2 Le calvaire des profondeurs

Sulk descendait au niveau de la troisième galerie aujourd'hui. Le vieux Arch avait trouvé un nouveau filon au bout d'une branche isolée du réseau récemment agrandi.

Arch était un vieillard qui avait connu la mine pendant de longues années. Il avait vécu à la surface pendant ses vingt premières années et était emprisonné sous terre depuis. Il avait parcouru la mine de Kvara dans tous les sens pendant des décennies. Il avait transporté sur son dos des tonnes de roches et d'oxydes de métaux plus ou moins précieux.

Dû à son grand âge, il n'était plus chargé du transport depuis longtemps déjà quand il avait connu Sulk. Ne pouvant plus assurer le travail des vasir, les transporteurs, il était devenu vanir.

C'était un chef de forage qui maniait des outils plus légers et dont le but était de trouver les endroits friables dans la roches, et les poches de métaux recherchés.

Sa vie passée dans les tunnels mal éclairés et humides avaient affaibli ses os mais surtout aiguisé sa connaissance de la roche. Tous les mineurs le respectaient, lui et ses décisions, et même les contremaîtres lui faisaient confiance. Il ne s'était jamais trompé quand il avait ses intuitions quant à la présence de gros filons de fer, ou bien quand il sentait que la paroi d'une galerie mineure était trop fragile et qu'elle risquait l'effondrement.

Bien qu'étant un esclave comme les autres, Sulk ne l'avait jamais entendu se plaindre et l'affection qu'il avait pour tout le monde lui avait donné un statut spécial dans le cœur du jeune garçon.

Son travail étant moins épuisant et fréquent que celui des transporteurs et des creuseurs, il avait passé beaucoup de temps auprès des enfants dans la salle basse à leur raconter des histoires sur les Dieux et les esprits.

Il était partiellement sénile et ses histoires se confondaient parfois quand il s'agissait de sujets anciens, mais jamais sur ce qui touchait à la mine. Il avait grandement contribué à la culture de Sulk et était devenu un ami précieux pour le garçon qui était de nature renfermée et ne se sociabilisait pas très bien.

C'était le seul parmi les mineurs des niveaux profonds, excepté les contremaîtres, qui en connaissait plus sur la mine, son fonctionnement ainsi que son but que les mineurs classiques.

Il avait expliqué un jour à la demande de Sulk que les pierres qu'ils transportaient jusqu'aux niveaux supérieurs étaient utilisées comme matériaux de construction pour la surface. Sulk avait ri a l'idée de construire des habitations avec de la pierre venant du sous-sol.

Pour lui qui avait toujours vécu entre les parois dures et ocres, son rêve aurait été de vivre pour toujours à l'extérieur, là ou il n'y a pas de murs.

Arch lui avait parlé de l'extérieur quelques fois quand sa mémoire d'il y avait 70 ans revenait, et sa mère lui avait parlé de temps en temps des vastes étendues d'herbe, où le vent agite les plantes, et où les rayons de lumière irisent les gouttes de pluie. Cependant à chaque fois que le sujet était abordé, le cœur d'Arega se remplissait d'une tristesse profonde, et d'une mélancolie qui lui faisait avoir les larmes aux yeux.

Sulk avait vite compris qu'il ne devrait pas trop lui parler du passé, d'avant l'enlèvement et leur arrivée dans la mine. Auprès de n'importe quel mineur à vrai dire, ce n'était pas quelque chose de plaisant de se remémorer la liberté quand tout le reste de sa vie était condamné à creuser les profondeurs.

Tout en chargeant son premier sac de roches de l'après-midi, Sulk pensait aux lumières divines qui baignait la surface constamment.

Ici l'éclairage était assuré continuellement par des cristaux montés sur des pics à chaque tournant des galeries. Chaque mineur en avait également un petit accroché à la taille par une lanière de corde, afin de pouvoir examiner les roches extraites pour faciliter le tri des sacs au déchargement.

Les cristaux permettaient une visibilité idéale dans les tunnels mais rejetaient une lumière bleutée qui donnait un aspect d'autant plus spectral aux visages émaciés des mineurs.

La lumière était froide et semblait faire passer tout le monde pour des cadavres se traînant inlassablement dans la mine, comme des esprits hantant les sous sols du monde.

Sulk préférait largement l'éclairage que procurait le grand feu de la cheminé de la salle basse. Le moment du repas prenait alors une tournure chaleureuse et tout le monde retrouvait des couleurs à l'aide des flammes dansantes devant eux.

Sulk en oubliait alors le désagrément causé par la chaleur des braises dans les caves déjà chaudes, et restait captivé par le mouvement irréel du feu quand il attendait sa portion de pain et la soupe qui chauffait dans l'énorme chaudron.

Les contremaîtres se relâchaient alors et mangeait avec tout le reste des mineurs. C'était pendant un repas que Sulk alors âgé de 10 ans et n'ayant commencé à creuser que quelques jours auparavant s'était rendu compte que les contremaîtres qui lui semblaient durs et cruels étant en fait prisonniers des profondeurs comme tous les autres. Eux cependant avaient parfois l'occasion de remonter plus près de la surface, lorsque la plateforme élévatrice était pleine et amenait les minerais triés jusqu'au niveaux supérieurs. Sulk se demandait souvent étant jeune ce qui faisait qu'un esclave était mineur ou contremaître.

Sulk amenait son sac tendu de cailloux jusqu'à la plateforme en bois d'une dizaine de mètres carrés. C'était un assemblement complexe de planches de bois larges recouvertes de dalles fines de roches cachées sous la poussière qui s'accumulait sur le sol comme au fond des sacs.

Avec l'humidité ambiante, chaque travailleur devait frotter son sac chaque jour pour éviter que la poussière s'humidifie et forme une pâte rigide alourdissant inutilement leur fardeau.

Sulk vida son sac dans le grand compartiment encadré de planches noires qui était rempli de débris variés. L'odeur forte du fer était partout dans la mine, et dès qu'il allait sur la plateforme il sentait sur sa langue le gout salé de la poussière de roche mêlée au fer, et ses yeux s'humectaient pour combattre les particules qui se collaient à ses cils.

Les conditions de vie dans la mine étaient dures, mais supportables, et n'ayant jamais connu autre chose, Sulk s'était résigné depuis qu'il était petit.

Il ne se rendait pas compte de sa misère même si parfois il rêvait de vastes étendues sans murs, sans humidité et d'une lumière chaleureuse qui jetait sur le sol mou une impression de vie.

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