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J'avais tout faux.

Sortant en courant de l'ascenseur et passant rapidement les portiques de sécurité de l'immeuble de Marline, Utagawa Takao se retrouva rapidement à l'extérieur du bâtiment et sur la place faisant face à l'entrée principale.

Ignorant les regards curieux des employés et autres passants surpris de voir un homme débouler aussi vite dehors, il chercha des yeux l'homme qu'il devait à tout prix arrêter.

Vus de dos, tous les hommes se ressemblaient : le même crâne aux cheveux correctement coiffés même après 9 à 10 heures de travail ; des costumes sombres, avec ou sans leur veste, cette dernière parfois jetée négligemment sur l'épaule. Seules les femmes apportaient un peu de couleur dans ce monde terne, brisant

Cependant, même dans cette foule uniforme, le grand homme aux cheveux anormalement ébouriffés sur le dessus de son crâne sortait du lot ; aussi le jeune homme parvint à courir jusqu'à lui pour le rattraper sans effort.

« Chef Kobayashi ! » Appela Takao en même temps qu'il saisissait par l'épaule l'homme qui lui tournait le dos.

Le Chef de la Section Financière, plus grand que lui, s'arrêta brusquement et, se retournant immédiatement avec un énervement manifeste et des sourcils froncés, s'exclama d'une voix brusque et mécontente :

« Quoi ? »

Il se dégagea rapidement de la main posée sur son épaule, les poings serrés.

Toutefois, ses sourcils arqués et féroces ne le restèrent pas longtemps, car voyant que la personne qui l'avait arrêté était son nouveau supérieur, il adopta une attitude plus neutre ; même s'il semblait toujours légèrement énervé. Peut-être une expression par défaut chez lui ?

« Directeur Utagawa ? Vous voulez quoi ? » Demanda-t-il avec un ton légèrement corrosif.

Le jeune homme passa outre l'attitude désagréable de l'homme plus âgé. Il y avait plus urgent et plus important que de faire des remontrances à son subordonné.

« Écoutez, je suis désolé de vous déranger alors que vous vous apprêtiez à rentrer chez vous, mais je dois vous parler à propos de samedi soir. » Commença Takao.

« Samedi soir ? » Répéta Shinsuke.

Le souvenir de cette nuit-là était plus que désagréable à ses yeux. Alors se le faire rappeler à peine sorti du travail l'énervait vraiment. Il grimaça malgré lui, et sa migraine – à cause de laquelle il avait décidé de partir plus tôt aujourd'hui - empira.

« Pour tout vous dire, il y a eu un incident, entre deux de nos employés, » continua Takao.

Shinsuke eut un sourire mesquin, et croisa les bras. C'était donc de ça qu'il s'agissait.

« Laissez-moi deviner : vous allez me demander de témoigner pour que la personne concernée soit renvoyée ? » Demanda-t-il avec une voix satisfaite.

Il avait déjà eu quelqu'un du Service Juridique au téléphone la veille, et ils attendaient à présent un email ou une lettre manuscrite de sa part. Est-ce que ça voulait dire que le Directeur Utagawa était au courant et avait quelque chose à redire à ce sujet ? Ou voulait qu'il précise son témoignage ?

Si c'était le cas, il allait se faire un plaisir de descendre en flammes la jeune femme.

Faire renvoyer Shinohara Hana sans même qu'il ait besoin de se fatiguer à lui créer plus de travail que les autres ? Si ça permettait qu'il ne la revoie plus jamais dès maintenant, il était prêt à se rendre à Marline même si c'était après les heures de travail ou pendant son jour de repos.

« Oui, » confirma Takao. « À vrai dire, j'ai peur que mon propre témoignage ne soit pas suffisant…. »

Son propre témoignage ? De quoi est-ce que ce type parlait ? Il était présent sur place ?

Et pourquoi doutait-il autant, alors qu'il avait le même nom que le Président de Marline ? Si les gens savaient son lien de parenté, personne ne douterait de ses propos, même s'il mentait comme un arracheur de dents. Shinsuke était plutôt étonné par ce retournement de situation.

Cependant, ce qui l'intéressait encore plus, était la raison derrière cette discussion.

« Voyez-vous, j'aimerais que cette personne soit renvoyée, mais aussi qu'une action légale soit menée contre elle. » Expliqua Takao. « Et comme vous avez été filmé par les caméras au même moment à l'extérieur, j'espérais que vous ayiez vu quelque chose. »

Oh, de mieux en mieux. Shinsuke était tout à fait ravi. Sa semaine prochaine allait s'annoncer merveilleuse. Avec un peu de chance, plus de Shinohara Hana avant même lundi soir. Le bonheur.

Heureux à cette idée, il s'imagina déjà être assis en toute tranquillité à son bureau, sans avoir à esquiver les regards indiscrets que lui lançait la jeune femme.

« J'ai en effet vu quelque chose, » dit-il avec une voix enjouée qui trahissait sa bonne humeur.

« Et qu'avez-vous vu ? » S'enquit Takao.

« Mademoiselle Shinohara en train de frapper Kubo Touma, » développa Shinsuke, tout sourire.

Il respira avec satisfaction l'air frais de la fin d'après-midi – profitant du silence momentané de son interlocuteur - et décida qu'une fois chez lui, il sortirait une grande tasse en porcelaine bleue pour se faire un thé. Il allait enfin passer une soirée détendue, sans soucis ni inquiétude vis-à-vis de cet élément indésirable du nom de Shinohara.

« Je vois... » Dit simplement Takao. « Rien d'autre ? »

« Non, c'est tout ce que j'ai vu », répondit rapidement Shinsuke.

« Dans ce cas, est-ce que ça vous dérangerait de venir dans les locaux de Marline afin de témoigner face au Service Juridique ? » Demanda Takao.

« Aucun. Problème. » Dit Shinsuke en détachant clairement chaque mot.

Il n'aimait pas vraiment se rendre au Service Juridique, et ces gens – notamment un type du nom de Serizawa, s'il se souvenait bien – lui avaient déjà demandé une confirmation écrite. Cependant, si cela permettait d'accélérer le renvoi de Shinohara Hana, il sacrifierait son temps de travail et son temps libre avec plaisir. Oui, tout pour ne plus la voir traîner autour de lui.

« Je suis vraiment désolé de vous demander ça pendant votre temps libre, » s'excusa Takao, un peu gêné. « Mais vous êtes la seule personne qui a clairement pu voir ce qui s'est passé hier soir... »

« Non c'est pas grave, ça me fait plaisir. » Dit simplement Shinsuke. « Dites moi juste quand cette personne sera bel et bien renvoyée, que je lance de nouvelles sessions de recrutement. »

« De recrutement ? Pour un autre Département ? » Demanda Takao, confus.

Un.. Autre Département ? Ces mots arrêtèrent le train de pensées de Shinsuke, jusqu'à présent perdu à contempler un avenir sans problèmes.

« Ne vous en faites pas pour ça, le Département Véhicules se débrouillera, » ajouta rapidement Takao.

« Attendez, de quoi vous voulez parler ? » L'interrompit Shinsuke, déstabilisé. « Qui se fait virer ? »

Il y eut un court silence où les deux hommes de regardèrent l'un l'autre avec confusion, puis le Directeur Utagawa reprit la parole.

« C'est vrai qu'à priori, vous n'avez vu qu'une partie des évènements... » Soupira-t-il en abaissant les épaules.

« Quels évènements ? » Répéta à nouveau Shinsuke.

Il était complètement perdu. Si ce n'était pas Shinohara Hana qui se faisait virer, est-ce que c'était Kubo Touma qui était sur la sellette ?

Les paroles de Saizo et d'Ito Ren lui revinrent soudainement en mémoire, et avant même qu'il puisse demander des précisions, le jeune homme en face de lui s'empressa de lui fournir les informations qui lui faisaient défaut.

« Écoutez… C'est assez délicat comme situation, et beaucoup de gens risquent de vous solliciter pour savoir ce qui s'est passé, à commencer par la victime, » commença Takao. « Mais j'apprécierais que vous ne disiez rien à ce sujet, même à Shinohara Hana. »

« Pourquoi ça ? » S'impatienta Shinsuke.

Le jeune Directeur resta silencieux un moment, comme s'il hésitait sur ses prochaines paroles. Il regardait tout autour d'eux, pour s'assurer que les passants étaient suffisamment éloignés pour ne pas les entendre parler, et se rapprocha même un petit peu du Chef de section.

Ce comportement énerva encore plus Shinsuke. Il n'aimait pas quand les gens tournaient autour du pot. Surtout quand il était celui qui restait dans l'attente.

« Directeur Utagawa ? » Le pressa Shinsuke.

« Vous voyez, Mademoiselle Shinohara ne peut pas boire d'alcool, et Kubo Touma l'a fait boire contre son gré et a tenté de l'agresser, » révéla enfin Takao, en chuchotant. « Si je ne m'étais pas interposé je ne sais pas ce qui aurait pu se produire... »

« Attendez.. Quoi ? » Parvint à dire Shinsuke abasourdi par ce qu'il venait d'apprendre.

« Mademoiselle Shinohara n'a fait que se défendre, mais elle est dans l'impossibilité de témoigner,» continua Takao en se penchant vers lui pour éviter qu'on les entende. « Comme elle était ivre, elle ne se souvient de rien. C'est pour ça que nous avons besoin d'au moins deux témoignages pour prendre les mesures qui s'imposent... »

Shinsuke sentit une migraine poindre dans son crâne, et il ressentit le besoin de se masser la tempe gauche avec sa main.

C'était donc ça qui s'était passé hier soir ?

« Non, attendez… Donc, c'est Monsieur Kubo le coupable, et Mademoiselle Shinohara la victime ? » Demanda Shinsuke, en proie à la confusion.

« C'est bien ça... » Confirma Takao.

Soudain, la scène à laquelle il avait assisté la veille apparaissait sous un autre jour aux yeux de Shinsuke, et il sentit une boule se former dans son ventre. Le type qu'il avait plaint et auquel il s'était identifié ces derniers jours était à présent si loin de sa propre personne.

Il pensait vraiment avoir vu la jeune femme agir déplorablement et de façon violente, comme lorsqu'elle l'avait humilié, lui. Il pensait que ce type, bien qu'insupportable, avait été aussi malchanceux que lui, victime du comportement terrible de la jeune femme.

Mais si ce type était en réalité l'agresseur, et elle la victime… Si ce type était un enfoiré sans scrupules…

Alors qu'est-ce que ça faisait de lui, le type qui s'était momentanément laissé aveugler par son égo ?

« Chef Kobayashi ? » Dit Takao.

« Mhh. Quoi ? » Répondit Shinsuke d'un air absent, sorti de ses pensées.

« Vous pourrez… Soutenir Shinohara-san ce lundi, pas vrai ? » Demanda le jeune homme.

« Euh… Ce lundi? »

Le jeune homme prit alors soudainement les mains de Shinsuke dans les siennes, les serrant avec gratitude.

« Merci à vous ! Merci ! » S'exclama Takao avec un regard franc, avant de lâcher les mains de Shinsuke pour partir dans l'autre direction, vers Marline.

Momentanément abasourdi, Shinsuke resta immobile au milieu de la foule qui continuait de se mouvoir tout autour de lui.

Il avait tort, d'accord… Mais qu'est-ce qui venait de se passer, là ?

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