se souvint-elle des paroles de sa jeune maîtresse.

Elle se souvenait avoir questionné Despair au sujet de ce détail étrange, qui lui avait semblé si détaché et différent du reste de la petite maisonnée.

'Je n'ai pas rêvé !'

Elle réalisa à cet instant qu'on lui avait menti, juste comme l'avait dit le message qui avait été laissé devant sa porte. Plus que la personne qui le lui avait donné, ce fut le mensonge de Sorrow et d'Elvan qui l'intrigua. Elle n'arrivait pas à comprendre pourquoi tout le monde avait voulu lui faire croire que Despair n'existait pas, que la plus jeune de la famille n'était qu'une vulgaire invention. Cela ne ressemblait pas à ces deux-là. Sa maîtresse était tout à fait capable de mentir, mais elle ne voyait pas pourquoi celle-ci aurait volontairement occultée la disparition de sa précieuse fille, en prétextant que celle-ci n'existait pas. A moins que...

Il était clair que madame n'aurait jamais fait de mal à Despair et qu'elle ne l'aurait jamais fait disparaître de la sorte, mais rien ne disait qu'une personne plus puissante encore ne l'avait pas contrainte à mentir.

'Wrath.'

Le patriarche. Il était le seul à pouvoir ainsi forcer l'épouse à dire et faire ce genre de choses, parce qu'elle ne pouvait pas s'opposer à lui. Peut-être la menaçait-il de faire du mal à Despair si elle prononçait le moindre mot...

Elle n'avait pourtant pas eu l'air effrayée ou nerveuse, lorsqu'Aina l'avait questionné et pourtant... Madame était plutôt bonne menteuse et il était très certainement dans ses cordes de tromper le monde entier, si elle le voulait.

Quant à Elvan... Cela expliquait aussi son attitude étrange et son impossibilité à lui révéler ce qui était arrivé à Despair. Il n'était après tout qu'un simple servant, qui ne pouvait qu'obéir au doigt et à l'œil à son propriétaire. Aina se frotta le menton, pensive, en repensant à leur conversation dans la cuisine.

[Je suis désolé...] se souvint-elle l'avoir entendu répondre, lorsqu'elle l'avait interrogé sur la disparition de Despair.

Maintenant qu'elle y pensait...

'Il n'a jamais rien confirmé.'

Il s'était excusé avec un air triste, mais le mot « non » n'était après tout jamais sortis de sa bouche. Peut-être alors avait-il voulu lui faire passer un message ? Peut-être avait-il lui aussi été forcé à se taire... ?

Toute cette affaire semblait être de plus en plus sombre et de plus en plus incompréhensible, à mesure qu'Aina fouinait et elle n'avait aucune idée d'où tout ceci finirait par la mener. Quelque chose était visiblement en train de se produire dans le manoir... Une chose qui avait poussée quelqu'un à faire taire tous les membres de la famille et qui avait fait disparaître Despair sans la moindre trace.

'Mais quoi ?'

Elle avait un mauvais pressentiment et une vague de malaise la secoua, en imaginant ce qui aurait bien pu arriver à sa jeune maîtresse, dont elle n'avait plus de nouvelles depuis deux jours.

'Et si elle a été blessée ?'

Ou pire encore...

Non, elle ne voulait pas y penser. Il fallait à présent qu'elle se concentre sur tout ceci et qu'elle essaie de comprendre ce qui était en train de se produire entre ces murs. Elle ne pouvait après tout pas abandonner cette famille et surtout Sorrow, qui avait toujours été prévenante et attentionnée avec elle.

'Je dois découvrir ce qu'il se passe.'

Mais comment ? Par où commencer ? Qui voir ?

Et surtout...

A qui faire confiance dans cette maison, maintenant qu'elle savait que quelqu'un voulait enterrer toute l'affaire ? La situation prenait une tournure particulièrement dangereuse et elle n'était pas certaine d'être la mieux placée pour ce genre d'aventure...

Elle était pourtant la seule à pouvoir faire quelque chose. Elvan et dame Sorrow étaient visiblement contraints au silence et rien ne disait que les autres membres du manoir ne l'étaient pas également. Elle n'était pas encore certaine de savoir pourquoi elle était la seule à devoir être tenue à l'écart, mais elle n'en avait que faire à ce moment précis.

Tout ce dont elle était convaincue était qu'elle était la seule à pouvoir agir. La tête pensante de cette histoire n'était après tout pas au courant qu'elle avait reçu des informations et qu'elle avait compris que quelque chose clochait dans cette histoire.

'J'ai l'avantage dans cette situation.'

Et puis il y avait son informateur. Le seul membre de cette maison qui avait été assez brave pour mettre en danger sa vie. Sa volonté de tout lui révéler prouvait bien qu'Aina avait un rôle important à jouer dans tout cela, même si elle ne savait pas encore lequel.

Cela dit, tout ceci aurait également pu être un piège, dont elle ne comprendrait pas le but, mais elle préféra penser qu'il y avait peut-être quelque chose qu'elle pouvait faire pour sauver Despair, même si cela voulait dire risquer de se faire punir, voire pire. Elle ne pouvait pas simplement faire semblant de ne rien voir, elle n'y arrivait pas.

Cela pouvait sembler stupide, mais elle n'arrivait pas à oublier l'image de son enfance, face à ses parents. Celle où elle avait pitoyablement fui pour se sauver, sans même essayer de faire quelque chose pour sa mère. Qui savait ce qui lui était arrivé à cause de son choix ? Aina ne voulait plus de cette déchirante culpabilité, de cette peur rampante d'être dans l'ignorance et d'imaginer ce qui pourrait se produire pendant qu'elle tournait le dos.

Elle ne voulait plus être cette femme qui abandonnait les autres pour se sauver, celle qui faisait semblant de ne rien voir et de ne rien entendre, quand les hurlements faisaient trembler les murs.

Il fallait qu'elle soit forte et qu'elle affronte la vérité, peu importe sa nature. Elle ne voulait pas être une lâche. Pas à nouveau.

Aussi se résolue-t-elle a percer les secrets du manoir et de cette famille, quoiqu'il en coute.

'Cette fois, je ne fuirais pas.'

Elle ne se laisserait plus convaincre par les paroles mensongères de sa maîtresse ou d'Elvan, ni même par celles de son informateur, qui était comme une épée de Damoclès pendant au-dessus de sa tête, prête à la transpercer au moindre faux pas. Cette fois-ci elle n'allait écouter que son instinct et son cœur.

Elle serra les poings, soudainement animée par une détermination qu'elle ne se connaissait pas, prenant origine dans sa frustration et ses remords jamais exprimés. Elle allait aller jusqu'au bout de cette histoire.

[C'est la porte vers l'autre côté, dans le bureau de père.]

Et elle savait exactement par où commencer.

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