1 Problème persistant.

Un homme, ça ne porte pas de maquillage et ça ne sent pas la crème pour mains à la camomille, ni même la lotion hydratante à la lavande.

Du moins, pas dans mon milieu professionnel.

Ce qui expliquait très probablement et à ma plus grande détresse le comportement de ma cible actuelle.

Pour une raison qui m'échappait jusqu'à présent, le regard terrifié de l'homme que je tenais en joue ne cessait de faire des allers et retours entre mon visage et ma main droite qui tenait le revolver, un air confus traversant son visage abîmé et plein de sang.

J'avais déjà réussi à l'isoler dans le vieil immeuble où nous nous trouvions, et face à sa résistance, j'avais dû le frapper plusieurs fois au visage pour le déstabiliser et le neutraliser. Quelques coups de poing bien placés pouvaient mettre hors jeu une personne pendant quelques minutes à quelques heures, s'ils étaient bien dirigés. Voire même le tuer.

Néanmoins, le jeune homme à présent livide qui tremblait assis sur le sol n'était pas une cible à abattre.

Cette fois, ce n'était qu'un simple avertissement. Un cas classique de désobéissance d'un ordre donné par un supérieur, qui avait demandé un recadrage en règle du malheureux en question.

Une ou deux phalanges cassées pouvaient faire l'affaire, mais étant donné les coups de poings qu'il s'était pris sur le visage, il me semblait que le message était déjà passé.

Je ne le visais que pour contrôler son comportement, et pas pour le tuer ; mais ça, il ne le savait pas, bien entendu. Il devait certainement penser que j'allais tirer et le tuer.

C'était un peu stupide de penser que j'allais tirer en plein jour, même dans l'endroit où on se trouvait. La strangulation ou un 'accident' étaient plus faciles à mener de jour. Moins de bruit, moins de questions.

Toutefois, les gens que j'exécutais – ou ceux qui pensaient que j'allais les supprimer - avaient pour habitude de supplier jusqu'à la dernière minute pour leur vie, de tenter de s'échapper ou de fixer avec une expression pétrifiée le canon de mon arme. Leur point d'attention revenait toujours à l'objet source de menaces, après tout. Le cerveau humain faisait abstraction de tout le reste, quand l'instinct de survie prenait le pas sur la raison.

Alors, pourquoi est-ce que ses pupilles n'arrêtaient pas de monter vers le haut – et vers mon visage - pour ensuite redescendre soudainement – vers ma main - en un mouvement aussi rapide que les lumières d'un feu de signalisation à un passage à niveau ?

J'étais plutôt surpris de voir ce comportement, et immédiatement, je fus pris d'un horrible doute.

Oh non.

Pas encore…

Lentement, je pivotais ma main tenant l'arme à feu vers la droite, découvrant les extrémités de mes doigts entourant la crosse de l'arme et sa gâchette.

Mes craintes se concrétisèrent.

À ma plus grande horreur, mes ongles étaient recouverts d'un vernis rose fuchsia, et immédiatement, je compris que ça s'était encore produit.

Précipitamment, et toujours en tenant ma cible en joue, je fouillais avec ma main gauche le rebord d'une fenêtre cassée juste à côté de nous, tâtonnant en hâte pour trouver un morceau de verre assez gros pour que je puisse l'utiliser comme miroir.

Trouvant un éclat aussi gros que mon poing que je levais alors devant mon visage, j'eus immédiatement un mouvement de recul.

Mes lèvres étaient recouvertes d'un rouge à lèvres d'une teinte identique au vernis qui recouvrait mes ongles.

Avec dégoût, je me mis à frotter ma bouche du dos de ma main droite tenant toujours l'arme afin de faire disparaître au plus vite l'ignoble couleur. Cette dernière s'étala tout autour de ma bouche, prenant la forme d'une trace de peinture en partie effacée qu'on aurait plutôt aperçue sur le visage d'un gamin ayant tenté de manger ses crayons de couleur pendant que ses parents avaient le dos tourné.

Ça avait recommencé.

Encore une fois.

Je pouvais frotter tant que je voulais ma manche de veste contre ma bouche, ça n'effacerait pas pour autant l'immonde vernis qui recouvrait les ongles de mes deux mains.

Et le type qui représentait mon objectif de la journée commençait à remuer nerveusement sur le sol, se demandant sûrement s'il devait tenter sa chance pour déguerpir ou non.

Un mouvement un peu trop vif de sa part, et le canon de mon arme était venu à la rencontre de son crâne, l'acier froid posé contre sa tempe.

« Bouge pas. »

Il s'était figé comme un lapin conscient d'avoir été repéré par un prédateur, ses grands yeux tremblants fixés cette fois sur ma main et l'arme placés contre son visage.

Bordel, pourquoi il fallait que ça arrive maintenant ?

Pourquoi je m'en étais pas rendu compte tout à l'heure, en sortant de chez moi ?

C'était ça, les regards bizarres et les chuchotements hâtifs que je m'étais pris en pleine rue tout le long du trajet ?

Ah, qu'est-ce que j'allais bien pouvoir faire… J'avais même pas de lingettes nettoyantes sur moi, et avec la chaleur, j'aurais préféré éviter de porter un masque.

Mais j'avais pas vraiment le choix, si je voulais éviter d'attirer l'attention dehors.

« P...Pitié… Me tuez pas, monsieur ! » Supplia le jeune homme.

Ah oui, réglons le plus urgent en premier. Débarrassons nous des indésirables, vu que j'avais déjà envoyé une photo de son visage plein de coups au client. Contrat rempli, alors pas besoin de s'attarder plus.

Baissant le regard, je détaillais l'apparence de ma cible.

Des cheveux décolorés en blond, des piercings noirs et des anneaux aux sourcils et à la lèvre inférieure, et des fringues négligées beaucoup trop grandes pour lui.

Un sous-fifre, en somme.

Mes yeux gris comme l'asphalte craquelé sous la chaleur du soleil devaient sûrement l'intimider et l'effrayer encore plus, car il tenta de reculer un peu pour s'éloigner de moi. Le canon de mon revolver suivit de près son mouvement, ne lui permettant aucun répit.

De toute façon, même s'il parlait, personne ne le croirait. Mais je devais tout de même m'assurer qu'il prendrait sa punition sans broncher. La discrétion était cruciale, dans ce milieu, et encore plus pour les contrats où il n'y avait pas de mort à enterrer.

M'accroupissant devant lui, du verre brisé crissa sous mes chaussures flambant neuves. Puis, je saisis une bonne poignée de ses cheveux mi-longs de ma main gauche, mon autre main toujours occupée à presser le canon froid de l'arme sur son crâne.

Je pouvais sentir sa respiration tiède et saccadée sur mon visage.

« T'as intérêt à la fermer sur ce qui s'est passé aujourd'hui, et à suivre les instructions du Vieux à l'avenir, » dis-je avec une élocution très claire et un ton de voix grave.

Il hocha avec virulence de la tête, son regard fuyant se posant partout sauf sur mes propres yeux.

Trouillard comme il était, j'étais sûr qu'il ne dirait à personne qu'il s'était fait tabasser par un type seul. C'était pas le genre de truc dont on aimait se vanter, dans ce milieu.

Je fis un petit sourire satisfait, avant de me préparer à me relever pour relâcher cet abruti, quand il répondit à mes propos.

« Promis ! Je dirai à personne que vous êtes un travesti ! »

Mon regard se durcit, un éclat malveillant les animant tandis que je fusillais du regard ce pauvre idiot. Ma main gauche se resserra soudainement sur les mèches de cheveux qu'elle empoignait, approchant le visage du jeune homme du mien.

« Que je suis… Un quoi ? » Demandais-je lentement avec un ton menaçant.

« Ou que vous êtes gay ! Je sais pas, je sais rien ! J'ai rien vu et ça me regarde pas ! » Couina-t-il.

Je restais interdit un instant, plissant les yeux et fronçant les sourcils, avant de soudainement retirer le canon de l'arme de la tempe de ma cible.

L'arme enfin rangée dans mon holster de poitrine, le jeune homme poussa un soupir de soulagement qui se transforma rapidement en hoquet de surprise quand je sortis d'une des poches de mon pantalon un couteau à lame pliante.

« Pitié ! Je vais rien dire ! J'vous jure ! »

Une pression de mon pouce sur un petit bouton situé sur le côté, et la lame jaillit immédiatement de sa cachette, sa surface rutilante reflétant l'expression apeurée du jeune homme.

« Tu ne vas rien dire, et sûrement pas répandre une rumeur totalement infondée, » dis-je avec calme en approchant la lame de ses yeux. « Pas vrai ? »

Il secoua vivement la tête dans la limite que ma poigne sur ses cheveux permettait.

La dernière chose dont j'avais besoin, c'était d'être sous le feu des projecteurs et que mon terrible secret soit découvert.

Personne ne devait savoir ce qui se passait depuis ces derniers mois.

Personne.

D'un geste brusque, je passais la lame de mon couteau à travers les cheveux décolorés du jeune homme, coupant net toutes les mèches que je tenais de la main gauche.

Je montrais alors à l'impertinent mon poing resserré sur ce qui ressemblait plus à un tas de paille, un sourire mesquin apparaissant sur mes lèvres encore en partie barbouillées de rose.

« Bien, parce que la prochaine fois, je couperai bien plus bas que ça... » Le menaçais-je en ouvrant mon poing gauche pour libérer et faire tomber sur le sol la touffe de cheveux coupés.

Il renifla bruyamment, des larmes coulant sur ses joues et venant raviver les couleurs ternies du sang ayant déjà séché.

Avec ce dernier geste, et vu son comportement, j'étais persuadé qu'il se la fermerait. Il appartenait à la catégorie des gros trouillards, la plus facile à contrôler.

La dernière chose dont j'avais besoin, était que les gens découvrent que l'assassin qu'ils avaient engagé soit accablé de problèmes.

L'un, étant apparu il y a quelques mois, et l'autre ayant fait irruption dans ma vie quelques jours plus tôt.

Me relevant, j'agitais la lame de mon couteau vers le gamin resté assis sur le sol pour lui signifier qu'il était libre de déguerpir.

« Allez, dégage. » Dis-je en repliant la lame dans le manche de l'arme.

« O...Oui monsieur ! » S'écria-t-il avant de se relever en manquant de trébucher, puis de détaler vers la cage d'escaliers dont la porte était restée ouverte.

Bien. Avec ce job, j'aurai droit à un paiement rapide du complément. Le travail rapide et facile était vraiment ce que je préférais, car je détestais les complications.

Je m'apprêtais aussi à sortir de l'étage délabré pour redescendre dans la rue, quand quelque chose me fit m'arrêter.

Ayant senti mon portable vibrer dans ma poche de pantalon, je le pris en main pour ouvrir un message écrit simple par son contenu mais énervant par sa formulation.

'Y'a plus de papier toilette, et y'a aussi eu un accident avec la machine à laver.'

Il semblait qu'un des problèmes en question cherchait vraiment à me gâcher cette journée déjà bien pourrie.

Avec agacement et appréhension, je me mis à composer le numéro que je connaissais par cœur depuis le temps.

La sonnerie indiquant que le correspondant recevait l'appel résonnait dans la grande pièce vide où je me trouvais, me rappelant que j'étais livré à moi-même quand j'étais sur un job.

Puis, j'entendis enfin le silence : on avait décroché le téléphone.

« Qu'est-ce que tu veux dire par 'accident' ? » Demandais-je brusquement avec anxiété.

Je m'étais déjà mentalement préparé à ce qu'un autre drame survienne pendant mon absence. C'était devenu trop récurrent pour qu'il en soit autrement.

De plus, j'étais également persuadé qu'elle avait fait exprès de ne rien me dire à propos de mon apparence plus que douteuse, quand j'étais sortis ce matin.

« J'ai oublié d'enlever mon chemisier rouge, et tout est devenu rose... » Me répondit la voix féminine à l'autre bout du fil.

«Tout est devenu 'rose' ? » Répétais-je avec le sentiment que j'allais détester ses prochaines paroles.

Elle avait le don pour provoquer des catastrophes partout où elle passait, alors si son rayon d'action était limité à un petit espace comme mon appartement…

C'était comme mettre un cyclone dans une bouteille d'eau.

« Tout. Les chemises, les chaussettes, les cravates. » Répondit-elle comme si elle énumérait une simple liste de courses et non des vêtements de marque m'ayant coûté un prix exorbitant.

Ce qui eut pour effet de me faire perdre mon sang froid, encore une fois.

« Je t'ai pourtant dit de pas toucher à mes affaires, femme ! » M'énervais-je en hurlant au bout du fil.

« J'suis pas votre femme mais votre prisonnière, j'vous rappelle ! » Répliqua-t-elle instantanément, pas le moins du monde effrayée. « Oh, et j'veux manger de la glace à la pistache ! »

Avant même que je puisse rétorquer quoi que ce soit, elle raccrocha aussitôt qu'elle avait terminé de me donner des ordres.

Ah, j'allais avoir un de ces mal de crâne…

C'était vraiment à se demander qui de nous deux était censé être le vilain de cette histoire.

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