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Chapitre 30 - Filature

« Je n'en peux plus. » souffla-t-elle, marchant lentement en direction du manoir. 

Elle était exténuée après sa petite escapade au village, qui ne l'avait finalement menée nulle part. Elle n'avait rien appris de plus qu'avant, si ce n'était la composition de son traitement, qui ne lui servait finalement pas à grand-chose. Contrairement à ce qu'elle avait imaginé, elle n'avait rien apprit d'utile, qui lui permettrait de percer les secrets de la famille. 

Alors même qu'elle s'était mise en danger pour cela...

'Quel gâchis.'

Dire qu'elle avait en plus de cela faillit être prise à commérer par Médicis... 

Elle n'était pas passée loin de la catastrophe. Elle n'était pas certaine que l'herboriste la dénonce, s'il la surprenait, mais elle ne pouvait pas prendre le risque. Il y avait bien trop en jeu dans cette histoire. 

'Des emplois et des vies.' 

Elle avait passé pas mal de temps au village et il lui fallait à présent rentrer, pour reprendre son service. Elle ne savait pas exactement combien de temps elle était restée là-bas, mais elle espérait que son absence ne fut pas assez longue pour alerter la maisonnée de ses « activités annexes ». 

Personne ne devait savoir qu'elle continuait à fouiner, même pas Elvan. 

'Surtout pas Elvan.'

Il était déjà inquiet sans tout cela. Elle imaginait donc sans mal la réaction qu'il aurait s'il apprenait qu'elle prenait ce genre de risques, pour déterrer les secrets du manoir et de la famille. 

Elle avait toute confiance en lui et en sa discrétion, mais elle ne voulait pas l'angoisser plus que nécessaire. 

'Il l'est déjà bien assez.'

Elle se rappela soudainement de son expression peinée, en l'entendant insister sur le fait de se rendre seule au village et elle resserra son écharpe autour d'elle.

Elle s'engouffra sur le chemin gravelé, jetant un regard à l'entrée du manoir, qu'elle apercevait de là où elle se trouvait. 

Elle se demanda brièvement si Elvan ou quiconque allait l'attendre sur le pas de la porte en lui demandant ce qu'elle pouvait bien faire dehors pendant si longtemps, mais elle ne vit personne. Et heureusement. Elle était seule et personne n'avait l'air de réaliser qu'elle était absente bien plus longtemps que prévu. 

'Ils doivent être occupés.'

Elle n'allait pas s'en plaindre, puisqu'elle n'avait aucune envie de s'expliquer sur son escapade de la journée. Elle ne voulait pas se trouver dans la même situation qu'avec Wrath ou Lust, à subir la colère et la suspicion de ses maîtres, qui la menaçaient des pires horreurs. 

Elle se rappela du ton du patriarche et frissonna. 

'Il est terrifiant.'

Bien plus que les autres membres de la famille. Lust était certes inquiétant et sa présence lui donnait l'impression qu'il allait lui faire du mal, mais la peur qu'elle ressentait face au chef de famille était toute autre. C'était une terreur viscérale, qui la prenait aux tripes et la secouait toute entière. 

Comme l'expérience d'une mort imminente.

Comme si sa vie pouvait toucher à sa fin chaque fois qu'elle croisait sa route, ou simplement son regard. 

Il était le monstre dont tous les enfants avaient peur, celui qui était caché sous les lits et les emportaient s'il les attrapait. 

Elle réalisait enfin à quel point il était redoutable et terrifiant. Elle travaillait ici depuis longtemps, mais elle n'avait jamais croisé autant le patriarche que ces derniers jours. Elle n'avait pour ainsi dire jamais été seule avec lui avant. La fois dans son bureau avait été la première. 

Elle espérait ne jamais avoir à revivre cela. 

Tandis qu'elle marchait le long de l'allée, le vent souffla et les branches du grand saule craquèrent, comme le bruit d'os qui se briseraient. Avec la nuit tombante, le manoir avait une atmosphère particulièrement lugubre. A la lumière qui s'échappait des fenêtres, elle vit que les employés avaient déjà allumés les bougies.

'Ils n'ont pas perdus de temps.' 

Il fallait qu'elle se hâte de rentrer, car elle n'aimait pas vraiment se trouver dehors à la nuit tombée. Elle n'était pas nécessairement effrayée par l'obscurité, mais elle ne se sentait pas particulièrement à l'aise dans le noir pour autant, sans savoir si quelqu'un était tapis quelque part dans la pénombre, à l'observer. 

Aussi pressa-t-elle le pas, sans faire cas des petits craquements qu'elle percevait autour et qu'elle attribua au vent dans les branches. 

Aina était du genre à avoir l'imagination débordante. 

'Malheureusement.'

Elle s'approchait de plus en plus de la maison, où tous les étages étaient illuminés, sauf le second et c'est sur celui-ci que son regard s'arrêta. 

Dès l'instant où ses yeux s'y accrochèrent, son sang ne fit qu'un tour et son corps se figea, l'arrêtant dans son sillage. A l'étage, juste derrière les rideaux se trouvait une masse noire, qui parût d'abord informe à Aina, avant que la lumière de la lune ne l'éclaire. 

'Une silhouette.'

Elle la reconnut. Cela était celle qui était presque toujours là chaque fois qu'elle quittait le manoir, même si elle n'était d'habitude pas à cet endroit. Sa présence était si fréquente que la jeune domestique avait fini par croire que quelqu'un avait simplement installé une statue à cet endroit, pour décorer la pièce ou simplement pour effrayer quiconque s'approcherait de la demeure. 

Pourtant, le fait que celle-ci se trouvait à un endroit différent pouvait contredire cette théorie. Il aurait pu être possible que mademoiselle Void, qui occupait le deuxième étage, eut demandé aux domestiques du manoir de déplacer l'objet, mais cela semblait peu probable. Les habitants de la maison étaient plutôt du genre à conserver les lieux en l'état, plutôt que de renouveler le mobilier et la décoration. 

Aussi pencha-t-elle pour la seconde option, même si celle-ci n'avait aucun sens.

Celle d'une personne.

Une personne qui – elle le réalisait maintenant – serait là, derrière la fenêtre, à l'observer en permanence depuis plusieurs années. 

L'idée l'horrifia et lui parût particulièrement improbable, mais elle ne trouva pas d'autre explication. 

Une question lui vint alors.

'Pourquoi ?' 

Pourquoi quelqu'un aurait-il ce genre de comportement ? Quel intérêt cette personne aurait-elle à fixer ainsi une simple domestique, sans jamais lui faire le moindre signe, ou lui adresser la parole ?

Tout cela n'avait pas de sens. 

Si, comme elle le pensait, cette personne lui voulait quelque chose, pourquoi ne venait-elle pas la trouver ? Pourquoi demeurait-elle ainsi, sans jamais se révéler à elle ? Et puis une idée lui vint. Elle était si soudaine et presque évidente, qu'elle se demanda pourquoi elle n'y avait pas pensé avant. 

'Peut-être ne le peut-elle pas ?'

Peut-être cette personne était-elle, elle aussi contrainte au silence. Peut-être savait-elle ce qu'il se passait depuis le début, sans jamais pouvoir le dire clairement. 

Les mots... Les petits papiers laissés devant sa porte... 

Peut-être venaient-ils de cette personne ? 

Elle n'avait aucune certitude et tout ceci n'étaient que des hypothèses tirées par les cheveux et sans fondement, mais elle eut, pour la première fois, l'impression d'entrevoir le début d'une réponse à ses questions. 

Machinalement, elle leva la main, comme pour lui faire signe et sursauta presque lorsque la silhouette – elle le savait à présent – disparue dans le fond de la pièce. 

'Il y a bien quelqu'un...'

Elle n'avait pas rêvé. 

Mais qui ? Qui était-ce ? 

Un servant ? Un membre de la famille ? Ou bien une toute autre personne, supposément étrangère au manoir ?

Elle n'en savait rien, mais ce dont elle était certaine était qu'il fallait qu'elle parle à cette personne, car elle avait la conviction que celle-ci avait quelque chose à lui dire. Quelque chose d'important. 

Aussi reprit-elle sa course pour s'engouffrer dans la maison, dont le rez-de-chaussée était désert. Il n'y avait personne, mais cela n'était pas étrange vu l'heure. 

La plupart des servants devaient être en pause, où occupés en cuisine, aussi eut-elle le loisir de grimper les escaliers menant à l'étage, sans être inquiétée par l'arrivée incongrue d'un membre du personnel. 

Malgré tout elle monta prudemment, une marche après l'autre et en tendant l'oreille, à l'affut.

'Cela ne coûte rien d'être prudente.'

Et à juste titre, puisqu'elle entendit un craquement non loin d'elle, qui la poussa à se glisser derrière une porte ouverte, à l'abri des regards. Le parquet grinça et des bruits de pas s'en suivirent, qui s'approchaient de là où elle se trouvait. 

Elle les entendit ralentir à côté d'elle, comme si la personne qui marchait là allait s'arrêter et elle crut, l'espace d'un instant, être découverte. Pourtant ceux-ci reprirent et Aina put voir, de là où elle se trouvait, une silhouette bien familière se glisser dans les escaliers menant au deuxième étage. 

'Elvan.' 

Maintenant qu'elle y pensait, elle se rappelait qu'il était le seul à se rendre là-haut. Personne n'allait jamais au deuxième étage à part lui. 

A cet instant elle savait qu'elle aurait dû faire demi-tour et ne pas prendre de risque inutile, mais elle ne parvint pas à réprimer sa curiosité et se glissa, avant de s'en rendre compte à sa suite. 

Elle marcha derrière lui, en prenant garde de se tenir assez loin pour qu'il ne s'en rende pas compte. Sa petite filature improvisée ne dura que peu de temps, puisqu'il s'arrêta devant une porte, la seule porte de l'étage pour ainsi dire. 

Aina se glissa derrière une petite commode, accroupie et réalisant que si d'aventure Elvan tournait la tête dans sa direction, il la découvrirait forcément. 

Pourtant elle ne bougea pas, se contentant de le regarder tandis qu'il frappait à la porte, dépoussiérant son costume avec un sourire comme s'il se faisait beau pour un rendez-vous. Il ne fallut que quelques secondes à la porte pour s'ouvrir. Elle ne vit pas l'intérieur de la pièce, mais distingua tout de même la lumière qui perçait de l'entrebâillement. 

« Void. » entendit-elle Elvan prononcer, avant que la porte s'ouvre un peu plus et qu'il s'engouffre dans la pièce.

Elle ne croyait pas avoir entendu la voix de mademoiselle lui répondre, avant que la porte se referme et qu'il disparaisse à l'intérieur. Par sécurité, elle attendit quelques secondes dans l'obscurité, avant de sortir de sa cachette, pour scruter l'endroit où son ami se tenait. 

Il l'avait appelé Void, comme s'il était proche d'elle, ce qui était étrange, vu la personnalité et la rigueur d'Elvan. Mais peut-être était-ce différent avec elle, parce qu'il était son seul contact avec l'extérieur ? Elle n'aurait pu le dire. 

Elle scruta les alentours et ne vit rien d'autre que ce qui était à priori la chambre de Void. Cela voulait donc dire que la personne qui se tenait face à la fenêtre, ne pouvait venir de nulle part ailleurs que de cette pièce. Mais alors qui était-ce ? 

Qui pouvait se trouver là, il y a quelques minutes, sans qu'elle puisse croiser sa route ?

Une fois de plus, elle n'obtenait aucune réponse, comme si une force supérieure était à l'œuvre pour l'empêcher d'en savoir plus. Elle se demanda soudainement ce dont Elvan et Void pouvaient bien parler et se trouva tout à coup prise d'une forte envie de s'approcher pour en savoir plus. 

Elle fit quelque pas en direction de la porte et se stoppa dans sa course, lorsqu'elle entendit une voix.

« Aina ? » 

Elle sursauta, retenant un cri de terreur et découvrit un visage familier, qui la fixait étrangement. 

« Jeune maître Fear. »

 

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