Ewan s'assura une dernière fois que tous les paquetages étaient bien attachés aux flancs de Fusain, vérifiant que les sangles étaient correctement fermées et que rien ne risquerait de tomber pendant le trajet.
Fusain remua sa queue, le crin soyeux ondulant sur toute sa longueur, et le cheval poussa ensuite de son museau l'épaule du jeune homme. Ce dernier hissa de douleur face au contact inattendu près de sa blessure, et fit un pas en arrière en lançant un regard réprobateur à sa monture.
L'animal se contenta de souffler bruyamment par ses naseaux ; et pivotant ses oreilles dans tous les sens, son regard fut attiré vers les immenses portes de la caserne militaire.
Depuis déjà une demi-heure, un flux ininterrompu de chariots et de cavaliers passait au travers, circulant en une dense colonne d'armures rutilantes et de capes bleu roi et blanc flottant dans les airs. Le cliquetis métallique des éperons et des pièces d'armures s'entrechoquant, mêlé au trot des animaux et aux consignes criées par le personnel encadrant, créait une cacophonie au rythme lent et régulier. Le son, sinistre et inquiétant, se réverbérait sur les immenses murs de la grande tour blanche avant de s'évanouir dans le chahut ambiant de la ville.
Suivant le regard de Fusain, Ewan se mit lui aussi à regarder la colonne militaire en train de se déployer sur toute sa longueur comme une vrille de vigne qu'on tirerait par chaque extrémité pour la tendre. Bientôt, il n'y aurait plus qu'une toute petite garnison dans la ville pour assurer l'ordre, et le silence s'abattrait sur la caserne militaire délaissée par presque tous ses occupants.
Cependant, le jeune chasseur ne serait probablement pas là pour voir les lieux devenir mornes et vides. Il avait un rendez-vous à honorer, et espérait juste que le Salamander parlant l'avait bien attendu sagement et n'avait pas provoqué chaos et destruction sur le Mont Larshen et ses alentours.
Il espérait aussi qu'elle ne soit pas trop surprise de voir qu'il n'était pas seul, contrairement à ce qu'ils avaient initialement convenu.
Tournant son regard vers l'entrée des dortoirs, il appela la petite fille.
« Pavas ! » S'écria-t-il pour qu'elle l'entende malgré la distance.
Aussitôt, l'enfant leva vers sa direction un regard surpris, et Ewan lui fit signe de la main de s'approcher. Ne perdant pas un instant, Pavas trottina sur la vingtaine de mètres les séparant, et fixa silencieusement du regard le jeune homme.
« Nous allons partir, tu n'as rien oublié ? » Lui demanda-t-il en lui retournant son regard.
La petite fille secoua la tête, et Ewan plaça alors ses deux mains sous les bras de Pavas pour la soulever et l'asseoir sur le dos de Fusain. Puis, montant à son tour sur la selle du cheval et derrière la petite fille, il s'empara de la bride de l'animal et lui fit signe d'avancer. Fusain tapa nerveusement ses gros sabots sur le pavé de la place, puis se dirigea vers les portes de la caserne pour momentanément se joindre au convoi militaire qui passait l'entrée comme un liquide versé dans le goulot d'un entonnoir.
La monture se retrouva alors emportée par ce courant invisible que provoquait cette affluence de chevaux et de matériel ; et navigua à travers la foule en slalomant et en déviant sa course pour ne pas ralentir les personnes qui se trouvaient derrière eux, ni percuter les soldats qui se trouvaient devant eux. Des curieux, interpellés par l'agitation inhabituelle qui animait les rues, s'étaient penchés à leurs fenêtres ouvertes, au rez-de-chaussée comme aux étages des différents bâtiments qui longeaient le tracé qu'empruntaient l'impressionnant détachement.
Une telle attention portée sur vous pouvait vous intimider, si vous n'étiez pas habitué. Ewan n'en avait que faire, ne se souciant pas vraiment de ce genre de choses, mais il remarqua tout de même que Pavas avait gardé tout du long les yeux rivés vers la tête de Fusain. Elle ne devait probablement pas être à l'aise à cause de tous ces regards indiscrets, bien qu'elle ne soit pas le principal objet de cette curiosité. Ceci dit, ils ne resteraient probablement pas assez longtemps pour que cela devienne gênant.
Bientôt, le convoi arriva sur l'immense place principale de la ville, où s'était tenu quelques jours plus tôt le grand marché qu'Ewan et Pavas avaient visité.
Les échoppes démontables avaient été entièrement démontées pour laisser place à l'amas de matériel et d'humains qui en arrivaient et en repartaient de façon fluide, sans s'attarder ni se précipiter. Profitant de ce grand espace, Ewan fit presser le pas à Fusain et envoya l'animal trotter de l'autre côté de la place en quelques secondes pour doubler le groupe principal qui les précédait.
Enfin, encore quelques minutes plus tard, la monture et ses deux passagers se retrouvèrent enfin de l'autre côté des immenses remparts lisses de la ville blindée. Ewan salua une dernière fois les gardes en armure qui étaient positionnés à l'entrée, et tourna son regard vers la grande zone de cultures qui entourait Ylesse.
Devant eux, la grande colonne militaire s'étendait sans interruption des portes de la cité jusqu'à l'orée de la forêt, occupant toute la longueur de la grande route qui partait vers l'Ouest. Cependant, Ewan, Pavas et Fusain partirent dans la direction opposée. Leur destination, l'imposant Mont Larshen, se trouvait plus au Sud et à l'Est, et son sommet gris foncé était déjà visible derrière les champs, la forêt, et les collines environnantes.
Fixant l'énorme montagne qu'il n'avait pu voir le jour de leur arrivée à cause de nuages remplissant le ciel, Ewan ressentit une douleur aiguë dans son œil droit avant qu'une migraine n'attaque l'intégralité de son crâne. Grognant de douleur, il se massa la tempe, et s'attira un regard inquiet de la part de Pavas.
« Ewan a mal ? » Demanda-t-elle à voix basse, ce qui surprit le jeune homme.
« Juste un mal de crâne, » la rassura-t-il en grimaçant.
Décidé à faire le plus de route possible avant la tombée de la nuit, il mit à nouveau Fusain au trot et le dirigea vers l'autre côté de la forêt qui encerclait Ylesse.
Le cheval s'élança d'un pas lourd, soulevant un nuage de poussière et faisant virevolter feuilles, brindilles et brins d'herbe sur le bord de la route.
Le courant d'air ainsi provoqué alla jusqu'à faire danser les longs cheveux blancs d'une personne encapuchonnée avançant dans le sens contraire, vers la ville blindée.
Ewan fit s'écarter un peu sa monture pour ne pas trop incommoder le voyageur, et continua sa route ; sans se douter une seule seconde du regard qui s'était posé sur lui au même instant.
Le vent se leva tandis que le trio s'éloignait, et le voyageur ne les quitta pas des yeux même après qu'ils aient disparu à travers le feuillage, les arbres et les buissons.
Plein de regrets, le voyageur resta immobile longtemps, continuant de regarder vers la végétation et la route qui s'y engouffrait.
« C'est bizarre... » Dit l'un des gardes en position devant les portes de la ville.
« Quoi ? » Lui demanda son collègue, un brin ennuyé.
« J'ai cru voir quelqu'un venir dans notre direction... » Dit-il en montrant la route déserte qui partait vers l'Est.
L'autre garde se tourna alors vers la route, et n'y voyant personne, se mit à ricaner.
« Je crois que t'as rêvé, » se moqua-t-il gentiment.
« Peut-être bien... » Dit le premier garde, embarrassé.
Les gens ne pouvaient pas se volatiliser aussi facilement, en plein jour et au milieu de grands champs, après tout.