La nuit s'était étendue avec une lourdeur apaisante, enveloppant le village dans un calme profond. Aniaba se tenait immobile, le regard perdu dans la forêt noire qui s'étendait au loin. La maison de Victor était silencieuse, à l'exception des respirations légères de Marie-Louise, qui dormait paisiblement pour la première fois depuis des jours. Lui, cependant, était incapable de trouver le sommeil.
Assis sur une chaise rudimentaire près de la porte, il fixa le ciel étoilé. La rage qui l'avait consumé la veille s'était dissipée, laissant place à une réflexion froide et douloureuse. Chaque moment du carnage qu'il avait orchestré était gravé dans sa mémoire, les cris, le sang, et surtout la fureur dévorante qui l'avait poussé à agir sans pitié.
Il passa une main sur son visage, fatigué mais incapable de fermer les yeux. Quelque chose en lui était brisé, ou peut-être révélé, et il ne pouvait ignorer cette vérité. Aniaba était un homme de principes, un prince dans l'âme, élevé pour mener et inspirer, non pour détruire. Pourtant, la sauvagerie qui avait éclaté en lui n'était pas entièrement étrangère.
« Combien de cela est vraiment moi ? » murmura-t-il, sa voix à peine audible dans l'obscurité.
La question le hantait. La bénédiction du Baron — ou sa malédiction — avait amplifié ses capacités physiques et déchaîné une rage qu'il ne contrôlait pas toujours. Mais la rage était-elle entièrement le fruit de cette transformation, ou était-elle aussi ancrée dans son âme, un reflet de la douleur et des injustices qu'il avait endurées ?
Il inspira longuement, essayant de retrouver l'homme qu'il était avant. Son port majestueux, son maniement des mots, la dignité qu'il incarnait… Tout cela semblait éloigné de la brute impitoyable qui avait mutilé des hommes sans l'ombre d'un remords.
Quand l'aube commença à poindre, il se leva et entra doucement dans la maison. Victor dormait sur un lit de fortune dans un coin, son visage détendu après une longue nuit. Marie-Louise était étendue sur la table où elle avait été soignée, recouverte d'une couverture simple. Aniaba s'approcha et s'agenouilla près d'elle, son regard s'adoucissant.
— Tu m'as vu à mon pire… murmura-t-il, bien qu'elle était endormie. Et pourtant, tu es restée.
Il serra doucement ses poings. La présence de Marie-Louise était un rappel de ce qu'il devait protéger, mais aussi de ce qu'il risquait de perdre s'il laissait la rage prendre le dessus. Il lui fallait réconcilier les deux parts de son être : l'homme noble et le guerrier brutal.
Plus tard dans la matinée, alors que Victor préparait une décoction pour aider Marie-Louise à guérir, Aniaba engagea une conversation.
— Victor, dit-il d'une voix plus posée que la veille. Je veux te remercier pour ce que tu as fait.
Le jeune médecin releva la tête, surpris par le changement de ton. Il hocha lentement la tête.
— Je n'avais pas vraiment le choix, admit-il. Mais je suis content qu'elle aille mieux.
Aniaba croisa les bras, appuyé contre un mur.
— Je veux aussi m'excuser. Hier soir, j'ai agi… avec trop de violence. Ce n'est pas l'homme que je veux être.
Victor haussa un sourcil, posant son bol d'herbes.
— Et quel genre d'homme veux-tu être ?
Aniaba réfléchit un instant avant de répondre.
— Un homme qui inspire confiance, qui protège sans se perdre dans la haine. Mais… il y a une part de moi que je ne contrôle pas toujours. Une part que je crains.
Victor l'observa attentivement avant de soupirer.
— Nous avons tous des démons, Aniaba. Mais ce qui compte, c'est ce que nous faisons pour les maîtriser. Peut-être que cette part de toi peut être utile, tant que tu ne la laisses pas te consommer.
Les mots de Victor restèrent en suspens dans l'esprit d'Aniaba. Peut-être que, dans cette dualité, il trouverait une force qu'il n'avait jamais soupçonnée. Mais pour l'instant, il devait se concentrer sur l'essentiel : guérir Marie-Louise et décider de leur prochain pas. Le chemin était encore long, et ses démons ne l'avaient pas quitté.