1 Rouge : Partie 1

A l'heure où le silence des ténèbres règne, trois joyeux jeunes hommes déambulaient dans les vétustes rues étroites en titubant. C'était après une longue tournée des bars qu'ils se décidaient enfin de retourner dans le confort de leur lit. Avec les quelques grammes d'alcool contenu dans leur sang, ces ivres gens rendaient à l'évidence qu'il était difficile de distinguer le sol pavé des murs en brique, et se cognant à tout obstacle, ils avançaient péniblement. Le plus jeunes, un garçon blond qui ne devait pas encore être majeur, portait une cape verte et une épée à la ceinture. Il prit la tête du groupe en fanfaronnant avec quelques pas de danse mal maitrisé et les deux autres se contentèrent de rire niaisement à ses acrobaties. Au détour d'un croisement, il heurta quelque chose de grande taille, ce qui eut pour effet de le projeter violemment en arrière.

— Qu'est-ce que c'est, putain ! lâcha-t-il en tentant désespérément de se remettre debout.

Toujours au sol, le garçon leva ses yeux fatigués, une ombre menaçante sortant de la nuit noire se dressait au-dessus de lui. Celle-ci retira la capuche qui lui couvrait le visage. Un jeune homme d'une taille peu commune aux cheveux carmin le regardait avec une animosité certaine. Il était habillé d'un blouson violet, d'un pantalon en jean troué et ses mains étaient couvertes par des mitaines en cuir. Les deux garçons derrière lui se tinrent le visage d'une pâleur cadavérique et détallèrent comme des lièvres devant le chien d'un chasseur. La peur avait eu pour effet de les dégrisés instantanément.

— C'est le démon rouge ! hurlèrent-ils déjà loin.

Le blondinet prit conscience de la fatalité son abandon par ses amis en les voyant disparaitre dans l'obscurité. Il se demandait comment ils pouvaient avoir autant peur d'une seule personne. C'est alors qu'il se retourna et constata que le démon en question s'approchait de manière dangereusement excessive. Sa colère semblait s'être élevée d'un degré. Les pensées s'emmêlaient dans le cerveau de l'enfant.

— Tu es vachement grand ! Euh pardon vous… Monsieur... ? dit-il sans réfléchir.

Le démon paru d'abord surprit, puis remplaça sa mauvaise mine par un sourire à la fois rayonnant et flippant. Il ramassa l'enfant en le faisant monter sur son dos et il recommença à marcher comme si de rien était. Le garçon à la cape remarqua qu'il n'avait pas la force de refuser l'aide et que la situation ne le dérangeait pas plus que ça. Il commençait même à somnoler.

— Tu es nouveau dans le coin, pas vrai ? fini par demander le démon.

— Euh oui, comment vous savez ça ? s'étonna l'enfant.

— D'habitude les gens s'enfuient comme tes deux amis lorsqu'ils me croisent en pleine nuit. Mon surnom, le « démon rouge », tu es sûr que ça ne te dit rien ?

— Vous êtes populaire ? Désolé personne ne m'a mis au parfum dans notre quartier générale, je suis arrivé seulement hier.

— Moi, populaire ? Je dirai plutôt redouté, tu vois. Ça fait bizarrement plaisir de rencontrer quelqu'un qui ne connait pas encore ma sale réputation. Je suis même obligé de porter une capuche pour être plus discret.

— Votre réputation est si mauvaise ?

— Cesse de me vouvoyer, on dirait que j'ai cinquante ans. Les rumeurs sur mon compte ne sont pas plaisantes à entendre, il faut dire que lorsqu'un homme solitaire est fort, il inspire plus la peur que l'admiration.

— Ah d'accord, mais tu m'as l'air très gentil pourtant, répondu sincèrement l'enfant.

— Mais je ne t'ai pas demandé, comment t'appelle-tu ?

— Cain, de la famille Richard. Et vous… non toi, je veux dire ?

— Appelle-moi simplement Rouge.

— Où est Pikachu ?... Pardon c'était une blague. Non en vrai, c'est par rapport à la couleur de tes cheveux qu'on t'appelle le démon rouge ?

— Pas exactement.

Cela faisait un moment que les deux garçons zigzaguaient entre les rues, qui au passage se ressemblaient toutes. Les lumières blafardes des candélabres accompagnait leur errance nocturne.

— En fait, où allons-nous, Rouge ? demanda Cain tout en baillant.

— Dans un pub où je connais le gérant depuis longtemps. Tu verras il est sympathique avec tout le monde et son bœuf bourguignon est un délice.

Rouge tourna la tête en s'adressant à Cain, mais le garçon à la cape s'était déjà enfermé dans un sommeil profond. Le démon s'arrêta devant une enseigne de restauration représentant un couvert complet. Dépassant d'une vieille porte en bois, une lumière chaleureuse l'invitait à entrer. Rouge n'eut pas besoin du moindre effort pour ouvrir la vieille porte. A l'intérieur, il y avait une forte musique jazzy ; une femme en tenue courte dansait sur les tables sous l'attention farouche des hommes célibataire empestant l'alcool. De ce spectacle peu distingué, certains couples dans la salle s'indignaient pourtant. Des dizaines de bouteilles de vin vides s'étalaient sur le sol en parquet.

— Bienvenue au Belle-de-nuit, s'exclama un des serveurs au comptoir juste avant de voir les cheveux carmin de Rouge et de se figer sur place.

Aux tables, tous arrêtèrent leurs activités et commencèrent à commérer sur l'étrange situation de voir un homme entrer dans un bar avec un autre homme inconscient sur le dos.

— C'est lui. Le fameux démon aux cheveux rouges dont tout le monde parle.

— Le sanguinaire ?

— Chut ! Tais-toi si tu tiens à la vie.

— C'est un cadavre qu'il porte sur le dos ?

Mais ces remarques odieuses n'occupaient guère l'esprit de Rouge.

— Patron ! cria-t-il alors à plein poumon.

Un homme bedonnant d'environ quarantaine à la moustache touffue sorti de derrière la cuisine, mécontent.

— Moins fort le forcené ! Et tu ne vas pas bien de débarquer comme ça dans mon pub, tu ne vois pas que tu fais peur à mes clients... En plus, surtout toi, canaille.

Il fixa son regard sur Cain qui dormait aussi paisiblement qu'un mort sur les dos de Rouge. Portant sa main à son front, le pauvre gérant faisait une mine exaspérée.

— Excuse-moi grand-père. C'est un jeune garçon qui errait dans les rues. Il ne te restera pas une chambre de libre pour cette nuit, par hasard ? demanda Rouge pour éviter de faire durer tout quiproquo.

— Si, j'en ai même encore deux si tu veux, proposa le patron, plus serein.

— Non, pour moi ce n'est pas nécessaire, je dois me rendre à la Tour, de toute façon.

— Mais la chambre n'est pas gratuite, même pour toi.

— Je me doute, ne t'en fait pas, je vais payer pour lui.

— Tu es drôlement généreux avec lui, ça ne te ressemble pas.

— Disons que je l'aime bien. Bref, c'est combien pour la chambre ? Et rajoute moi un pack de bière, s'il te plait, demanda Rouge en arborant un sourire sournois.

— Alors, 84 + 17,95, ça te fera 101,95 euko.

— C'est cher ! Tu ne m'arnaque pas j'espère.

— Bien sûr que non, la chambre est équipée d'une douche et, croissant et confiture au petit-déjeuner sont inclus dans le prix.

— Le jus d'orange aussi ?

— Non, il est à 4,50. En même temps, il est fait maison.

— Tu es vraiment un rapiat, râla Rouge tout en sortant deux billets de cinquante de son portefeuille.

Il gardait toujours son argent et son téléphone portable dans les poches de son blouson lorsqu'il sortait, mais il avait rarement l'occasion de s'en servir dans le quartier noir.

— A bientôt, lança un client un peu joufflu sur le départ.

— A bientôt Danny, répondu le patron qui se retourna vers Rouge après avoir conclu la transaction. Voici la clé. La porte à gauche au bout du couloir en montant les escaliers.

Rouge prit la clé et suivit les instructions du patron. Il arriva dans une petite chambre parfaitement rangée, en effet équipée d'une douche individuelle. La pièce respire même un peu trop innocence pour l'endroit où elle se trouve. Une tout aussi petite fenêtre donnait justement sur la piteuse rue par laquelle les deux garçons étaient arrivés. Rouge le déposa sur le lit et, après avoir pris soin de lui retirer les chaussures, le glissa sous la couette orange mandarine. Cain marmonnait légèrement dans son sommeil.

— Tes cheveux rouge sont magnifique…

Un bref instant, un demi-sourire apparu sur les lèvres de Rouge. Il sorti de la pièce à reculons et ferma la porte en douceur pour ne pas réveiller l'enfant. Rouge remonta le couloir et entreprit l'escalier vers la salle des couverts. Le patron, derrière le comptoir, était retourné vaquer à ses occupations et essuyait la vaisselle propre avec un chiffon blanc. Les gens assits aux tables avaient repris leurs conversations, ne se préoccupant plus de la présence du démon rouge. Rouge entama la sortie.

— A la prochaine, grand-père.

— Tu as mangé quelque chose ce soir ? le patron le stoppa immédiatement.

— Non pas encore, mais tu n'as pas fini le service à cette heure-ci ?

Rouge regarda l'horloge au bout du bar, elle annonçait 0 :06 du matin.

— C'est vrai, mais je peux faire une exception pour toi si tu veux.

— Je n'ai plus assez d'argent.

— Aller ! C'est offert par la maison. En souvenir du bon vieux temps.

— Dans ce cas…, Rouge fit demi-tour sur ses pas, …je ne vais pas me priver.

Rouge s'assit sur un tabouret en cuir du comptoir et attendu pendant que le patron retournait en cuisine. Le vieil homme revint avec une assiette de steak archi-saignant chargée de frites en garniture. Il déposa un verre de jus d'orange pressée juste à côté.

— Alors, c'est qui le rapiat ? dit-il satisfait.

— Désolé Frank, tu es adorable en vrai. Tu es un peu un oncle pour moi.

— Alors arrête de m'appeler « grand-père » à chaque fois, grogna Frank.

— Ce n'est pas ma faute, tu fais si vieux maintenant.

— J'en connais un qui va vite dégager de chez moi s'il continu !

Les deux amis se mirent à rire en chœur.

— Il y a vraiment plus d'éveillés ces derniers temps. J'ai l'impression qu'en ce moment ça concerne particulièrement les jeunes, regarde celui que tu m'as ramené ! commença Frank.

— J'étais aussi mineur il y a cinq ans, rétorqua Rouge.

— Fin tu vois ce que je veux dire, ces temps-ci ça devient vraiment tendu. Et avec l'installation de l'Ordre en ville, c'est plus la pagaille qu'autre chose, il parait que leur chef est arrogant au possible. J'ai moins de client depuis quelques semaines.

— Et bien je ne peux pas te contredire…

On entendit un gros bruit en direction de l'entrée du pub, ce qui fit se tourner Frank en sursaut ; Rouge, lui, resta impassible. Une lame apparue à travers la porte et forma une entaille dans le bois ; puis elle se retira aussi violement qu'elle était arrivée. Deux hommes entrèrent juste après en ouvrant la porte à grand fracas. Les deux individus portaient des sweats à capuche de marques tendance ; l'un avait une casquette à l'envers sur la tête, et l'autre tenait une batte de baseball à la main. Ils faisaient des sourires malicieux.

— On est venu prendre ta tête, démon ! hurla le garçon à la caquette, en rigolant.

— Vous allez devoir payer pour les réparations de la porte ! s'énerva Frank.

— Toi ta gueule, le plombier, lâcha sèchement le garçon à la batte.

— De quel droit vous venez tout détruire ? enchérit Rouge tout aussi en colère.

— A la base, on venait juste récupérer Cain, mais on ne va pas laisser passer la chance d'obtenir le pouvoir du fameux démon rouge.

— Et comment avez-vous su où j'étais ?

— Figure toi qu'on a croisé un gros type dans la rue qui as bien voulu nous donner l'adresse du bar en échange de quelques baffes, pouffa Casquette-à-l'envers.

Rouge se leva, quelque peu agacé, et se tenu fermement devant les délinquants ; il devait bien les dépasser d'une tête ou deux. Rouge suivit les deux garçons et sorti du pub. Il se retrouvait au milieu de la rue face aux deux autres, prêt à en découdre. Une tension de meurtre volait dans l'air autour d'eux.

— Allez plus vite en commence, plus vite on finit, dirent-ils en même temps.

— Pardon mais vous êtes de quel clan déjà ? demanda Rouge qui était surpris par leur franc-parler.

— Vegas Road, on est soutenu par l'Ordre ; quoi qu'il arrive, ils nous vengeront, annonça fièrement le garçon batteur.

— Tu as l'honneur de mourir des mains du gang le plus stylé de Lamore, même après ta mort, répondu Casquette-à-l'envers en se curant les dents.

— Stylé ? Avec un nom aussi nul ? se moqua Rouge.

— C'est ça, moque-toi. Tu vas vite déchanter quand ta tête ne tiendra plus sur ton cou.

Rouge voulu se rapprocher des deux hommes, mais son action ne pu aboutir. Les semelles de ses chaussures restaient collées au sol, comme si elles ressentaient dix fois plus la gravité.

— Et oui mon pote, c'est un pouvoir qui t'empêche complètement de te déplacer. Tant qu'il ne bouge pas, toi non plus. Maintenant tu vas crever !

L'homme à la batte attendait au fond, statique en position de receveur. Casquette-à-l'envers fouilla dans sa sacoche et y ressortie une minuscule hache. L'outil de bûcheron s'agrandit un fois dans sa main pour atteindre une taille normale, il fit de même avec une seconde hache. Dans son sac, il y en avait encore une quinzaine. Le garçon s'apprêtait à lancer l'arme sur Rouge en commençant par viser les cuisses.

— Vous pensez vraiment que j'ai besoin de bouger pour vous tuer ! le provoqua Rouge.

— Ne fais pas semblant pour gagner du temps, ne le crut pas Casquette-à-l'envers.

Le démon pointa du doigt en direction de l'autre garçon à l'arrière. Casquette-à-l'envers regarda par-dessus son épaule sans en comprendre la signification. Une ombre était apparue comme sortant du front du jeune batteur, ses yeux se révulsèrent. Lorsque la pointe noire s'extirpa par l'arrière du crâne, il y eu un jet de sang mélangé à de petits bouts de cervelle. De la terrifiante grimace de son camarade, Casquette-à-l'envers tomba à la renverse, les yeux écarquillés. Ses appels à l'aide désespéré résonnaient en écho sur les murs des bâtiments longeant la rue. Une forme noire humanoïde à peine distinguable se reprochait. Elle se tenait à quatre pattes telle une bête féroce qui guette sa proie. En une seconde, une ombre tranchante se glissa à travers le cou du jeune délinquant. S'en suivit alors d'effluves de sang interminable sortant d'un orifice où passait avant la voix. Sa tête encore marquée par la stupeur, les yeux en larmes, roula jusqu'aux pieds de Rouge, et levant sa jambe gauche, le démon s'en servit triomphalement de marchepied.

— Première loi du quartier noir : dans un duel, c'est tuer ou être tué ; deuxième loi : le perdant du duel ne peut être vengé ; troisième loi : aucune règle ne s'applique dans le quartier noir.

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BONUS

ARCHIVES DE LA GUILDE :

Miniaturisation

- Classification : Pratique

- Capacité : permet à son détenteur de rétrécir les objets. Lorsqu'un objet rétréci, son poids se divise par sa masse.

- Dernier détenteur recensé : Louis Heisenberg

Enracinement

- Classification : Malveillant

- Capacité : permet à son détenteur de fixer un objet ou un être au sol à condition que l'utilisateur maintienne lui aussi un contact avec ce qu'il considère comme un sol. Peut bloquer plusieurs sujets à la fois.

- Dernier détenteur recensé : Yann Ruth

INFORMATION : L'Euko est la monnaie locale d'habitat de Lamore, elle correspond à une conversion de 1 Euko pour 1,08 Dollars. (Même valeur que la monnaie européenne ;)

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