1 La fille qui dansait.

Elle tournoyait sur elle-même, au rythme des musiciens. Lorsque son regard croisait le miens, elle affichait un sourire mélancolique qui reste gravé à jamais dans ma mémoire.

Je l'ai vue pour la première fois à ce bal, un bal qui était mené en l'honneur du mariage de l'une de ses amies. En ces temps lointains, les filles étaient utilisées pour sceller des amitiés. La fiancée n'avait rien de joyeux tandis que les autres s'amusaient.

Elle, que je regardais depuis le début de la danse, savait que son tour viendrait bientôt. Fille d'un marchand, son prétendant ne tarda pas à pointer le bout de son nez pour la faire tournoyer. Le fou n'avait même pas réalisé sa peine. Elle accepta par politesse.

Elle était douce, ses cheveux étaient bruns, ses yeux noisette. Elle n'avait rien de spécial et pourtant je la voyais comme la plus précieuse chose de l'univers.

Elle avait cette flamme qui ravivait mon âme, je me sentais vivant de la voir. Durant leur danse, le prétendant glissa sa main sur les courbes de ma douce, je la vis se mordre la lèvre, sourire puis partir précipitamment. J'avais compris, mon cœur se serra. Elle pleurait.

Je la retrouvais sur le balcon, appuyée sur la rambarde, nous étions à plusieurs dizaines de mètres du sol. Je m'approchais alors et lui tendis un verre de vin blanc, son préféré.

Elle essuya ses peines et m'adressa la parole.

« Vous m'avez observée toute la soirée, que voulez vous ? »

Je souriais, sa voix était chantante, même dans la peine et la douleur. C'était une mélodie qui me donnait des frissons de joie.

Je ne répondis rien, je lui tendis une main. Elle me fit des yeux ronds et mis sa main dans la mienne. Je la fis donc danser, comme sa danse dans la salle aurait du se passer. Avec passion, tendresse, amour et respect.

Je portais un masque et elle ne pouvait voir que mes yeux noirs, les yeux du démon. Elle me fixa avec intensité, elle avait compris que je n'étais pas humain. Je sentais son pouls s'accélérer, sa peau frissonnait et pourtant elle ne partait pas. Je ne la retenais pas. Lorsque la musique changea, je lâchais donc sa main.

« Dites moi votre nom. » m'ordonna t'elle

Doucement je m'avançais près de la rambarde, en silence.

« Quand pourrais-je vous revoir ? » murmura-t-elle.

Je me retournais face à elle, j'enlevais mon masque. Je souriais comme un jeune homme. J'étais heureux. Elle vit alors mes canines mais elle ne semblait pas effrayée pour autant. A cette époque, les gens ne parlaient pas réellement de vampires, ils parlaient de monstres, de démons. Rien de précis mais tout de terrifiant. Elle n'avait pas peur, elle fit deux pas et je sautais en arrière dans le vide.

Elle se rua sur la rambarde mais j'étais parti dans les ombres, je ne voulais pas gâcher ce si beau moment.

Je rentrais à ma demeure, j'avais établis mon chez moi dans le château sur la colline qui surplombait le village. J'avais prévu de n'y rester que quelques semaines, le temps de refaire mon stock de sang avant de repartir. Bien sûr, ces faux nobles, appâtés par le gain vinrent me rendre visite en voyant ma demeure. La richesse les avait attirés et ils m'avaient invité à leur soirée. Je pensais faire ma cueillette facilement mais après ce bal, rien n'était plus pareil. Je ne pouvais plus partir, je ne pouvais plus chasser aveuglément.

Je m'allongeais donc sur ma couche, je regardais mon plafond. Je repensais à mes frères, j'étais le plus sensible cela ne fait aucun doute.

Mon aîné le plus âgé se serait rit de moi, l'autre aurait pensé qu'il s'agissait d'encore une de mes lubies. Je ne pouvais plus partir sans elle mais je ne voulais pas changer sa vie, elle ne pouvait pas me connaître. Nous n'étions pas du même monde après tout.

La nuit passa ainsi où j'errais dans mes songes puis le soleil vint frapper ma fenêtre. Je n'avais pas réalisé tout le temps que j'avais passé. C'était décidé, je restais !

Je pris donc de nouveaux habits de ville et parti. Arrivé sur place, le chef du village m'accueillit les bras ouverts.

« Bonjour à vous Mon Sire, comment puis je vous aider ? »

Je riais intérieurement, un sire, rien que ça.

« Mon nom est Zarkhaïm, la demeure familiale est bien vide et j'aurais besoin de personnel de qualité, discret, qui sait travailler sans poser de questions. »

L'infecte me fit un clin d'œil, il pensa immédiatement à des esclaves et m'emmena dans l'une des ruelles les plus sombres du village. Je vis alors des femmes, enfants, hommes, menottés, apparemment battus et pour sûr mal nourris. J'avais de la haine pour lui à ce moment mais je ne pouvais pas trahir ma couverture, pas tout de suite. Je pensais acheter de la marchandise pour faire tourner le château et constituer mon stock. Une fois de plus mes plans étaient mis à mal. En voyant ces êtres je ne pouvais plus faire machine arrière et j'entendais dans ma tête mon aîné Archanium me dire « eh le sensible ! Attention où tu marches tu risquerais de faire mal à une fleur. » J'entendais son rire gras résonner.

Je pris donc ma bourse et la jeta au chef.

« Ça suffira ? »

Il se mit à rire.

« Mon Sire a de l'appétit, je ne veux rien savoir. Vous pouvez tout embarquer mais soyez discret je vous prie. Ce genre de pratique n'est pas forcément approuvée de tous, en particulier avec les gosses, vous voyez ce que je veux dire. Evitez de les jeter dans la baie, les gens prennent peur en voyant les corps. »

Je sentais mes canines me titiller, elles ne demandaient qu'à s'enfoncer dans ce porc putride. Je souriais aimablement.

« J'en prends bonne note, bonne journée »

Je partis donc ainsi avec ma marchandise et rentrais au château.

Une fois la porte passée je faisais un inventaire rapide. Il y avait 3enfants, 2 femmes et 1 homme. Pour un si petit village, c'était énorme à mon goût. Les pauvres êtres avaient l'air brisé. Comme détruits de l'intérieur.

« Les enfants, il y a un parc à l'arrière, allez jouer. Les femmes, vous vous occuperez de la cuisine, du ménage et des enfants. Pour toi mon grand, ce sera l'épée et tu vas apprendre à défendre tout ce beau monde. »

Ils me regardèrent avec des yeux ronds, un soupçon de vie se raviva dans leurs yeux. Ils n'y croyaient pas, je pense que le sort qui les attendait devait être des plus cruels.

« Je ne veux pas m'ennuyer de vos noms, ce sera Numéro 1 et 2 pour les femmes, 1bis, 2bis et 3bis pour les gamins. Quand à toi le bonhomme, ce sera Garde.

Numéro 1, tu vas aller au village avec Garde pour acheter des provisions et des vêtements pour tout le monde. Numéro 2, tu vas commencer par nettoyer les chambres à l'étage.

Que personne ne me dérange, le premier qui me parle le regrettera. »

Et c'est ainsi que tout se petit monde s'affaira doucement à la tâche. Dans le soulagement et la gaieté même si la peur trônait encore dans leur cœur. Je ne pouvais pas leur en vouloir de ne pas me croire, après tout, j'utilisais un sort pour camoufler mes attributs mais cela n'allait pas durer. Ils serviront un vampire et ils s'en rendront compte bien assez tôt.

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