19 Un peu de repos

Sulk ne laissa rien transparaître sur son visage.

Il aurait du mal à expliquer comment il savait déjà tout ça si Arch s'en rendait compte.

Son vieil ami jeta un coup d'œil vers la porte et se rapprocha de lui pour lui glisser quelques mots supplémentaires à voix basse, de manière que seuls eux deux ne puissent entendre.

"Ne dis rien de tout ça à ta mère. Lorsque tu as été amené ici par Gané et Raqi, je t'ai examiné. J'ai compris assez vite dans quel état tu te trouvais, mais je n'ai rien dit pour ne pas accabler ta mère.

Ces derniers jours ont été durs pour elle, elle ne t'a pas quitté du regard, même pas une minute. Elle ne doit pas savoir que tu aurais pu mourir, elle ne le supporterait pas.

- Merci pour tout Arch. Merci de m'avoir soigné, mais j'ai une faveur à te demander. Je t'ai vu refaire le pansement et je pense pouvoir le changer moi même dorénavant. Veille à ce que ma mère se repose.

- Entendu, mais repose toi également. Ton pansement doit être changé tous les jours, si tu n'as plus de feuilles médicinales, viens me voir. Ou envoie ton ami, lui aussi t'a surveillé activement" répondit Arch, en se tournant avec le sourire vers la porte.

Kahn venait d'entrer, et était suivi par Arega portant un bol de soupe et un gros morceau de pain.

Un contremaître leur emboîtait le pas.

D'un seul regard Sulk le reconnut. C'était le jeune garde qui avait amené les nouveaux mineurs depuis la plateforme, le jour où il avait rencontré Kahn.

Il ne s'occupait généralement pas de ce quartier de la mine et Sulk ne le connaissait pas très bien. Sa présence ici était étrange.

Arega déposa la nourriture à côté de son fils et le laissa en compagnie de Kahn après l'avoir embrassé de nouveau.

Sulk l'avait invité à se reposer un peu, en lui promettant d'aller la voir très vite.

Tout comme il l'avait fait avec Gané, Sulk s'inclina profondément devant Kahn, et Kahn lui rendit son salut d'un signe de tête.

Sulk lui fit signe de s'approcher, et quand il fut assez près, il prit son ami dans ses bras.

Il lui avait sauvé la vie, et bien que Sulk se soit rétabli par ses propres moyens, il n'aurait jamais pu le faire s'il était resté seul à saigner dans la galerie du quatrième niveau.

Alors qu'il l'étreignait brièvement, Sulk lui glissa quelques mots.

"Qu'est ce qui t'es arrivé, Kahn ? On t'a frappé ?"

Le garçon fit quelques pas en arrière et porta la main à sa joue gauche. Il avait en effet une grosse marque violette qui s'étendait de sa pommette à son œil légèrement refermé et gonflé.

D'un coup d'œil discret il montra le jeune contremaître appuyé les bras croisés contre l'ouverture de la salle.

Il les observait. Sulk comprit.

Il avait eu peur que ce ne soit l'oeuvre de Mujin.

Il n'était pas encore réveillé quand Mujin était venu dans la salle où il comatait mais Yahzin lui avait raconté ce qu'il s'était passé.

Mujin était fondamentalement bon mais lorsqu'il s'entêtait il ne lâchait jamais le morceau. Il aurait pu causer des ennuis bien pires à Kahn, mais l'avait heureusement laissé tranquille.

Mais d'après le regard de Kahn c'était le jeune garde qui l'avait frappé.

Sulk ne savait rien de lui mais sa pensée s'assombrit. Il n'allait pas le laisser abuser de son seul ami.

Il devait aider Kahn.

Cependant pour le moment c'était plus important jouer la comédie et agir comme le convalescent qu'il était. Il aurait tout le temps de réfléchir à la manière dont il allait faire payer le garde.

Le jeune contremaître ne sembla pas remarquer le regard noir de Sulk, alors qu'il emmenait Kahn retourner travailler.

Sulk sentait bien que Kahn ne voulais pas y aller, mais il était impuissant. Sulk se dit que si quelqu'un pouvait avoir une idée de la meilleure manière de l'aider, ce serait évidemment Yahzin.

Il se résolut de lui poser la question la nuit tombée quand il fut endormi.

Maintenant que Kahn était parti et que tout le monde était venu le voir pour lui souhaiter un prompt rétablissement, Sulk pouvait souffler un peu.

Son corps avait été inactif pendant plusieurs jours et le manque de mouvement l'avait engourdi.

La sensation de fourmis grouillant dans chacun de ses membres était insupportable.

Il jeta un autre regard vers la porte pour s'assurer qu'il était seul.

Sulk commença par fléchir ses jambes jusqu'à ce que son bassin touche presque le sol, pour se relever ensuite. Après avoir fait ça une vingtaine de fois, les fourmis avaient disparu de ses jambes, remplacées par la sensation de chaleur propre à l'exercice physique que Sulk connaissait bien.

Sulk se laissa ensuite tomber face contre terre pour se rattraper au dernier moment sur ses mains.

Il enchaîna une trentaine de pompes rapidement et se releva, légèrement essoufflé.

Son corps était à présent totalement libéré de l'engourdissement.

Sulk avait vécu toute sa vie dans la mine, où bien que les mineurs étaient assurés d'avoir toujours trois repas par jour, les repas étaient frugaux.

Tous les gens des profondeurs avaient donc l'habitude de ne manger que la quantité qui leur était nécessaire pour assurer leur travail dans les galeries.

Sulk avait également passé chaque jour depuis quatre ans à ramasser des roches dans les niveaux inférieurs.

Des roches lourdes qu'il avait transporté sur son dos jusqu'à la plateforme élévatrice tout en haut de la mine, parfois plus de quinze fois par jour.

L'effort physique et les repas tout sauf copieux avaient très vite sculpté son corps.

Sa croissance n'était pas terminée, après tout il n'avait que quatorze ans, mais ses muscles se dessinaient sous sa peau claire.

Il n'était pas squelettique comme la plupart des mineurs des plus vieilles générations, mais chacun de ses muscles était visible sur son corps.

Sulk s'étira encore quelques fois, renoua avec une cordelette ses tresses derrière sa tête, puis s'assit à même le sol pour manger ce que Arega lui avait apporté.

C'était un bouillon de légumes avec un peu de viande dedans et un bout de pain blanc.

Sulk mangea avec appétit, sentant son estomac se remplir enfin après plusieurs jours de jeun.

Une heure exactement après s'être sorti du coma, Sulk ne gardait qu'une cicatrice presque déjà refermée au dessus de son front, sur la ligne ou commence son implantation capillaire.

Il aurait fallu à un tierran normal des semaines pour se remettre d'un tel accident, si il arrivait à s'en sortir.

Il ajusta sa posture pour paraître dans un état de faiblesse, se tint au mur qui menait à la porte, et s'avança vers la lumière de la salle à manger.

avataravatar
Next chapter