Soudain, quelq'un cria le titre du nouvel homme fort de l'armée imperiale.
"Mon Commandant !" beugla-t-il.
Babida se retourna et localisa l'origine du cri. Cela venait du balcon du bâtiment administratif et celui qui le sollicitait n'était personne d'autre que l'aide-de-camp Polo.
À première vue, il n'y avait rien d'alarmant.
Et puis…
"Mon Commandant, c'est oncle Bibi," lui dit ensuite Polo, laissant transparaître une forte inquiétude dans sa voix.
L'élagueur alla à toute vitesse dans l'enceinte de la bâtisse. Il traversa bien encore plus vite la grande salle au rez de chaussée et monta à l'étage.
Son cœur se fendit lorsqu'il vit oncle Bibi grièvement blessé et ayant rejoint le séjour des morts alors que Polo le tenait dans ses bras.
"Nonnnn !" s'écria le bûcheron en levant les yeux vers le ciel.
Il demanda une explication aux ancêtres mais ceux-ci ne lui répondirent jamais.
Et dans ce temps, la belle demoiselle Suzie apparut derrière lui, puis tout doucement, elle réalisa que l'homme inerte qui était couché contre la poitrine de Polo, était son oncle, Bibi.
En état de choc, la jeune femme bouscula instinctivement le commandant en chef des forces impériales, Babida, passa devant lui et se jeta sur le corps inanimé du frère aîné de sa feue mère.
"Oncle, mais pourquoi ?" dit-t-elle en baignant dans les larmes.
L'émotion franchit alors son apogée et laissa Babida sans voix. Il essaya de tirer la jeune femme éplorée, Suzie, hors du balcon mais elle le rejeta violemment.
"Laisse-moi tranquille !" vociféra-t-elle en redoublant le niveau des pleurs.
Polo fit discrètement signe au commandant supérieur de l'armée imperiale de lui laisser prendre les choses en main et de s'éclipser.
Babida fit comme l'aide-de-camp lui suggéra. Il quitta le balcon et alla dans son appartement, à savoir le logis principal pour étrangers du quartier général.
Il s'allongea sur le lit et aussitôt des larmes de tristesse débordèrent des orbites et mouillèrent ses joues.
Il se mit à se ressasser les moments intenses et joyeux qu'il partagea avec le défunt, oncle Bibi,
Son vieux compagnon n'était plus de ce monde et cela faisait la deuxième fois en l'espace de quelque temps seulement qu'il perdait sur le champ de bataille un camarade qui lui était très proche.
L'image du jeune soldat Bodo se faisant tuer quelques semaines auparavant par le coup de bec impitoyable du nouveau monstre de la montagne interdite refit surface et lui causa une double peine.
Il se jura ainsi que jamais encore il ne perdrait plus un être cher sur une zone de combat.
Et puis, si accablé était-il par la fatigue, le sommeil finit par l'emporter.
La jeune demoiselle Suzie pleura toutes les larmes de son corps à la suite de la mort de son très cher oncle et cela, pendant toute la nuit. Elle était tout simplement inconsolable.
L'aide-de-camp Polo fit tout son possible pour l'apaiser mais ces efforts furent vains.
Les sentinelles impériales du quartier général vinrent également tenter de réconforter la jeune femme mais elles ne parvinrent pas non plus.
Elles étaient même incapables de retirer le corps du défunt des mains de Suzie afin de l'amener à la morgue, car la jeune demoiselle ne les laissa pas faire.
Elle serra si fort le cadavre de son oncle contre elle qu'il était difficile de le lui arracher sans brutalité. Et les gardes impériaux craignaient qu'une telle action de leur part provoquât le courroux de leur commandant en chef, Babida.
Alors elles jetèrent l'éponge et laissèrent la jeune demoiselle Suzie tranquillement continuer le deuil.
Dans le même temps, la nouvelle de l'attaque des chauves-souris sauvages à Okundé se répandit sur le reste de l'empire.
Grande mamie qui était dans le chalet à Ékulé, assise comme d'ordinaire sur sa chaise en rotin, avait ses oreilles braquées vers les hauts-parleurs de la radio du salon, et attendait avec un brin de nervosité la prochaine session d'information.
Et puis vint enfin la dépêche relative au combat entre les forces impériales et les mammifères volants.
"Chers auditeurs, votre reporter Raba à l'antenne. Nous avons des informations en provenance du village d'Okundé où une bataille d'une violence inouïe entre nos forces armées et les chauves-souris terrifiantes vient de se terminer. Les bêtes volantes et assoiffées de sang attaquèrent nos hommes en uniforme alors que leur nouveau commandant en chef, Babida le bûcheron, recevait les emblèmes de ses nouvelles fonctions. Fort heureusement, les divinités guidèrent ce dernier jusqu'à la victoire contre l'ennemi. Cependant, les forces impériales comptent aussi dans leurs rangs des victimes dont l'une des plus notables est l'ex-commandant du régiment d'Ékulé, Bibi. Il succomba à la morsure profonde d'une de ces créatures maléfiques d'Edimo, le dieu de ruine…," relata le journaliste.
Grande mamie n'en crut pas ses oreilles qu'elle avait perdu un autre enfant. Elle fit conséquemment un malaise cardiaque. Seule dans le chalet, sans personne pour lui porter secours, cela lui fut finalement fatal.
Son cœur se rompit et elle tomba de sa chaise en rotin avant d'entamer son dernier voyage dans le séjour des morts.