Au départ, il crut qu'il était mort. Pourtant, il ressentait bien le froid sur sa peau, et le frottement d'étoffes le recouvrant en partie. Même si l'endroit pouvait faire penser à l'au-delà, c'était pourtant en Neridanne qu'il était. Il se trouvait bien sur le continent des hommes.
Il était encore trop faible pour se relever, mais pouvait déjà tourner un peu la tête, observant ce qui se trouvait autour de lui.
Apparemment allongé sur un plateau rocheux en bord de rivière, il pouvait voir une grande cascade à moitié gelée et cernée de pins enneigés, dont l'eau vive serpentait entre des roches brisées, sur un lit de galets de couleur gris clair, que l'eau semblait changer en un miroir étincelant.
La lumière du jour perçait à travers quelques nuages égarés passant au-dessus des sommets proches.
Il ne connaissait pas cet endroit, et doutait être déjà passé à proximité.
Ses pensées étaient encore confuses, mais il pu entendre distinctement une lourde et difficile respiration. Une immense créature, à en juger par la sonorité des inspirations et expirations, qui se tenait à proximité. Il pouvait également entendre une autre respiration, plus petite, mais tout aussi présente. C'était peut-être Fusain, ou la petite fille.
Le bruit constant du torrent d'eau tombant du haut de la cascade ne facilitait pas la réflexion. Et son épaule était toujours aussi douloureuse. Il jeta un œil à son bras, et remarqua que bien que le sang eut séché, sa blessure n'avait pas été soignée. Son corps était encore très lourd, mais au fil des minutes, il sentait qu'il pouvait de plus en plus bouger.
Il ne savait pas exactement par quel miracle il avait échappé à la mort, mais Vatish, la déesse du Destin, ne devait pas y être étrangère. Combien de temps passa, il ne le savait pas. Mais vint un moment où il pu tenter de se redresser, s'asseyant sur le sol froid.
Un petit feu de camp brûlait près de lui, le bois craquant avec la chaleur. Ce qui le lui rappela pas de bons souvenirs. Puis, il tourna la tête sur la gauche.
Fusain était bien là. Il avait le crin quelque peu roussi, mais était plutôt en forme malgré ce qui s'était produit. Il gratifia son maître d'un coup de museau dans le dos, avant de retourner vers ce qui semblait être une forme allongée au sol. Une forme immense.
C'était Wynblow. Elle respirait, mais ne bougeait pas outre mesure.
« Wynblow ! » Cria Ewan.
Il puisa dans ses forces tout juste regagnées, et se releva juste assez longtemps pour se rendre auprès de la dragonnelle. Ses écailles dansaient sous la lumière et au rythme de sa respiration, ce qui fit penser au jeune homme que son nom était vraiment approprié.
Mais dans cette lueur argentée, une plaie rougeâtre tranchait nettement les écailles sur deux bons mètres, courant du milieu de la patte arrière droite jusqu'au bas du ventre.
« Wynblow… Est-ce que ça va ? » S'inquiéta le jeune homme, en s'accroupissant devant elle.
La dragonnelle ouvrit les yeux, et d'un regard las, fixa le jeune homme. Elle devait trouver pénible de voir sa sieste dérangée par un humain, mais passa outre.
« Oui, ne vous inquiétez pas. Je ne vais pas mourir à cause de ça, même si j'avoue que la douleur n'a pas diminué au fil des jours… »
« Des jours ?! » S'exclama-t-il avec surprise.
Elle sembla quelque peu dérangée par le haussement de ton, fronçant les sourcils.
« Quatre jours », dit-elle simplement.
Il était resté plusieurs jours inconscients ? Qu'est-ce qui avait bien pu se passer, pendant tout ce temps ?
La surprise passée, d'autres questions vinrent à l'esprit du jeune chasseur.
« Je suis resté inconscient tout ce temps? » Demanda-t-il. « Et… Il y avait une petite fille avec moi. Je l'ai trouvée dans le village... »
Comme pour répondre à sa question, la dragonne dirigea sa tête vers l'avant, pour montrer quelque chose à Ewan.
Ce dernier se retourna, et vit que la petite fille venait de les rejoindre, des branches trop grandes pour elle dans les bras, et un regard affolé faisant des allers et retours entre lui et Wynblow.
« Elle semble être terrifiée par ma personne... » Ajouta Wynblow.
« Non, sans blague ?» Dit Ewan.
La petite fille, ses pieds enroulés dans des étoffes qu'Ewan reconnut comme une de ses couvertures à présent réduite en lambeaux, s'empressa d'aller jeter les branches qu'elle tenait sur le feu. Puis, tout aussi rapidement, elle alla s'asseoir à l'autre bout de la plateforme rocheuse, le plus loin possible du dragon.
« C'est toi qui a alimenté le feu ? » demanda Ewan.
La petite fille se contenta de hocher la tête, avant de l'enfouir entre ses bras.
« Elle n'a pas dit un seul mot, » Dit Wynblow.
C'était prévisible. Elle devait sûrement encore être choquée par ce qui s'était produit. Et être à proximité immédiate d'une créature réputée manger les êtres humains n'était sûrement pas encourageant.
« Vous m'excuserez, mais étant donné que je n'ai pas de mains, je n'ai pas pu m'occuper de votre blessure au bras, qui est peut-être infectée, » déclara Wynblow, avant de reposer sa lourde tête sur le sol.
Ewan se releva à nouveau, et cette fois, parvint à se maintenir debout.
« Mon bras peut attendre. Ce qui m'inquiète vraiment, c'est votre blessure. Elle est bien plus grave et sérieuse. » Observa-t-il.
Il commença à se diriger vers le sous-bois, lentement mais sûrement.
« Où allez-vous ? » Demanda-t-elle en levant légèrement la tête.
« Je vais chercher des herbes. Si je ne me trompe pas, nous sommes près des Westfalls, et donc, je trouverais de l'Elianthine, et avec un peu de chance, de la mousse grise. »
« Je vois... » Dit-elle simplement.
Wynblow reposa alors sa lourde tête, et ferma les yeux.
Même si le risque que quelqu'un la trouve était presque inexistant, il y avait tout de même la possibilité qu'une attaque puisse survenir. Ewan pressa donc le pas.
Il n'avait pas remercié la dragonnelle, bien qu'il sache que c'était sûrement elle qui les avait sauvés.
Il ne savait pas comment elle s'y était prise, mais elle avait certainement dû s'interposer, d'où cette blessure mêlant déchirures et brûlures.
Il éprouva un vif sentiment de culpabilité, bien qu'il ne s'agisse que d'une créature dangereuse qu'il ne connaissait que depuis quelques jours.
De plus, il avait pris un risque inconsidéré, pour le bien des morts, et ce, au détriment des vivants. Le seul fautif, c'était lui.
Alors le moins qu'il puisse faire, était de soigner sa sauveuse, et de s'assurer qu'elle survive.
Mais avec ces événements, sa dette envers elle était devenue démesurée. Aussi, il sentit qu'il aurait à l'amener à destination, quoi qu'il arrive. Il ne pouvait plus se trouver d'excuses ou de prétextes pour ne pas le faire.
Mais ils avaient également une nouvelle personne dans leur petit groupe. Il ne savait pas encore ce qu'il allait faire de la petite fille qu'il avait secourue. Devait-il la laisser dans le prochain village qu'ils croiseraient ?
Sur ces pensées, il parcourut la forêt un moment, jusqu'à trouver près de vieux troncs recouverts de verdure les herbes qu'il cherchait.
La neige commençait à fondre par endroits, les rayons du soleil passant à travers les branchages clairsemés. Il savait plus ou moins où ils se trouvaient, dans quelle région, mais pas où exactement ils se tenaient. Le lieu avait l'air d'être plutôt à l'écart, et il remercia mentalement Wynblow de ce choix judicieux, bien qu'il se douta que le Salamander avait dû parer au plus pressé.
Il revint près de l'endroit où se trouvait leur campement de fortune, et ramassa du bois mort détrempé par la neige omniprésente. Allumer un feu avec serait très dur, aussi il fut soulagé de voir que le petit feu de bois brûlait toujours.
Oui, il aurait tout le temps de demander à Wynblow comment elle avait mené leur sauvetage.
Parfois, on s'endort le samedi soir en disant qu'on va faire plein de choses le lendemain. Puis on se réveille, et on voit qu'il est déjà l'après midi, et que le weekend est presque fini!