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À l'époque, il s'était vu en elle.

La fin des vacances d'été marqua le retour en classe pour tous les élèves du lycée, mais aussi le début d'une scolarité plus ennuyeuse que jamais pour Jun.

Depuis le départ de Ryuji, il n'avait pas eu grand monde avec qui parler, que ce soit sur son temps libre, ou durant les heures de cours. Les cours avaient repris avec la même lenteur interminable, les pauses étaient toujours aussi bruyantes et désordonnées, et les autres élèves étaient restés les mêmes : bavardant et rigolant comme si plusieurs semaines de coupure dans leurs cours ne venaient pas de passer. On aurait presque cru que le temps s'était suspendu, entre le début et la fin des vacances d'été, et que la situation était exactement la même, avant comme après. Même les amis et le groupe de garçons qui traînait jusqu'à présent autour de Ryuji, semblait s'être accommodé de l'absence de ce dernier sans aucune difficulté.

Pourtant, le jeune garçon n'était plus là, et bien que ces vacances aient permis aux choses de se tasser et aux élèves d'oublier la bagarre qui s'était produite dans la classe voisine de la leur, Jun sentait qu'il y avait encore quelque chose d'étrange dans l'air. Comme si, même sans en parler, tout le monde avait cela à l'esprit.

Contrairement à Ryuji, il ne s'était pas non plus mis dans le groupe de discussion de sa classe. Les ragots ne l'intéressaient jamais, mais pour une fois, il aurait vraiment souhaité avoir plus d'informations, car la situation actuelle lui faisait ressentir une sensation de malaise.

D'habitude, les pauses entre les cours étaient assez mouvementées, les élèves allant de salle de classe en salle de classe pour parler aux gens qu'ils ne pouvaient pas côtoyer pendant les heures de cours. Les groupes qui s'en retrouvaient formés étaient presque invariablement les mêmes, car pour tous les groupes d'amis, on se mélangeait rarement avec les autres. C'était toujours plus intéressant de parler avec les gens qu'on connaissait, que de faire l'effort d'approcher des gens qu'on ne connaissait pas. Bien entendu, cela ne voulait pas dire que la cohésion de groupe au sein d'une classe n'existait pas. Il suffisait d'une compétition inter-classes pour en voir les effets, car il n'y avait jamais plus féroce qu'une envie de gagner face à une autre classe, et ce, même si vous détestiez votre voisin de table.

Cependant, il y avait bien quelque chose qui pouvait aussi diviser une classe : l'approche que les élèves pouvaient avoir d'une rumeur. Vous aviez toujours quatre profils face à une rumeur : les gens qui s'y intéressaient – en la croyant ou non – et les gens qui ne s'y intéressaient pas et que cela rendait indifférents. Venaient ensuite les objets de ces rumeurs, et les instigateurs desdites rumeurs. Si le premier groupe ne pouvait que spéculer sur ce qui était vrai ou faux, le second groupe, composé des personnes directement concernées, était le seul à réellement pouvoir démêler la vérité du mensonge. Selon ce que les instigateurs avaient à y gagner, une seule des versions pouvait l'emporter, et de loin. C'était là la loi des rumeurs : ceux qui les faisaient en avaient toujours le contrôle, jusqu'à ce qu'une entité avec plus de pouvoir ou d'influence ne s'en mêle. Il n'était alors plus question de savoir ce qui était vrai ou faux dans ces ragots, mais de savoir quelle version il fallait suivre pour froisser le moins de personnes possible.

En ce sens, la classe de Jun était plutôt paisible:il n'y avait pas de figure remarquable que tout le monde croirait sur parole, même si la volonté de faire partie du drama et d'en savoir plus à ce sujet était toujours présente. C'était plutôt innocent, de son point de vue, car au final, sa classe était plus dans la première catégorie des spectateurs : ceux que les rumeurs intéressaient ou pas, et qui, même s'ils la propageaient, ne racontaient pas de nouveaux mensonges. Ce dernier point, il fallait le réserver aux instigateurs.

Néanmoins, même en restant dans sa salle de classe, et sans vraiment s'intéresser à tout cela, Jun avait tout de même fini par prendre connaissance de rumeurs à propos de la recluse.

Selon ce que les bruits de couloirs, les murmures de toilettes et les petits papiers passés en classe racontaient, la recluse avait volé le petit ami d'une fille de sa classe, et avait fini par provoquer une bagarre. Jun n'avait pas besoin de nom pour savoir de qui il s'agissait, ni de réfléchir longtemps pour comprendre que c'était un énorme mensonge que la fille dénommée Kaeri avait monté de toutes pièces. Il ne comprenait pas comment les filles pouvaient être si mesquines entre elles, quand une bonne échauffourée suffisait entre garçons pour régler le problème. Elles traînaient toujours les choses en longueur, alors que les garçons réglaient leurs affaires entre eux, sans impliquer personne d'autre, et de façon directe – aussi directe qu'on coup de poing au visage.

Soupirant longuement, il observa certains garçons de sa classe en train de tous jouer les uns à côtés des autres sur leurs consoles de jeux portables. L'un d'eux, visiblement en mauvaise posture, profita de pousser la chaise sur laquelle se tenait un autre garçon pour reprendre le dessus dans le monde dématérialisé du jeu ; arrachant un petit cri de surprise à son ami.

Au moins, même si les garçons étaient idiots, ils l'étaient avec sincérité, et ne se cachaient pas derrière des mensonges.

Le plus problématique, c'était quand les garçons se mettaient à croire sans preuve ces mensonges, et la plupart du temps, la cause en était toujours la même : une fille aux traits innocents et ravissants qui faisait appel à leur instinct de protection.

C'était très sûrement ce qui avait provoqué la bagarre dans la classe de Ryuji, et qui l'avait impliqué dedans : des garçons idiots qui cédaient déjà face aux charmes féminins ; ce qui faisait penser à Jun que la société actuelle était déjà foutue.

En revanche, Jun ne serait clairement pas du genre à céder à ce genre de choses. Non seulement il ne se laissait pas facilement influencer, mais en plus, la gente féminine ne l'intéressait pas du tout. Il était immunisé de nature contre leurs sourires charmeurs et leurs grands yeux.

C'était pour cette raison aussi, qu'il n'était pas encore allé dans l'ancienne classe de Ryuji – bien que voisine de la sienne – pour aller parler à Takeuchi Hana. Il était difficile à convaincre, bien qu'il céda face à l'insistance de Ryuji.

De plus, il ne connaissait même pas cette fille, ne l'ayant vue que très brièvement lorsque Ryuji lui avait posé une question idiote.

Qu'est-ce qu'il pensait d'elle ? Comment il pouvait répondre à ça ? Elle avait juste l'air normale, bien qu'un peu distante et silencieuse. Elle ne semblait pas être le genre de personne à chercher les ennuis, ni à provoquer les gens ; ce qui rendait ces rumeurs encore plus débiles et infondées.

Toutefois, même s'il n'avait pas vraiment envie de se faire de nouveaux amis, il ne pouvait s'empêcher d'être assailli par la culpabilité : il avait promis à Ryuji d'au moins parler une fois à la jeune fille, et s'il ne s'exécutait pas, il aurait l'impression d'avoir rompu cette promesse, et avec elle, la confiance que son seul véritable ami avait en lui.

Il fallut probablement attendre une à deux semaines après le retour en cours, et une pause de midi, pour que Jun se décide à approcher de l'ancienne salle de classe de Ryuji. En avançant dans le couloir vers la salle de classe, il pouvait entendre par moment des rires, mais aussi des discussions plutôt agitées. Ce n'était pas quelque chose d'inhabituel, pour une classe de lycée.

Ce qui, en revanche l'était plus, est qu'au moment où il franchit le seuil de la porte, un court et bref silence s'installa, comme s'il venait d'interpeller et de déranger toute la classe par sa simple arrivée.

Puis, aussi rapidement que le silence était tombé, le brouhaha avait reprit sa place comme si de rien n'était.

Tournant la tête pour observer toute la classe, il vit que la recluse – enfin, Hana – était assise à sa place, occupée à manger lentement son repas. Elle ne semblait pas très excitée ni ravie de manger et de boire ce qu'elle avait apporté, comme si elle était une intruse dans un lieu interdit d'accès.

'Je ne lui parle qu'une seule fois, et je dis à Ryuji que ça n'a pas collé entre nous,' se convainquit mentalement Jun.

Il s'apprêtait à s'avancer dans la rangée de bureaux pour traverser la classe, quand une main l'attrapa par l'épaule.

« Hé ! » S'exclama un garçon derrière lui.

Confus, Jun se retourna, pour voir qu'un garçon faisant partie du groupe de Kaeri venait de l'attraper ; comme le bon chien de garde qu'il était.

« T'es qui ? Je t'ai jamais vu ici ? » L'interrogea le garçon.

« C'est pas le type qui traînait avec Ryuji ? » Supposa une fille du groupe.

Face à ces paroles, le garçon qui tenait toujours Jun par l'épaule le dévisagea de bas en haut, et après s'être enfin rappelé quelque chose, haussa les sourcils et le relâcha enfin.

« Ah mais oui ! T'es ce type ! » S'exclama-t-il. « Qu'est-ce que tu viens faire là ? Ryuji te manque ou quoi ? »

Rassuré de se voir enfin lâché, Jun réajusta son uniforme légèrement tiré au niveau de l'épaule, et observa calmement le groupe qui lui faisait face : il semblait que la dénommée Kaeri avait encore gagné de l'influence en très peu de temps, et qu'elle avait même rallié des élèves anciennement amis avec Ryuji. Pas étonnant que les rumeurs se soient répandues aussi vite dans l'établissement : Kaeri avait l'air d'une impératrice entourée de sa garde rapprochée, et à l'opposé, Hana semblait être un ennemi en déroute à abattre sur le champ.

« C'est le garçon de la classe d'à côté, Takeru, c'est ça ? » Demanda le garçon.

« C'est Jun... » Le rectifia-t-il rapidement.

« Ouais voilà, Jun ! » S'exclama comme si de rien n'était le garçon. « Qu'est-ce que tu viens faire là alors ? Tu venais nous voir ? »

« Pas spécialement, je cherchais quelqu'un, » dit Jun en regardant à nouveau vers Hana.

Elle n'avait pas l'air d'avoir bonne mine, malgré l'expression neutre qu'elle avait sur le visage.

Elle semblait manger avec précautions une petite brioche, accompagnée d'un jus de pomme, tout en essayant de dépasser le moins possible de sa chaise et de son pupitre. Peut-être avait-elle peur que quelqu'un la heurte par inadvertance et ne lui fasse tomber son repas ?

De plus, la jeune fille ne levait pas un seul instant le regard de sa nourriture, comme si elle ne voulait pas croiser le regard de ses camarades de classe.

L'espace d'un instant, Jun crut se voir à sa place, et ce sentiment vu confirmé quand l'autre garçon s'adressa de nouveau à lui.

« Me dis pas que tu voulais voir la recluse ? Tu veux te venger d'elle parce que Ryuji a déménagé à cause d'elle ? »

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