22 Espèce de petit morveux !

Sulk entra dans l'atelier avec un air fatigué, mais un petit sourire aux lèvres.

Il ne voulait pas donner trop de peine à sa mère. Elle s'était déjà fait assez de soucis pour lui.

Sulk se rendit compte à quel point il était difficile de se faire passer pour quelqu'un de gravement blessé et encore convalescent, sans pour autant inquiéter davantage sa propre mère.

Arega semblait être pensante, perdue dans ses pensées, ou même dormant debout alors que Sulk s'approchait.

Elle ne remarqua pas la silhouette familière qui n'était qu'à quelques mètres devant elle.

La mère de Lingi réagit plus rapidement que sa voisine.

Banna était une femme qui était totalement l'inverse d'Arega.

C'était une femme extravertie qui ne cessait jamais de parler, et son rire franc s'entendait loin dans les galeries lorsqu'elle trouvait quelque chose drôle.

Contrairement à Arega elle avait une chevelure ondulée et épaisse, qui restait telle quelle malgré ses mouvements de tête.

Ses traits n'étaient pas aussi fins que ceux d'Arega, et beaucoup la trouvaient bien moins attrayante, bien que le côté mystérieux de la silencieuse Arega jouait aussi pour beaucoup.

Lorsque Banna releva la tête pour regarder le jeune homme, Sulk ne put s'empêcher de se demander comment la femme à genoux devant lui avait pu donner naissance à une fille comme Lingi.

Si Lingi était une pierre précieuse taillée avec perfection, dans laquelle la lumière se reflète sans cesse et irise les alentours d'arc-en-ciels, et bien selon Sulk sa mère ne pouvait être comparée qu'à une brique, tout simplement.

Sulk baissa légèrement la tête, s'en voulant un peu d'avoir eu de telles pensées.

Lorsqu'il était jeune il avait beaucoup apprécié la présence de Banna qui avait égayé leur quartier par sa bonne humeur.

C'était rare dans les mines les gens qui gardaient un sentiment de joie des années durant. Souvent les mineurs devenaient déprimés, et s'abandonnaient à la tristesse et au désespoir.

Banna regarda le jeune homme de haut en bas avant de lui sourire.

Elle donna un léger coup de coude à sa voisine.

Sortie de sa torpeur, Arega leva les yeux.

La pièce s'illumina instantanément avec son sourire, comme si par le simple fait d'éprouver du bonheur Arega avait allumé des torches.

Sulk se mit à genoux en face d'elle. Seule une natte de paille tressée couverte de morceaux de roche gris claire les séparaient.

"Maman, tu dois te reposer. Je suis bien mieux à présent. Arch m'a même montré comment changer mon pansement tout seul, je n'ai plus besoin d'aide."

Arega remarqua pour la première fois combien la voix de son fils semblait grave.

Ce n'était plus la voix d'un enfant mais celle d'un jeune homme à présent. Il semblait bien plus mature, et sa préoccupation pour elle le prouvait.

"J'ai pu rester avec toi pendant que tu était blessé mais maintenant que tu es réveillé, je ne pense pas pouvoir délaisser le travail..."

Elle semblait accablée, mais dans son cœur le travail n'avait aucun impact, elle était tout simplement heureuse du rétablissement de son fils, qui avait tenu à la voir malgré l'effort de monter les niveaux de la mine.

"Maman, je vais essayer de parler aux gardes. Javir et Yon sont compréhensifs, peut-être qu'ils te laisseront un jour ou deux !"

Il ne put s'empêcher de se montrer optimiste, bien qu'il savait que cela était peu probable.

Dans les profondeurs de la mine du Nord, les mineurs ne subissaient que très rarement des représailles physiques.

Chacun travaillait à son rythme.

Sulk et la plupart des mineurs n'ayant jamais connu autre chose ne s'en rendait pas vraiment compte, mais leur situation était relativement paisible.

La plupart des gardes n'abusaient pas de leur pouvoir. Tout le monde était esclave après tout, et chaque mineur était assuré d'avoir un couvert et une couche à toute époque.

Si un mineur était blessé, il n'était pas forcé de travailler, il avait un peu de temps pour se remettre.

Le Roi de la mine avait compris qu'il valait mieux avoir des travailleurs en bonne santé. C'était une sorte de justice propre à la mine, gouvernée comme un petit empire.

Dans les yeux du Roi, c'était même une sorte de chance pour les mineurs, dont la condition pouvait leur éviter de vivre des vies comme celle de Kahn, sans savoir s'ils allaient trouver de quoi manger le lendemain, ou s'ils allaient survivre la semaine prochaine.

Les mineurs sous sa garde pouvaient dormir l'estomac rempli et avec les deux yeux fermés.

C'était le point de vue du Roi, partagé par la plupart des gardes, contremaîtres et officiers, certains seulement pour éviter de se sentir esclaves eux-même.

Pour certains gardes cependant cela s'était transformé en une ferveur fanatique.

Certains s'imaginaient comme des héros pour la population pauvre, et pensaient que les mineurs devaient les remercier.

C'était le cas de Faryl, qui passait la porte de l'atelier sud-est.

Bien que ses pas furent discrets, Sulk entendit son arrivée et fut immédiatement alerté de sa présence, avant qu'il ne fut visible des trois mineurs.

Il ignorait son nom, mais reconnaissait sa démarche régulière, et le bruit de la tige en bois durci tapant contre sa ceinture à chaque pas.

Il savait qu'il adorait jouer de la matraque, Kahn lui avait appris malgré lui.

C'était le jeune contremaître qu'il avait fait descendre l'ami de Sulk dans la mine et qui l'avait roué de coups à plusieurs reprises depuis.

Dès que Sulk sut qui il était, son regard s'assombrit.

Faryl continua de s'avancer, et lorsqu'un sourire mesquin étira ses lèvres, ce fut au tour d'Arega de se renfermer.

Le court instant de bonheur qu'elle avait vécu en compagnie de son fils et son amie venait de se terminer.

"C'est un sacré chemin que tu as fait depuis la salle de repos du troisième, gamin. Et tu as monté tous ces étages sans ramener une seule pierre à trier à ta maman ?

-Officier, je suis en période de repos. Arch m'a dit qu'il me fallait encore plusieurs jours au moins. Dans une dizaine de jours je me remettrai à monter des pierres."

Les yeux du garde s'ouvrirent un peu plus et son rictus disparut. Une veine se gonfla sur sa tempe.

Il n'aimait pas du tout le ton du jeune garçon devant lui.

Avec ses récents progrès, Sulk était plus confiant en lui que jamais, mais pas téméraire.

Il n'aurait jamais osé parler ainsi à Faryl, et pourtant c'est ce qu'il fit.

"Espèce de petit morveux. Tu vas apprendre à me parler avec le ton qu'il faut !" explosa t-il en sortant la tige de sa ceinture de cuir.

Il leva le bras, prêt à asséner un premier coup en direction de Sulk.

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