Il avait ressenti un frisson lui parcourir le dos. Comme s'il avait eu un mauvais pressentiment.
C'était passager, tout au plus.
Pourtant, quelque chose l'avait poussé à soudainement bouger, à ne pas rester immobile.
Dans cette obscurité, il avait ressenti l'envie de tuer d'une personne. Et c'était cette même sensation qui lui avait probablement sauvé la vie.
Toutefois, il ne fut pas assez rapide pour complètement échapper à la lame qui s'abattait sur lui, et poussa un hurlement de douleur.
La lame était entrée dans son épaule et avait continué à descendre jusqu'à érafler l'os, déchirant tout sur son passage.
Sortant sa dague, Ewan la planta dans le bras de son assaillant, ce qui fit reculer ce dernier.
L'épée ensanglantée tomba sur le sol rocheux de la caverne dans un grand fracas de métal qui résonna sur les parois, et le jeune homme s'écarta immédiatement. Il vit alors une silhouette sombre se déplacer dans l'obscurité, la forme plus opaque se détachant malgré le manque de visibilité.
Il sentit le sang tiède couler sur tout son bras, et tentant de serrer ses doigts, comprit que la blessure avait totalement incapacité sa main gauche. À cause de cette attaque surprise, il était déjà désavantagé par rapport à son adversaire.
Quant à Finn, Ewan pouvait toujours l'entendre se battre derrière lui. Il ne pouvait donc pas espérer d'aide de la part du militaire, qui se battait contre plusieurs individus à la fois.
Les yeux du jeune homme se posèrent alors sur l'épée encore posée au sol.
Il n'avait pas d'autre arme que sa dague à cause de l'infiltration qu'ils avaient dû mener plus tôt, mais à en juger par les mouvements de la personne qui se cachait toujours dans les ombres, elle devait vouloir récupérer l'arme abandonnée par terre. Une arme qu'Ewan convoitait aussi.
Il perdait de plus en plus de sang, et le premier qui atteindrait l'épée aurait l'avantage. C'était donc une course contre la montre qui se présageait.
Alerte, le jeune chasseur observait encore la silhouette qui apparaissait et disparaissait en fonction de la distance qu'elle mettait avec la source de lumière que Finn tenait toujours. Aucun des deux ne tentait le moindre geste. Ce qui ne pouvait signifier qu'une seule chose : ils attendaient tous les deux que l'autre bouge le premier, pour pouvoir attaquer soudainement l'autre.
De longues secondes qui parurent interminables passèrent, avant qu'Ewan ne décide de tenter sa chance.
Il attendit que la silhouette disparaisse à nouveau pour se redresser et bondir vers l'épée. Courant aussi vite qu'il le pouvait, il vit du coin de l'œil gauche une forme noire s'approcher de lui. L'ennemi était tout aussi rapide, et en meilleur état qu'Ewan, poussa violemment ce dernier au sol en lui plantant la dague dans l'arrière de la cuisse.
Il avait utilisé la même arme qu'Ewan avait enfoncée dans son bras, et profitant de sa proie momentanément incapacitée, se rua sur l'épée pour s'en emparer. Le jeune homme eut à peine le temps de se relever qu'il fit une roulade vers la gauche pour esquiver l'épée brandit vers lui.
Son poids faisant pression sur son épaule blessée, il ne put réprimer un nouveau cri rauque de douleur.
Toutefois, même si sa vision commençait à se troubler, il remercia mentalement la douleur qui le maintenait éveillé et aux aguets. En ce moment, il ressentait une étonnante clarté d'esprit qui décuplait ses réflexes. Peut-être que la peur de mourir s'était emparée de lui pour le pousser à survivre par tous les moyens.
Récupérant la dague plantée dans son corps, il se mit difficilement accroupi, et vit la lame de l'épée avancer tout droit vers lui, telle une lance. Il esquiva en plongeant à nouveau sur le côté, sa poitrine heurtant avec force le sol rocailleux. Avec le souffle momentanément coupé, il eut du mal à immédiatement bouger, et releva juste à temps la dague au dessus de sa tête pour bloquer l'épée qui était descendue comme une guillotine vers lui. Seul son bras droit pouvait tenir à distance l'arme, son bras gauche resté inerte, et il sentit ses muscles brûler avec l'effort qu'il devait produire pour contrer l'ennemi.
Néanmoins, il ne put esquiver le violent coup de pied qui le frappa dans le torse et le fit lourdement tomber en arrière. Et déjà, la pointe de l'épée était à nouveau dirigée vers lui, prête à s'enfoncer dans son torse.
Est-ce qu'il avait le temps de rouler d'un côté ou de l'autre ? Ou est-ce que la lame atteindrait ses flancs ? Pouvait-il dévier l'attaque avec sa dague ?
Il plissa ses yeux et vit deux épées au lieu d'une. Le sang qui recouvrait son bras était déjà refroidi, tandis que celui sortant de la blessure coulait toujours, créant de nouvelles couches de rouge superposées les unes sur les autres. Il sentit la sueur froide et désagréable se faufiler en grosses gouttes dégoulinant entre son crâne et ses cheveux.
Il cligna des yeux, et au même moment, il entendit un hurlement.
« GAMIN ! ATTRAPE ! » Cria Finn.
Ewan rouvrit juste à temps les yeux pour voir une épée voler vers son adversaire et s'enfoncer dans son flanc gauche. Le suspect avait tout juste eu le temps de la dévier avec son arme, réduisant grandement la blessure que le militaire avait tenté de lui infliger, et demeurant debout malgré la douleur.
Cependant, Ewan n'allait pas laisser passer cette chance.
Se relevant avec fulgurance, il saisit l'épée envoyée depuis l'autre bout de la caverne par son manche et tira immédiatement dessus.
Du sang vola dans les airs, la pression exercée par la lame ayant disparue, et l'ennemi tituba en arrière. Et dans le même mouvement, la lame tournoya pour se diriger vers la tête toujours masquée de son adversaire. Dans un fracas de métal, l'épée entra en contact avec la surface lisse et opaque du masque noir, et fendit légèrement sa surface.
Surpris, le membre du Cercle bondit en arrière, et se figea. Il ne faisait plus un geste, comme si les dégâts sur son masque l'avaient perturbé et désemparé un court instant.
Le jeune chasseur ne voyait plus double pour l'instant, et profita de cette occasion inespérée pour asséner un coup précis sur le bras de son adversaire. Néanmoins, ce dernier revint à lui et para avec une rapidité déconcertante la menace ; les deux hommes forçant tous les deux pour pousser et repousser celui qui leur faisait face. Les deux épées, pressées l'une contre l'autre, émettaient un grincement métallique désagréable et strident ; aussi, seule l'expertise de leurs forgerons respectifs saurait faire la différence dans ce face à face qui s'éternisait.
Grinçant des dents, Ewan releva les yeux vers le masque légèrement fendu sur le côté droit, et vit qu'un œil bleu le dévisageait à travers la fissure.
Il pouvait voir la grande pupille couleur azur le fixer intensément, lui renvoyant son regard avec une ferveur identique.
Déstabilisé, Ewan ne sut exactement ce qu'il ressentait à cet instant précis.
Il avait l'étrange impression qu'il n'aurait jamais dû croiser le regard de cette personne, et encore moins la rencontrer.
Pourtant, les deux hommes étaient paralysés, bloqués dans une même stupeur.
Il était arrivé quelque chose. Mais quoi ?
« Seigneur Androanni ! » S'écria un des hommes de main du Cercle.
L'œil bleu perdit alors son éclat de surprise, et reprit une teinte terne et maussade.
Manifestant une force étonnante et inattendue, l'homme du Cercle repoussa violemment Ewan et se mit à courir vers ses complices. Le petit groupe se faufila alors par une des galeries adjacentes, tandis que le bruit de pas distinct d'hommes en armures approchait depuis l'autre direction.
La porte par laquelle Ewan et Finn étaient arrivés fut alors envahie par un groupe de militaires armés, menés par nul autre que Carciem.
Finn repoussa et mit à terre l'individu qui l'avait retenu jusqu'à présent, et se dirigea vers son supérieur.
« Nous avons trouvé un des gradés du Cercle, mais ils viennent de s'enfuir par là ! » Rapporta-t-il rapidement en désignant la seconde galerie.
Ewan, hébété, se laissa tomber au sol, regardant Carciem faire rapidement signe à ses hommes de se mettre immédiatement à pourchasser les fuyards, excepté quelques-uns d'entre eux qui restèrent arrière pour mettre aux arrêts les ennemis que Finn avait maîtrisés.
Il se demandait comment Carciem avait fait pour être aussi rapide, et espérait que les autres militaires parviendraient à rattraper les suspects. Toutefois, il était clair qu'ils auraient du mal à arrêter cette personne. Ce… Androanni.
« Ça va aller, Ewan ? » Lui demanda Carciem avec un sourire, lui tendant une main pour l'aider à se relever.
Ewan avait très froid au bras gauche, mais il ne pouvait pas non plus rester immobile, sans quoi il risquait de perdre connaissance, et de devenir plus un poids mort que quelqu'un d'utile. Attrapant avec sa main droite celle de Carciem, il se releva péniblement et hocha de la tête.
« Allez ! À leur poursuite ! » Hurla alors Carciem, tout en allant emboîter le pas à ses subordonnés qui commençaient à s'engouffrer dans la galerie.
Prenant soin de récupérer l'épée qu'il avait lâchée sur le sol, Ewan se mit à suivre au trot Carciem.
Toutefois, c'est à ce moment, dans toute ce bruit et cette fureur, qu'il entendit un sifflement.
Un sifflement caractéristique, qui provenait d'une des poches de sa veste.
S'arrêtant momentanément de courir derrière Carciem et ses hommes, Ewan fouilla sa poche, et trouva l'objet qui émettait en continu le bruit : un coquillage en forme de spirale. La copie conforme de celui qu'il avait donné à Pavas. Se pouvait-il que… ?!
Avec précipitation, il orienta le coquillage dans tous les sens, et remarqua que derrière lui, le sifflement était plus fort.
Et aussitôt, il s'élança sans réfléchir vers cette direction, suivant avec attention le bruit augmentant toujours plus en intensité.
« Ewan ? Où tu vas ?! » S'écria Carciem en se retournant.
Mais son ami ne l'écoutait déjà plus, et était parti en trombe dans l'autre direction, suivant une piste que lui seul pouvait suivre.
Le coquillage qu'il avait donné plus tôt à Pavas n'était pas un simple coquillage. C'était également un objet enchanté, qui permettait de contacter à distance n'importe qui. Peu importe si vous étiez séparés par un continent ou un océan.
Même si l'objet en question ne permettait pas de tenir une discussion, il émettait un sifflement que seul son propriétaire pouvait entendre, et qui permettait de localiser le porteur du second coquillage grâce au son produit en continu.
C'était comme un signal de détresse traversant les distances et les matières, directement dans votre main.
Et Pavas, qui venait de l'utiliser, se trouvait manifestement à proximité.
Ce qui ne lui laissait qu'une seule et unique chose à faire : la secourir.