1 Prologue

"Rien qu'une larme dans tes yeux"

1 an et demi plus tôt environ …

C'était sa 4e année passée dans ce pensionnat et pourtant, c'était la première fois que de si grandes festivités étaient organisées pendant l'année. Il y avait bien la semaine d'intégration et le souper de fin d'année, mais le reste de l'année, les élèves étaient priés de travailler au lieu de penser à fanfaronner. Pourtant, cette année, la directrice avait décrété qu'un bal serait organisé.

Une semaine avant la soirée, les élèves pourraient sortir pour faire des achats. Durant une soirée, la préoccupation serait loin des cahiers, des leçons et des devoirs.

La journée de sortie pour faire les boutiques était bien vite arrivée et Hélène avait choisi d'y aller avec une amie. Elles avaient toutes les deux de grands projets.

« J'aimerais tellement trouver une robe assez originale quand même ! Il ne s'agirait pas de me fondre dans la masse. »

Hellen ria devant le ton précieux que son amie avait pris. Il est vrai que Emily n'était pas une adolescente qui avait l'habitude de passer inaperçue. Même en portant le strict uniforme de l'école, elle trouvait toujours un moyen pour se démarquer. Un jour, elle était même revenue de vacances avec la pointe de ces cheveux dans des tons arc en ciel.

En parcourant la rue, elles virent les autres élèves du pensionnat se précipiter dans les premières boutiques disponibles. Elles optèrent cependant pour une stratégie différente : trouver la boutique la plus lointaine et la moins prisée. Cette technique leur faisait perdre un peu de temps au début, certes. Pendant que les autres parcourraient déjà les rayons, elles n'étaient pas encore entrées. Mais cela pouvait être une technique payante sur le long terme. Effectivement, en entrant dans une boutique plus éloignée, elles éviteraient la foule et elles avaient plus de chance de trouver leur bonheur. Et pourquoi pas, des robes originales que personne d'autre n'aurait.

Elles finirent par trouver leur bonheur tout au bout de la rue. Les élèves ne les avaient pas suivies jusqu'ici et il semblait même que peu de personnes n'étaient venues ici. Devant la vitrine, elles doutèrent de leur stratégie. Et pour cause : la devanture n'avait clairement pas été changée depuis plusieurs mois, voire années. Mais, elle semblait propre, ce qui les rassura quelque peu.

En entrant, un vieil homme les accueillit.

« Bonjour mesdemoiselles. Je m'appelle David. N'hésitez pas à m'appeler si vous avez la moindre question.

-Bonjour monsieur. En fait, nous cherchons chacune une robe pour un bal à l'école.

-Je dois avoir des dizaines et des dizaines de robes. Avez-vous un style particulier ou une couleur que vous affectionnez ?

-J'aimerais une robe complètement folle dingue, super décalée !

-Moi, je suis assez curieuse. Je suis ouverte à tout.

-Très bien, je crois que dans le registre « décalé », j'ai quelque chose qui fera le bonheur de mademoiselle. »

David accompagna les filles jusqu'à un coin de la boutique. C'était un homme assez âgé, il devait avoir une septantaine d'années si pas plus. Il était un peu vouté, mais ne semblait pas avoir de difficultés pour se déplacer cependant.

« J'en ai plusieurs, mais celle-ci est l'une de mes préférées, même si ce n'est pas l'avis de tout le monde.

-C'est celle-là que je veux !

-Emy, tu ne la même pas encore vue, attends un peu, non ?

-Une robe décalée que tout le monde ne trouve pas à son goût ? Mais c'est ma robe ça !

-N'oublie pas que tu dois quand même pouvoir rentrer dans la salle de bal.

-Mais ne t'inquiète pas avec ça. »

L'homme revint avec une robe encore dans son emballage. On en distinguait uniquement la couleur pour le moment : un noir aux reflets argentés par endroits. Il la sortit pour l'accrocher en haut du miroir afin que les jeunes filles puissent la détailler.

La robe était entièrement noire. Le bustier en une matière inconnue, semblable à du cuire, se lassait dans le dos comme un corset. Pour le jupon, il était en tulle. Il avait l'air plus court sur le devant, arrivant un peu en haut des genoux, l'arrière, beaucoup plus long, formait certainement une traîne. C'était sur le jupon que l'on voyait des reflets argentés, comme si par endroit, on avait cousu des paillettes.

Elles restèrent sans voix devant cette tenue qui, il est vrai, correspondait en tous points à Emily.

« Si vous voulez, j'ai d'autres robes que je peux vous montrer.

-Non, ça ne sera pas nécessaire, merci. A combien est-elle ?

-Elle est à 100 euros.

-Je vous la prend.

-Emy, tu n'avais pas dit que tu voulais acheter des bijoux ?

-Je dépasserai un peu, ce n'est pas grave. Mais je veux cette robe.

-Bien, à vous maintenant mademoiselle. »

Elle parcourra avec l'homme et son amie les tringles où un nombre incalculable de robes étaient rangées. Elle commençait à désespérer de trouver la tenue parfaite lorsque David lui proposa une robe qui l'��tonna : une longue robe rouge assez simple.

« Je sais que c'est une robe assez simple. Mais je trouve qu'elle vous ressemble, si je peux me permettre. Simple, mais pétillante et raffinée.

-Merci beaucoup, Monsieur. »

Elle observa la robe d'un peu plus prêt. Le haut était tout en dentelle rouge, avec des manches qui habillaient le haut du bras et un décolleté en V. L'arrière s'attachait avec de nombreux petits boutons, recouvert également de dentelle. Le jupon était fait d'un tissu toujours de la même couleur qui semblait très léger.

« Effectivement, c'est exactement ce qu'il me fallait je pense.

-Elle est absolument parfaite, Hell. Tu seras diaboliquement belle là-dedans ! »

Elle avait eu un petit sourire, riant à son propre jeu de mot. Puis, les jeunes filles regardèrent ce que la boutique pouvait proposer d'autre pendant que David emmenait les robes jusqu��au comptoir.

Emily prit en plus de sa robe un collier et un bracelet en chaine argentée et Hellen choisit une paire d'escarpin dorés.

« Alors, combien nous devons-nous ?

-Alors, une robe, un collier et un bracelet, ça vous fera 100 euros ?

-Mais, vous aviez déjà dit ce prix pour la robe.

-Et maintenant, je vous dis que c'est le prix pour l'ensemble.

-Merci monsieur.

-Et vous mademoiselle, la robe et les chaussures, ça fera 100 euros également.

-Merci monsieur.

-Tout le plaisir est pour moi.

-En tout cas, votre boutique est une mine d'or !

-Si vous y avez trouvé votre bonheur, c'est le plus important. »

Elles repartirent, le sourire aux lèvres, heureuses de leurs trouvailles qui allaient se remarquer dans la foule, sans la moindre hésitation.

La soirée arriva très rapidement et les deux jeunes filles firent effectivement sensation. L'une, pour son choix de robe original, l'autre pour la couleur perçante qui attirait l'attention au milieu des autres robes dans des tons rose poudré.

Elles dansèrent à n'en plus finir. Hellen avait même été invitée par un gar��on plus âgé, s'attirant les foudres de nombreuses camarades. Elle qui était timide et introvertie n'avait pas l'habitude d'être la source de l'attention, encore moins pour recevoir des compliments ou danser. Mais elle décida néanmoins de profiter de ce que cette soirée avait à offrir. Juste le temps d'une soirée, elle tournoyait au centre de la piste, rougissante par moment.

Malheureusement, bien vite, la soirée va dégénérer. Ce qui au départ était des uniquement des regards aigris c'était transformé en paroles acerbes et blessantes. Au fur et à mesure, des larmes perlaient au coin de ces yeux, au départ discrètes, elles se firent de plus en plus voyantes. Si bien que la jeune fille décida de s'éclipser, déambulant au hasard dans les couloirs.

Sa si merveilleuse soirée venait de voler en éclat, d'être réduite à néant.

Elle avait retiré ses escarpins, désirant uniquement mettre le plus de distance possible entre elle et ces personnes. Oscillant entre la rage et la tristesse, elle avançait sans s'arrêter, les vieilles pierres lui écorchant par moment les pieds.

Il devait être passé une heure du matin lorsqu'elle arrêta finalement sa course. Elle trouva refuge sur le rebord d'une fenêtre, dans une alcôve. Les pierres étaient assez larges pour qu'elle puisse s'y asseoir et allonger ses jambes. Elle pensa un instant à Emily qui avait dû se demander où elle était. Elle avait certainement cru la retrouver là-bas et avait retrouvé leur chambre vide. Sauf que maintenant, le couvre-feu était déjà passé, impossible pour elle de sortir.

Elle se laissa border par les bruits du bâtiment : les gouttes qui tombent contre la pierre, le sifflement du vent qui se faufile, les pas et les voix au loin. Déjà fatiguée, elle ne mit que quelques minutes pour tomber endormie. Dans son sommeil, certains bruits lui parvenaient toujours mais sans pour autant la perturber. Elle était entre le sommeil et l'inconscient, comme perdue dans une douce brume.

Elle ne remarqua pas les pas qui se rapprochaient. Son cerveau les percevait, mais sans pouvoir interpréter le message que ce son apportait. Elle entendait un bruit. Sans pour autant identifier des pas, et encore moins, ceux de son professeur.

Lui, cependant, ne put l'éviter. Blottie de la sorte dans l'alcôve, toujours dans sa robe rouge sang, elle ne passait pas inaperçue au milieu du décor sombre du pensionnat de pierre dans la nuit.

Passablement énervé par une collègue, plus tôt dans la soirée, tout ressentiment sembla s'évanouir en loin soudainement. Il regardait son élève sans ressentir de colère, ou même aucune autre émotion. Il ne remarqua qu'une seule chose : la larme au bord de ses cils. Elle ne tarda pas à dévaler sa joue, et il ne put faire autre chose que la regarder faire son chemin sur la peau juvénile. Il avait le regard vers cette jeune fille, son élève, mais ses pensées étaient ailleurs.

Il n'entendit pas la directrice arriver dans son dos. Il sursauta d'ailleurs lorsqu'elle posa sa main sur son épaule.

« Kenneth ? Tout va bien ?

-Aucun problème. Voilà certainement l'élève qui manquait dans sa chambre.

-Effectivement, Mademoiselle Emily m'avait prévenue.

-Je vais la réveiller.

-Non. A ce que j'ai cru comprendre, ce bal n'a pas été des plus réjouissants pour elle. Laissons-la profiter du bonheur des songes. Aidez-moi, en la portant jusqu'à sa chambre. »

Il obéit, sans pour autant refouler une moue d'énervement. Était-il vraiment énervé ? Même lui n'en était pas certain.

Ses gestes furent pourtant très doux, bien plus doux que ce qu'ils auraient été d'habitude, et il n'en compris pas la raison. Il passa un bras sous ses genoux et un dans son dos. Il la souleva délicatement, la tête de la jeune fille venant reposer contre son torse, le regard tourn�� vers son veston, même si ses yeux étaient toujours clos.

Toujours perdue dans la brume que lui offrait ce demi-sommeil, elle sentit une chaleur l'entourer, accompagnée d'une odeur d��licate et complexe. Elle se blottit un peu plus contre cette chaleur, y trouvant du réconfort et un apaisement. Elle soupira doucement, s'imprégnant un peu plus de cette odeur qui ne lui était pas inconnue.

Heureusement, sa chambre n'était finalement pas très loin. Mais même après quatre années dans le pensionnat, il y a des chemins qui sont encore inconnus. Les professeurs, eux, en connaissent en revanche les moindres recoins, ce qui est primordial pour se déplacer rapidement et anticiper les potentielles bêtises des élèves.

Emily accueillit son amie qui s'était réveillée il y a à peine quelques minutes. Elle ne se posa pas plus de question pour ce soir, la voyant fatiguée. Les professeurs leur souhaitèrent donc une bonne nuit et plus personne ne parla de cette soirée.

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