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Chapitre 23 - La photo de famille

« Tiens, bois ça. » l'encouragea Elvan, en lui tendant une tasse de thé chaude. 

Elle l'attrapa entre ses doigts tremblants et la porta à ses lèvres, les yeux encore gonflés d'avoir pleuré. Lui, toujours dans son élégant costume, prit place en face d'elle et l'observa en silence. 

Elle avait comme une impression de déjà-vu et à juste titre, puisqu'elle se tenait à nouveau avec lui dans la cuisine, au même endroit où elle avait déjà été en sa compagnie la veille. 

Le schéma se reproduisait encore : elle qui s'attirait des ennuis et lui qui la réconfortait. 

Une vague de culpabilité lui chatouilla le ventre et elle baissa les yeux, scrutant le liquide ambré qui tournoyait dans sa tasse, comme s'il était la chose la plus intéressante du monde à ses yeux. 

Ces deux derniers jours avaient été riches en émotions et en péripéties... Bien plus que les dernières années de sa vie à vrai dire et elle avait le sentiment d'avoir déclenché un incendie qu'elle ne pouvait plus arrêter. Tout allait trop vite, trop violemment et elle ne savait pas comment y faire face. Elle se sentait submergée par ses souvenirs, par les mystères de cet endroit et par sa maladie qui semblait empirer de plus en plus à mesure que le temps passait.

Elle se sentait prête à imploser de l'intérieur, mais quelque chose lui intimait que ce n'était que le début, qu'elle venait tout juste de mettre les pieds dans un monde dont elle n'était pas prêt de voir la fin. 

« Merci. » souffla-t-elle à l'intention de son collègue, sans pour autant le regarder. 

La chaleur du liquide se répandis délicatement le long de sa gorge et jusqu'à son ventre. La sensation était agréable et apaisait presque son âme tourmentée. 

« Est-ce que tu as envie d'en parler ? »

Elle ne répondit rien, car elle n'en avait aucune idée. Toutes ces choses qu'elle avait découvertes étaient étranges et ne faisaient pas sens, mais elle n'était pas certaine de pouvoir se confier à ce sujet, même auprès de lui. Le passage secret, les Salvatoris, l'intru du manoir des blancs, la disparition de Despair et l'attitude de Lust, rien ne collait à ses yeux et pourtant... Elle avait le sentiment que tout était lié, même si elle ne savait pas comment. 

Elle était face à un puzzle auquel il manquait des pièces.

Voyant qu'elle restait silencieuse, Elvan soupira, en passant sa main dans ses cheveux sombre, comme pour camoufler son malaise.

« J'ai appris que tu avais été de l'autre côté. »

Elle releva brusquement les yeux vers lui, serrant sa tasse un peu plus fort.

'Il sait.'

Elle se mordit les lèvres, fixant à nouveau le sol. 

Alors Lust lui avait tout dit... 

« Je vous ai entendu crier dans le couloir » expliqua-t-il, comme s'il entendait ses pensées. 

Aina eut du mal à le croire, mais elle ne voyait pas pourquoi Elvan mentirait. 

« Il ne faut pas que tu retournes là-bas. »

[Tout ce que tu dois faire est de retourner d'où tu viens et ne plus revenir ici, tu comprends ?]

Elle se remémora les paroles de Serenity. Pourquoi lui ordonnaient-ils tous cela ? Les Salvatoris étaient sans nul doute les ennemis de la famille qu'elle servait, mais quel était le rapport avec elle ? Pourquoi lui interdirait-t-on avec une telle véhémence d'apprendre à connaître cette famille qui était si gentille, si prévenante ?

« Pourquoi ? » ne parvint-elle pas à se retenir de demander, une pointe d'agacement dans la voix. 

Son interlocuteur se racla la gorge et attendit, comme s'il cherchait ses mots. 

« C'est... C'est dangereux pour toi. »

'Dangereux ?'

« Pourquoi ? » insista-t-elle, en haussant un sourcil. 

Les Salvatoris avaient l'air d'être des gens bien et rien ne semblait la menacer au point que tous la mette en garde alors... Pourquoi ? Elvan ne répondit rien et elle se sentit étrangement inconfortable de voir qu'il ne parvint pas à être honnête avec elle. 

Il savait quelque chose, elle le voyait dans ses yeux, alors pourquoi demeurait-il désespérément silencieux ? Pourquoi ne lui disait-il pas de quoi elle devait avoir peur ? Pourquoi ne le faisaient-ils pas tous ?

« Quelqu'un te menace, c'est ça ? »

Il releva la tête, l'air surpris par ses mots. 

« C'est ça, n'est-ce pas ? » 

Elle en était convaincue. Aucune autre raison n'aurait à ses yeux pu expliquer son air inconfortable chaque fois qu'elle posait des questions, ou sa tendance à afficher un air coupable chaque fois qu'il l'apercevait. 

« Bien sûr que non, je – »

« Ne mens pas, j'en suis sûre. »

Sa réplique fit mouche, car les mots qui s'apprêtaient à sortir de sa bouche s'arrêtèrent, avant qu'il ne grimace en passant sa main devant son visage. 

« Aina, écoute-moi. » la supplia-t-il presque en l'attrapant désespérément par les épaules. « S'il te plaît, tu ne dois pas te préoccuper de ça. Il n'y a rien à trouver. »

Il semblait pressant, presque effrayé à l'idée qu'elle puisse retourner de l'autre côté, à l'idée qu'elle cherche à en savoir plus. Elle n'était pas dupe. Elvan avait l'air de bien trop insister sur le fait que tout était normal pour que cela soit vrai. 

'Il n'est pas un bon menteur.'

Il lui cachait quelque chose, mais elle ne savait pas encore quoi.

« Je sais que tu ne peux rien dire. » continua-t-elle, sans se décourager. « Mais je sais que quelque chose ne va pas. »

Il voulu la couper, mais elle l'arrêta de la main.

« Il est inutile de vouloir me convaincre. Je sais que je ne suis pas folle et j'irais au bout de cette histoire. »

Elle se leva, posant sa tasse encore pleine sur la table en dépoussiérant son habit de travail. 

« Aina – »

« Non. Je sais ce que j'ai à faire. »

Elle savait qu'il ne cherchait qu'à la protéger, mais elle était résolue et bien plus que d'habitude. Sa petite visite chez les Salvatoris l'avait conforté dans l'idée que quelque chose d'étrange se tramait ici. Elle était en plus de cela certaine que tout ceci avait un rapport avec elle, même si elle ne voyait pas encore lequel.

[Aina.]

Elle n'y avait pas pensé sur le moment, mais Joy avait clairement prononcé son nom... Alors qu'il était censé l'ignorer. Il savait qui elle était... Ils semblaient tous le savoir. Mais comment et pourquoi ?

Le mystère lui parût de plus en plus obscure et incompréhensible, mais elle était déterminée à en savoir plus. 

[Ne nous oublie pas.]

Pourquoi avait-il dit cela ?

Il lui restait encore tant de choses à découvrir, tant de réponses à obtenir. Elle ne les auraient sûrement pas en restant assise ici, à essayer d'obtenir des indices qu'Elvan ne pouvait visiblement pas lui donner. Aussi se dirigea-t-elle vers la porte, avant qu'il attrape son poignet. 

« Je t'en prie, ne fais pas ça. »

Le ton effrayé et suppliant qu'elle décela dans sa voix lui fit l'effet d'un coup de poignard, mais elle en fit abstraction.

« Je n'ai pas le choix. »

Elle sortit de la pièce en ignorant la voix d'Elvan qui appela son nom et disparu dans le couloir. Elle avait le cœur lourd d'ainsi délaisser son ami, celui qui l'avait accompagné et soutenu ces derniers-jours, mais elle ne pouvait pas faire autrement. 

Elle n'avait d'autre choix que de prendre les choses en main elle-même, puisque tous les membres de cette maison semblaient ne pas pouvoir ou vouloir le faire. Si elle abandonnait maintenant, elle ne saurait jamais ce qui était arrivé à Despair, ni ce qui la reliait aux Salvatoris. 

Elle allait percer tous ces mystères, coûte que coûte. 

'Mais pas aujourd'hui.'

Il commençait à se faire tard et elle était exténuée. La journée avait été bien trop éprouvante et riche en émotions. Aussi prit-elle la décision de se retirer dans sa chambre, pour se reposer. Elle réfléchirait à tout cela le lendemain, lorsque son esprit retrouverait sa vivacité. 

Sur le chemin du retour, elle passa dans le grand hall, au sein duquel elle ne vit personne. Seuls le bruit de ses petites chaussures résonna sur le sol en marbre lustré. Elle trottina le long des grands escaliers, juste sous les colonnes en marbres qui tenaient le sol du deuxième étage, lorsque son regard glissa sur le mur qui y était adjacent. 

Elle scruta l'énorme cadre en or qui trônait au centre et dans lequel était représenté la famille Signavit au complet. 

Wrath tenant Sorrow par le bras et la main posée sur l'épaule de Lust, tandis que celui-ci et Fear encadrait une silhouette au visage noirci, au point qu'on ne puisse en distinguer aucun des traits. 

'Ce doit être Void...'

C'est à ce moment qu'un détail lui sauta aux yeux et l'horrifia. Quelqu'un avait disparu du tableau.

'Despair.'

Sur la toile vieille de plus de trois ans, il ne restait aucune trace de la jeune enfant, comme si elle n'avait jamais existé. La réalisation de ce fait coupa le souffle à la jeune femme, qui ne parvint qu'à se demander si elle rêvait, ou si quelqu'un avait échangé l'œuvre pendant la nuit. 

Le cadre précieux ne pouvait pas avoir été remplacé. Il était après tout exactement à la même place que la dernière fois qu'elle l'avait vu et portait encore les marques du temps, indiquant qu'il n'avait pas bougé de l'endroit où il était exposé depuis longtemps. 

'Alors comment... ?'

Tout ceci n'avait aucun sens. 

Quelqu'un aurait-il pu se donner autant de mal pour faire croire que la deuxième de la fratrie n'existait pas et si oui, pour quelle raison ? Aina eut l'étrange sentiment de n'être qu'une marionnette dans la pièce de théâtre d'un esprit brillant.

Comme si quelqu'un la guidait sciemment dans une direction préalablement définie, vers un chemin dont elle ne connaissait pas l'issue. 

'Quelqu'un se joue de moi... De nous.'

Et elle était bien décidée à trouver qui. 

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