Piège mortel

Le donjon déboisé était fait de grottes spacieuses, ce qui était le cas de la majorité des autres donjons. Cela avait pour effet de faire résonner chaque coup d'épée et chaque impacte ou explosion que nous pouvions produire durant notre activité ici. Du coup, esquiver un groupe était plutôt facile tant que celui-là ne se cachait pas. Et il devenait aussi possible de comprendre ce qui se passait autour de nous juste en tendant l'oreille.

En ce qui nous concernait, nous venions de passer pratiquement une heure à éliminer des crocodiles et récolter leurs peaux sans rencontrer âme qui vive. Les seuls bruits qui nous parvinrent venaient de dessous nos pieds. Visiblement, des gens semblaient se battre à intervalle régulier à l'étage inférieur, ce qui me permettait d'apprécier les sifflements parfois stridents provoqués par les petits trous dont mes camarades m'avaient parlée plus tôt.

Jusque-là, la mission fut assez simple. Les monstres ne nous opposèrent pas beaucoup de résistance, et seul Éric fut très légèrement blessé. Un coup de queue mal placé lui avait fait des égratignures sur le bras. Ce n'était pas grand-chose, mais ça suffisait pour que je teste mes potions !

- (Éric) Attends, tu veux gaspiller une potion pour une blessure qui disparaitra en quelques jours ?

- (moi) En fait, le truc est que ce sont des potions que m'a confiées mon mentor avant de mourir. Le truc, c'est que je ne sais pas si elles sont encore efficaces. Du coup, comme l'occasion se présente…

- (Paul) Attends, t'es en train de nous dire que ton sac est rempli de vielles potions que t'as pas testées ?!

- (moi) Euh… Et bien, mon maitre m'avait certifié qu'elles fonctionnaient sans problème. Mais l'autre jour, j'ai essayé d'en vendre et le repreneur m'a dit qu'avec leur âge, elles avaient peut-être perdu de leur puissance. Du coup, il m'avait proposé un prix très bas pour mon lot, et j'ai préféré tout garder.

- (éric) N'en dis pas plus, je vois le tableau. Vas-y, envoies une potion, on sera vite fixé !

« Ouf ! Bon rattrapage ! »

Paul semblait encore un peu soupçonneux, mais après que son frère lui exposa le fait qu'il ne devrait pas y avoir de risque à prendre une potion de soin, même usagée, alors il laissa faire.

Une fois le produit ingéré, il fallut attendre environ une bonne minute pour en voir les premiers effets. La blessure qu'il avait commença à se refermer doucement jusqu'à finir par disparaitre. J'avais encore un peu de mal à voir à quel niveau cela pouvait correspondre, mais en tout cas, Éric, ainsi que son frère, semblaient satisfaits.

Dans tous les cas, ils avaient l'air de considérer ma potion comme une potion de régénération moyenne, ce qui me donna une meilleure appréciation de mes pouvoirs.

Pour ce qui est des peaux de crocodiles, nous en avions plus que de besoin, histoire d'avoir un peu de réserve s'il fallait remplacer certaines peaux mal découpées par d'autres. Avec cette petite assurance en plus, notre mission était enfin réellement remplie. Il ne nous restait plus qu'à plier bagage et partir d'ici.

Mais, alors que nous réempruntâmes le passage menant vers la partie du donjon où se trouvait la première sortie, quelque chose d'imprévu se retrouva sur notre route. Un soldat se trouvait étendu sur le sol, sans bouger. Il n'y avait pas de monstre visible aux alentours, ni même quoi que ce soit d'autre dans mon champ de perception passive.

Par contre, le soldat, lui, ne m'était pas inconnu. Ses habits étaient ceux que portaient la garde rapprochée du noble que nous avions croisé tout à l'heure. Après, je n'arrivai pas vraiment à reconnaitre son énergie, car je n'y avais pas prêté attention plus que ça. En tout cas, il était clairement en vie, juste assommé je dirais.

Éric commença à avancer tout doucement, faisant attention à ce qui l'entourait. Paul sortit son arc alors que Tom resta impassible, préparant simplement son bouclier. Pour ma part, je m'avançai aussi, derrière Éric, afin de pouvoir lui apporter un soutien rapide si besoin il devait y avoir.

Ma détection passive ne donnait toujours rien, du coup, je me risquais à la détection active.

En augmentant progressivement mon rayon de détection, je constatai qu'il n'y avait rien de particulier dans mon champ de vision. Les cailloux étaient bien des cailloux, le soldat était bien assommé, et il ne semblait pas y avoir de piège caché. Je continuai donc de développer mon sens magique, passant progressivement à travers les murs, tentant de percevoir la moindre anomalie dans le secteur, jusqu'à remarquer enfin quelque chose de bizarre.

Dans le premier embranchement vers la gauche, je sentis quelque chose de particulièrement étrange. Une sorte d'absence totale d'énergie, même latente. Et à ma connaissance, il n'y avait pas beaucoup de possibilités sur la raison de ce phénomène.

- (moi) Éric, stop !

Aussitôt, il s'arrêta et jeta un coup d'œil dans ma direction. Il était plus que jamais sur ses gardes lorsqu'il me demanda :

- (Éric) Un piège ?

- (moi) Plus que ça. Mais d'abord, …

Je n'eus pas le temps de finir ma phrase que la présence qui se tenait dans l'ombre se révéla aux sens de tous. Chacun d'entre nous purent le sentir, d'autant plus qu'il commença lui-même à utiliser ses pouvoirs.

Nous étions en train de nous replier lorsque j'aperçu un sac voler dans notre direction. Ce dernier semblait un peu bizarre. Je pouvais sentir comme des pierres d'énergies y être accrochées, d'autant plus qu'il s'agissait clairement d'un spar-sac ! Me rappelant ce qui s'était passé avec le tout premier que j'avais trouvé, je n'attendis pas qu'il nous arrive dessus pour utiliser ma propre magie.

Je concentrai rapidement toute l'énergie que je pouvais avant de l'envoyer violemment dans le sol. Je fermai ma poigne devant moi, comme si j'attrapais directement la matière, avant de la tirer puissamment vers le haut. Suivant mon geste, un bloc de roche s'érigea devant moi, bloquant momentanément le chemin au projectile nous étant destinés.

Cependant, mon mur était bien petit par rapport à la largeur de la grotte. Le sac s'arrêta peu avant ma petite barrière avant de commencer à le contourner par la droite. Je pouvais facilement constater, à cette distance, que mon adversaire commençait à être un peu loin de nous. Les mouvements du sac étaient lents, ce qui me laissa le temps de prendre de la distance.

Mais on ne pouvait pas laisser ce sac nous suivre comme ça. Et visiblement, un de mes compagnons avait la même idée en tête.

Paul banda son arc avec une flèche qu'il imprégna de sa propre énergie. Il attendit que le sac volant apparaisse dans sa fenêtre de tir, puis il décocha sa flèche. Le projectile fonça tout droit vers le sac et le toucha en plein centre. Cependant, l'impact ne fut pas aussi impressionnant que j'aurai pu le penser. La flèche ne passa pas à travers, et le sac ne fit que tomber par terre.

Cela me laissa le temps de prendre un peu de distance. Cependant, je compris rapidement que ce n'était pas terminé. La flèche qu'avait tirée Paul finit par prendre feux, embrasant le sac avant qu'il ne puisse reprendre son envol. Tout en continuant ma course, j'envoyai à nouveau mon énergie dans le sol, avant de soulever à nouveau un bloc de terre, juste à temps.

Le spar-sac explosa dans une petite détonation, pas spécialement impressionnante. En revanche, la poudre blanche que je vis virevolter autour de moi, m'esquivant grâce à mon mur improvisé, m'inspira bien plus la terreur. Même si je ne savais pas ce que s'était, je savais qu'il s'agissait d'un très mauvais présage !

Tout en courant, je me recréais une défense, une nouvelle fois. Derrière moi, je pouvais le sentir, l'une des pierres qui était avec le Spar-sac. Elle s'activa, crépitant, chauffant, jusqu'à prendre feu. Une petite boule de feu qui se mêla rapidement à toute cette poudre, avant que tout ne s'emballe.

Pour ma part, je continuais à courir, ne daignant pas regarder directement ce qui se trouvait derrière moi. De l'autre côté du grand couloir, Paul ouvrait la marche. Tom, moins rapide, préparait déjà son bouclier pour pouvoir se protéger, et aussi protéger Éric qui arrivait presqu'à son niveau.

De longues, très longues secondes plus tard, alors que je pouvais sentir la poudre commencer doucement à crépiter autour de la pierre magique, tout devint brusquement erratique, flou, intraduisible.

J'entendis une première, puis une deuxième, puis plein d'autres petites explosions de plus en plus intenses. Je n'arrivai plus vraiment à savoir ce qui se passait tant j'avais l'impression que ça partait dans tous les sens. Mais le son, lui, devenait de plus en plus marqué, jusqu'à ce que les claquements répété ne soient plus qu'un brouhaha inaudible. Tout cela se passa en seulement quelques secondes.

Puis, pendant l'espace d'un instant, j'eus l'impression que les explosions s'arrêtèrent, comme un vide. Comme si cette chose inspirait, avant de tout expulser. Je serrais les poings, prête à encaisser ce qui allait arriver.

Enfin, c'est ce que j'aurai voulu. Le bruit, ou plutôt l'onde de choc qui suivi fut si violente que mon souffle fut coupé automatiquement. J'entendis un bruit d'une force incroyable, un 'ploc', puis plus rien. Mais surtout, la violence du choc passa en partie à travers ma défense, me projetant en avant avec elle.

Je réussi néanmoins à garder un semblant d'équilibre. Je posais un genou à terre afin de pouvoir récupérer, sentant une douleur au niveau de la cage thoracique, ainsi qu'un léger engourdissement dans le reste du corps. Cependant, plutôt que me relever, je choisi de m'écraser au sol, avec mon pseudo mur sur moi en guise de protection.

A ce moment précis, une vague de feu me toucha, sans vraiment me faire de grands dégâts grâce à mon affinité. Heureusement, ce déferlement ne fut qu'éphémère, avant d'être remplacé par un appel d'air qui m'arracha ce qui restait de ma protection.

Je me mis à 4 pattes, crachant du sang au passage, et me sentant un peu nauséeuse. Cependant, je feintais d'utiliser ma magie de matière pour me replacer mes organes internes qui avaient été secoués par l'onde de choc. Je ne savais pas vraiment si c'était crédible, mais je n'avais pas vraiment le luxe d'y réfléchir. Au plafond de la grotte, je pouvais sentir comme des sortes de choses se rapprocher rapidement vers nous, ou plutôt tomber en se rapprochant…

J'étais un peu groggy, et il me fallut quelques secondes pour bien comprendre ce qui était en train de se passer. Mais lorsque je saisis la précarité de notre situation, je criais à plein poumon :

- (moi) Le plafond s'effondre !

Éric et Tom ne m'avaient pas attendu pour reprendre leurs courses vers le bout du passage. Quand à Paul, il semblait avoir atteint de justesse un lieu mieux protégé pour s'y cacher.

Je courrais, tout droit, dépassant Éric et Tom. Je vis le plafond être traversé par une large fissure. Il ne nous restait plus que quelques secondes avant de se faire ensevelir.

J'arrivai enfin au bout de la grotte, aux côtés de Paul, avant de me concentrer pour empêcher le plafond de tomber. Bien sûr, j'étais complètement incapable de porter une telle masse, mais si cela pouvait nous faire gagner ne serait-ce qu'une seconde, il fallait essayer.

Le plafond semblait grincer, je pouvais clairement sentir la pression grandissante à mesure que de nouvelles fissures se propageaient sur le plafond et sur les murs. Puis arriva le point où il ne m'était plus possible d'empêcher le tout de s'effondrer.

Le haut du passage tomba d'un seul coup, faisant trembler le sol et soulevant un épais nuage de poussière. Quelques gravas roulèrent jusqu'à mes pieds, quelques nouvelles fissures apparurent sur les murs avant de finir enfin par ne plus être en mesure de se propager. Puis, plus rien, enfin. Tout retomba petit à petit sur cette scène de chaos. Le nuage de poussière laissa petit à petit place à un Éric et un Tom blessés, complètement essoufflés, mais encore en état de se déplacer. Paul s'afféra auprès de son frère, alors qu'il était lui-même couvert d'écorchures au niveau de ses jambes.

Pour ma part, j'étais juste épuisée. Contente que tous cela se soient enfin calmés. Du coup, ma première action fut de prendre l'une de mes potions afin de récupérer un peu. Et puis, ça justifiera la récupération de mon ouïe, dont j'allais avoir rapidement besoin !