Je pose mon sac au sol et me regarde dans la glace de l'entrée de mon appartement. Je passe ma main sur mon visage en soupirant.
« Toujours aussi éprouvant… »
Une fois encore je me pose la même question : « Pourquoi ? ». C'est toujours la même chose à chaque visite. Toujours les mêmes plaintes à sens unique, toujours la même culpabilisation, toujours la même finalité et, soyons honnête, la même naïveté de ma part. Une fois l'argent récupéré, c'est la même façon de me faire comprendre qu'ils ont des choses à faire et que je dérange. Mais malgré cela, je reviens sans cesse, je donne et je souffre en silence. J'attends quelque chose qui n'arrivera jamais, parce qu'ils sont incapables de me la donner. Je devrais arrêter… Oui… Je devrais. Je fais un sourire amer à mon reflet. Il semble s'amuser de mes pitoyables résolutions. Il sait que je ne les tiendrai pas. Je suis pitoyable.
J'ouvre mon frigo et sors une salade préparée. Je l'avais achetée, juste au cas où, pensant que, peut-être cette fois, je serai autorisée à partager leur dîner. La salade est amère et les tomates ont du mal à passer. A peine entamée, je la remets au frigo et me dirige vers mon bureau. Je sors le casque de réalité virtuelle de sa boîte, m'installe dans le fauteuil et me connecte à mon exutoire préféré : Manga online. Je décide de laisser le jeu choisir un univers au hasard. Je regrette immédiatement quand je vois apparaître le logo de Fairy Tail.
J'adore ce manga, mais honnêtement, j'ai tout sauf envie de voir des gens s'entraider par esprit de solidarité : je veux tabasser du mob, me défouler. J'ai déjà vu le manga dans la liste de jeu, mais l'ai mis de côté en me disant que cela ferait trop mal de s'immerger dans ce monde. J'aurais trop peur de m'y plaire. Au lieu de l'habituel menu de choix du personnage, je vois la barre de chargement. J'imagine que le jeu va choisir également le personnage que j'incarnerai.
Lorsque le chargement se termine, j'ai une clef argentée face à moi : « Vous la prenez donc ? Cela fera 20 000 joyaux ! »
Je regarde la clef dans la boîte. Je sens l'énergie qui s'en dégage et qui m'attire. J'ai compris qui j'étais : Lucy Heartfilia. Au moins, je ne serais pas dépaysée niveau famille toxique. D'ailleurs, Lucy est en fuite actuellement. Pourquoi dépenserait-elle 20 000 joyaux pour cette clef sans importance. Cette constellation n'est qu'une compagnie plus ou moins agréable sans pouvoir offensif ou défensif.
Mais à la réflexion, ce dont manque le plus Lucy actuellement, c'est d'affection. Je sais que l'esprit du chien sera important bien plus tard dans la série, mais je n'ai pas le temps de penser si je peux m'en passer. Le marchand a l'air de s'impatienter et Lucy avait bien assez d'argent pour payer la clef, un repas et un logement… Donc pour l'instant je vais suivre le scénario.
Je sais que faire du charme à l'homme qui tend la main me permettra de gagner 1000 joyaux si je joue les ingénues. Sauf que je ne suis pas un ange et l'innocence ne fait plus partie de mes qualificatifs depuis un paquet de temps. D'ailleurs, quand je jette un regard sur ma tenue, j'ai peine à croire que la protagoniste soit suffisamment naïve pour croire qu'elle ne va pas attirer l'attention.
Bon sang ! Quand on est en fuite, on essaye de se vêtir sobrement ou avec des vêtements passe-partout. Doucement Ondine ! N'oublions pas qu'elle a 16 ans. Je vois l'homme lorgner mon décolleté, mais 1 000 joyaux reste une petite somme, alors je rentre dans son jeu. Je lui souris de toutes mes dents et dégage négligemment mes cheveux de ma nuque, puis cherche ma bourse. Je grimace et soupire :
« Zut, je ne vais pas avoir assez … Pour 1 000 joyaux, c'est dommage ! D'autant que je quitte la ville ce soir…
Si ce n'est que cela, je vous fais grâce de ces 1 000 joyaux. Vous feriez ça, je dis en papillonnant des cils. Ce n'est pas tous les jours qu'une constellationniste passe par la ville d' Haru-Jion (Hargeon dans l'animé). Je ne sais pas quand l'esprit du Chien trouvera un nouveau maître. Eh bien merci pour la ristourne, je réponds en tendant plusieurs pierres de valeurs différentes. »
Etrangement, je sais reconnaître leur valeur, comme si je possédais la mémoire de Lucy. Je balaie cette idée ridicule, comment un jeu pourrait avoir la capacité de modifier notre mémoire. Je quitte plus légère de 19 000 joyaux la boutique et me dirige vers le centre de la ville pour me trouver à manger. Je vois un attroupement devant moi. Des jeunes filles en chaleur se pavanent devant un Don Juan au sourire tordu portant une cape à l'allure ostentatoire.
« Elles sont ensorcelées ma parole, je murmure. »
J'ai toujours trouvé désolant de voir une personne se rabaisser devant une autre pour avoir son attention, probablement parce que je ne supporte pas mon propre comportement envers ma famille. Les cordonniers sont les plus mal chaussés, comme on dit. Toujours est-il que je me sens dégoutée par le triste spectacle offert par ces jeunes filles. J'allais me détourner quand j'entends un cri derrière moi. Je vois un jeune homme aux cheveux roses, habillé d'un gilet ouvert sur le devant et d'un sarouel se précipiter sur l'homme. Un chat bleu avec des ailes le suit de près : Natsu et Happy entrent en scène.
Je regarde d'un œil neuf la scène devant moi : il s'agit probablement de Bora, un sorcier exclu de sa guilde, qui emprunte le surnom de Natsu. Si ma mémoire est exacte, il utilise un artefact magique lui permettant d'utiliser un sort de séduction. Ce sort est interdit depuis des années. Normalement, Lucy aurait dû être envoutée par l'homme, mais pour une raison quelqu'onque, cela n'a pas marché sur moi. J'étais peut-être trop loin pour être affectée.
Si c'est le cas, alors Natsu va s'attirer rapidement l'hostilité des foules, comme il en a le secret. Effectivement, lorsqu'il se trouve à portée de voix du mystificateur, il le hèle :
« Ignir ! Ignir ! »
Il bouscule plusieurs filles qui se fâchent en le regardant d'un air mauvais. Lorsque Bora affirme être la Salamandre, Natsu soupire et perd de son intérêt pour lui. Au moment où il se détourne, fusillé des yeux par les jeunes filles attroupées, Bora lui propose un autographe, qu'il refuse directement. Aussitôt, l'homme invite toutes les jeunes filles autours de lui à une fête sur son bateau, le soir. Ça sent le piège à plein nez, mais elles acceptent toutes. Je n'en reviens pas de leur naïveté.
Je décide que je peux me passer de l'épisode du bateau, mais il faut que je trouve un moyen pour engager la conversation avec Natsu et Happy. Je me rapproche d'eux et leur dit :
« Bonjour.
Bonjour répond distraitement Natsu, en grimaçant, l'air déçu. J'ai entendu ce vous disiez à cet homme. Comment vous savez qu'il n'est pas la Salamandre ? Pfff … il n'a rien d'un dragon de feu ! Vous cherchez un dragon ? Genre un vrai ? Oui, sourit tristement Happy, mais on a encore fait chou blanc… Tout ce trajet en train pour rien… M'en parle pas, râle Natsu, j'ai déjà la nausée rien d'y penser. »
Je saute sur l'occasion :
« J'ai un remède pour la nausée : un bon repas ! Je vous invite ? Je propose. »
Les yeux des deux goinfres s'illuminent. Je savais que j'allais toucher dans le mille en parlant de nourriture. Reste maintenant à ne pas avoir la nausée moi-même en les regardant s'empiffrer. Nous nous dirigeons vers une brasserie qui propose divers plats. A peine assis que mes deux nouvelles connaissances commandent l'entièreté de la carte avec des yeux carnassiers. J'ai envie de faire un régime, juste en les regardant enchainer les plats.
« Vous avez l'air de vous y connaitre en dragon, je commente en attrapant une aile de poulet.
Natsu a été élevé par un dragon nommé Ignir, explique Happy. Oh, je vois ! Mais vous vous êtes séparés ? Un jour, il avait disparu, répond Natsu la bouche pleine. Mais je suis sûre que je vais réussir à le retrouver. En tout cas, ce n'est pas ce sale type, je déclare. Il se prétend de Fairy Tail, mais il utilise un artefact interdit. Quoi ?! s'exclament Natsu et Happy en même temps. Je ne pense pas que cela soit le genre de Fairy Tail de tromper les jeunes filles comme cela. Je suis sûre que son invitation sur le bateau était louche. Ce mec prétend faire partie de Fairy Tail ? demande Natsu, passablement énervé. Oui ! je confirme en avalant ma bouchée. On va lui toucher deux mots, grogne le mage aux cheveux rose.»
Je sens une intense chaleur émanée de lui. Je le regarde, stupéfaite, puis me rappelle qu'il ne supporte pas que l'on insulte ou traite mal la guilde qui l'a accueilli. Je décide d'essayer de le calmer.
« Mais dis-moi, tu as l'air de bien connaître Fairy Tail. J'aimerai beaucoup la rejoindre. Depuis que je suis petite, c'est mon rêve. Je suis une mage vous savez !
Natsu aussi, affirme fièrement Happy. C'est le meilleur mage de feu du royaume de Fiore. Vraiment ? je réponds en feignant l'ignorance. »
Je jette un regard sur Natsu, mais il ne semble toujours pas décolérer. Je commence à m'inquiéter. Il ne faudrait pas qu'il mette le feu au restaurant. Je l'interroge alors sur son énervement. Il me répond alors que l'homme ne fait pas partie de la guilde. Lorsque je lui demande comment il le sait, il me répond qu'il en fait partie. Je lui propose alors de l'aider à démasquer l'homme, ce qu'il accepte aussitôt d'un ton joyeux.
Heureusement la température a aussitôt chuté, pour le plus grand soulagement de nos voisins de table. La température qu'il dégage est donc étroitement liée à son humeur… Note à moi-même : ne jamais le mettre en colère dans mon futur appartement ou sur un lieu de mission, si je peux l'éviter. Je me demande si je peux utiliser un artéfact faisant apparaître un seau d'eau au cas où et puis je pouffe. En fait, j'ai bien un seau d'eau à disposition, mais il semble être grincheux envers la personne que j'incarne. La prochaine étape va donc être d'amadouer mon plus puissant esprit : Aquarius…
Après avoir payé la somme astronomique du repas, c'est la bourse vide, mais le ventre plein, que nous nous dirigeons vers le port afin d'élaborer une stratégie. Moi qui ne voulais pas m'embarrasser de cette histoire de bateau… Voyons le bon côté des choses, on va neutraliser un dangereux mage. C'est avec un optimisme surprenant de ma part et une détermination à toute épreuve de mes compagnons en embuscade, que j'embarque à bord du navire des trafiquants.
« A l'abordage ! je murmure à moi-même »